Quelle que soit l’issue de la crise grecque (sauvetage de
l’économie du pays et son maintien dans la zone euro ou naufrage et sortie de
cette même zone voire de l’Union européenne), c’est bien au dévoiement du rêve
européen auquel on assiste impuissant, tant la dynamique destructrice semble
forte dans les gouvernements et les peuples de l’Union européenne où celle-ci
est de plus en plus considéré, faussement, comme une sorte de «machin»
encombrant.
Car cette crise n’est que la conséquence du délitement de
l’espoir européen depuis une vingtaine d’années, sur fond d’une propagande
négative incessante, où les intérêts de chaque membre de l’Union l’emportent
toujours face à une construction en commun des Etats-Unis d’Europe.
Plus, les gouvernements n’ont eu de cesse d’incriminer
l’Europe chaque fois que la situation était mauvaise, se défaussant de leur
responsabilité sur l’Union et ses institutions, et de s’attribuer tout le
mérite des bonnes nouvelles.
Dans le psychodrame hellène qui est en train de se jouer on
a, d’un côté, une agrégation de pays européens qui ont oublié sciemment ce que
veut dire la solidarité entre eux et qui, dorénavant, ne pensent qu’à défendre
leurs profits et leurs avantages au détriment d’une communauté de vie en se
réfugiant derrière des discours et des décisions qui rappellent les bons vieux réflexes
nationalistes d’antan, fustigeant l’autre, celui avec qui pourtant l’on est
sensé bâtir une union.
De l’autre, on a une Grèce qui n’agit pas différemment et
qui, ayant vécu sans le moindre état d’âme au-dessus de ses moyens pendant des
années en le sachant et sur le dos des autres pays européens, ne veut pas
assumer ses actes – pire, dont les dirigeants incriminent les autres membres de
l’Union comme responsables de leurs propres errements – et dont le peuple s’en
remet in fine à un gouvernement d’extrême-gauche, non seulement ennemi depuis
toujours d’une Europe, humaniste et libérale (politiquement et économiquement),
c’est-à-dire de celle qui est à la base du Traité de Rome et de tous les autres
traités qui ont été signés depuis 1957, mais qui est totalement irresponsable,
fonctionnant à l’idéologie de la confrontation, du rapport de force et de la
guérilla, n’ayant comme principe de négociation que le chantage, le tout dans
une propagande n’ayant guère à envier ce qu’on a pu voir au Venezuela, en Bolivie,
à Cuba contre l’«Occident» avec un premier ministre qui va faire les yeux doux
à la Russie alors que celle-ci est en conflit avec l’Union européenne.
Tout cela peut bien ressembler à un réquisitoire outrancier
mais c’est bien la triste réalité qui est en train de ruiner le rêve européen.
Quoi qu’il arrive, donc, ce dernier, sauf sursaut que l’on
ne voit absolument pas poindre de près ou de loin, est ravagé et enterré pour
des années, lui qui était déjà un moribond se traînant sur les mornes plaines
de l’égoïsme et du désintérêt des peuples du vieux continent pour un projet
transcendant qui se révèle peut-être un défi trop relevé.
Il faut dire qu’au lieu d’approfondir l’union, on l’a
ouverte aux quatre vents, une manière pour certains d’éviter des guerres aux
frontières de l’Union européenne, pour d’autres de noyer l’esprit européen dans
un conglomérat de pays qui n’ont que peu d’intérêts communs.
Idem pour la zone euro où les critères d’admission auraient
du être appliqués rigoureusement.
Dans le cas de la Grèce, oui, les dirigeants ont maquillé
les comptes du pays pour faire partie de la zone euro mais, oui, aussi les
dirigeants des autres pays savaient qu’elle était le maillon faible de la
nouvelle union monétaire sans que cela ne les amènent à dire non à ce qu’elle y
entre.
Aujourd’hui, l’Europe est dans une impasse politique et,
peut-être, à la veille d’une implosion économique.
Pour éviter cette catastrophe qui nous ramènerait peu ou
prou à la situation qui existait avant la Première guerre mondiale avec toutes
les conséquences terribles que cela pourrait avoir, Il est temps de revenir aux
idéaux de la construction européenne portés notamment par les centristes mais
aussi par nombre d’hommes et de femmes de bonne volonté qui défendent les
valeurs humanistes et cette nécessaire union entre des peuples qui, à cause de
leur désunion, avaient été conduits à se faire deux guerres fratricides et
suicidaires.
Demain, si le gouvernement grec de monsieur Tsipras gagne
son bras de fer, alors n’importe quel autre membre de l’Union pourra jouer la
carte du chantage comme l’a fait à une autre époque, la Grande Bretagne, au
temps de Margaret Thatcher, et qui est prête à prendre la suite avec son
référendum sur le maintien ou non dans l’Europe.
S’il perd – et non la Grèce qui ne doit pas être la victime
de ce populisme démagogique –, seule une refondation de l’Union ou même une
nouvelle union avec tous ceux qui veulent l’approfondissement des liens et des
solidarités, peuvent faire gagner l’Europe et, in fine, le peuple grec
lui-même.
Le statu quo actuel ne produira qu’une régression de la
construction européenne.
Inverser la tendance ne sera évidemment pas facile et le
chemin ardu.
Mais c’était déjà le cas pour les pionniers de l’Europe unie
car l’idée européenne a toujours été et sera toujours un combat face aux forces
conservatrices qui veulent séparer les peuples plutôt que leur offrir un avenir
commun de paix et de prospérité.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC