Regards Centristes est une série d’études du CREC qui se penchent sur
une question politique, économique, sociale ou sociétale sous le prisme d’une
vision centriste. Premier numéro consacré à l’élection présidentielle française
de 2017 et pourquoi on ne trouve jamais des candidats sérieux au profil décalé
qui existent assez souvent aux Etats-Unis.
Nous autres, Français, sommes étonnés, amusés, voire un peu
beaucoup condescendants, de voir que des personnalités comme Barack Obama (un
«inconnu» noir), Ronald Reagan (un acteur), Ross Perot ou Donald Trump (deux
milliardaires excentriques et narcissiques), Ben Carson (un neurochirurgien
démagogue et extrémiste religieux) ou même Dwight Eisenhower (un général sans
aucune expérience politique) puissent se présenter à la présidence des
Etats-Unis et même parfois être élus.
Pour certains d’entre nous cela jette un certain opprobre
sur les Etats-Unis car la politique, selon notre culture en la matière, est
trop sérieuse pour être confiée à ce genre de candidats.
Pour d’autres, à l’opposé, cela montre la vitalité de la
démocratie américaine avec, comme justification, cette extraordinaire victoire
de Barack Obama en 2008 et sa non moins extraordinaire réélection en 2012 qui
montrait, au-delà du choix partisan, que son élection n’avait pas été un
événement sans lendemain issue d’une exaltation passagère et repentante du
peuple étasunien.
Sans oublier cette possibilité pour un ancien acteur de
série B, Ronald Reagan, de devenir président.
En revanche, nous sommes un peu plus sceptiques et
interrogatifs sur des hommes comme Ross Perot (candidat indépendant en 1992 et
1996) et Donald Trump, des milliardaires qui viennent perturber le paysage
politique avec des idées populistes ainsi que des propos démagogiques, voire
insultants pour le dernier nommé, candidat à la candidature républicaine pour
la prochaine présidentielle de 2016 et qui n’exclut pas, malgré son serment aux
dirigeants du Parti républicain, de ne pas se présenter en indépendant.
Quant à Ben Carson, de propos scandaleux en propos
scandaleux sur les juifs pendant la seconde guerre mondiale, les victimes des
tueries par arme à feu, la comparaison des services fiscaux à la Gestapo,
l’affirmation que depuis l’esclavage (il est lui-même afro-américain) il n’y
avait rien eu de plus ignoble que la loi sur l’assurance santé de Barack Obama
et ainsi de suite, il est actuellement en deuxième position dans les sondages
sur la primaire républicaine juste derrière…. Donald Trump.
Si l’on regarde chez nous, les présidents que nous avons
élus depuis le début de la V° République, on trouve un militaire (de Gaulle),
des avocats (Mitterrand, Sarkozy), un banquier normalien (Pompidou) et des
hauts fonctionnaires énarques (Giscard d’Estaing et Chirac), rien de très
décalé...
De même, aucun d’entre eux n’étaient un novice en matière
politique ou n’était un milliardaire.
Et il en est de même pour les candidats «sérieux» qui se
sont présentés, c’est-à-dire ceux qui ont obtenu des scores significatifs: Jean
Lecanuet (professeur agrégé puis haut fonctionnaire), Alain Poher (ingénieur et
diplômé de sciences po), Jacques Chaban-Delmas (journaliste puis général…), Raymond
Barre (professeur agrégé), Edouard Balladur (énarque et haut fonctionnaire), Lionel
Jospin (énarque et haut fonctionnaire puis professeur), François Bayrou
(professeur agrégé et exploitant agricole…), Ségolène Royal (énarque et
haut-fonctionnaire).
Les deux exceptions sont Jean-Marie Le Pen (candidat du Front
national en 2002 et présent au second tour) au parcours sinueux et Jacques
Duclos (candidat du Parti communiste en 1969), apprenti-pâtissier avant de
devenir un permanent du PC.
On peut éventuellement rajouter Georges Marchais (ouvrier
métallurgiste avant de devenir permanent de la CGT) avec son score en 1981 en
tant que candidat communiste.
Mais même les trois derniers nommés étaient lors de leurs
candidatures des hommes politiques chevronnés.
Et aucun de tous ces candidats à l’Elysée ne tenaient des
propos comme ceux de Donald Trump ou de Ben Carson – héritiers d’une longue
lignée en la matière – à l’exception, bien entendu, de Jean-Marie Le Pen.
Si l’on se projette pour 2017, les principaux candidats en
puissance (François Hollande, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Bayrou,
Marine Le Pen voire Manuel Valls, Bruno Le Maire ou François Fillon) sont
également des professionnels de la politique depuis un certain temps et n’ont
pas un parcours particulièrement atypique de celui de tous leurs prédécesseurs
depuis la première élection au suffrage universel il y a tout juste quarante
ans.
Maintenant, si l’on recense les candidats «différents» ou
«marginaux» qui ont eu un impact plus ou moins significatif sur la
présidentielle française, il est difficile d’en trouver un.
On peut, à la rigueur, citer José Bové (paysan altermondialiste),
Arlette Laguiller (employée de banque trotskyste), René Dumont (scientifique
écologiste) ou Jean-Louis Tixier-Vignancour (avocat fasciste) mais aucun n’a guère
pesé lors des présidentielles où ils se sont présentés et la plupart naviguaient
dans le milieu politique depuis longtemps.
En revanche, sur ceux qui ont eu envie de se présenter, on
peut trouver des profils qui se rapprocheraient des candidats américains que
nous avons cités.
Il y a bien évidemment l’humoriste Coluche en 1981 dont les
sondages le créditaient de 11% des intentions de vote (et 16% se disaient prêts
à voter pour lui) mais aussi de l’animateur de télévision Nicolas Hulot en 2007
dont plus de 45% des Français souhaitaient alors sa candidature (en 2012, il
tentera d’être le candidat d’Europe-écologie-les-verts mais échouera face à Eva
Joly).
On peut également citer des personnalités qui avaient un
moment le vent en poupe dans l’opinion et qu’une partie de celle-ci considérait
comme de possibles candidats.
Dans cette catégorie, on peut ranger Bernard Tapie (homme
d’affaire) et surtout Yves Montand (artiste) qui, en 1984, songeait à se
présenter à la prochaine présidentielle et dont 36% des Français se disaient
prêts à voter pour lui (il déclarera ne pas vouloir être candidat en 1987).
Au vu de cette revue d’effectif passé et présent, peut-on
alors dire que nous ne nous trouverons jamais dans le cas de figure américain?
On ne peut évidemment jamais exclure qu’un ovni débarque pour
2017 – nous sommes encore à plus d’un an et demi du scrutin – ou après.
De même, notre histoire politique nous a donné des Napoléon
(I et III), un général Boulanger et quelques autres aventuriers au destin plus
ou moins magnifique, plus ou moins tragique, mais déjà lointain.
Néanmoins, il semble que notre pratique politique avantage
plutôt les parcours traditionnels et les profils au cv politique déjà fourni.
Doit-on se féliciter ou regretter que notre méritocratie
politique soit bloquée aux candidatures atypiques?
Un peu des deux…
Si cela nous a en effet permis d’éviter un Trump, cela nous
a empêché aussi d’avoir un Obama et un Reagan.
D’autant que seuls ces deux derniers ont été élus (et sont
considérés comme de bons présidents) alors qu’il semble difficile que le
premier, très controversé dans son pays, y parvienne, démontrant que les
atypiques dangereux sont toujours éliminés à un moment ou à un autre du
processus électoral américain.
Ce fut le cas, par exemple, en 2008 de Sarah Palin, qui se
présentait en tant que vice-présidente du candidat républicain John Mc Cain ou
en 2012 de Michelle Bachmann candidate extrémiste du Tea Party (organisation
populiste à la droite de la droite du Parti républicain) à la primaire
républicaine.
On peut également le regretter en pointant, à l’instar d’un
François Bayrou, le manque de renouvellement de notre élite politique et les
multirécidivistes de la présidentielle qui seront présents en 2017 et dont étonnamment
le président du Mouvement démocrate s’exclut lui-même alors qu’en se
présentant, il en sera à sa quatrième candidature consécutive, juste derrière
Arlette Laguiller et Jean-Marie Le Pen qui en cumulent cinq!
Mais ce serait oublier qu’il y a un réel brassage et de
nouvelles têtes à chaque nouvelle présidentielle.
Ainsi, parmi les présidents de la V° République, deux
seulement ont du attendre leur troisième candidature pour être élus (Mitterrand
et Chirac), tous les autres étant passé dès leur première tentative (de Gaulle,
Pompidou, Giscard d’Estaing, Sarkozy et Hollande).
Alors, sans doute, le candidat surprise n’est pas une
tradition française.
Pour autant, on ne peut ignorer le sondage réalisé en
septembre dernier par l’IFOP pour le magazine Valeurs Actuelles qui faisait
ressortir que 12% des Français se disaient prêts à voter pour le polémiste et
éditorialiste au Figaro, Eric Zemmour.
Même si ce dernier a immédiatement déclaré qu’il n’était pas
intéressé par une candidature à l’Elysée et même si les résultats de cette
enquête sont à prendre avec précaution puisque seulement 8% des sondés
estimaient que sa présence serait une bonne chose et que seuls 3% d’entre eux
déclaraient qu’ils seraient «tout à fait prêts» (ce qui ne veut pas dire qu’ils
le feraient) à voter pour lui.
Alors que les Français se montrent toujours aussi déçus par
le personnel politique et que des personnalités
politico-médiatico-intellectuelles les séduisent de plus en plus, d’Alain
Finkielkraut à Michel Onfray, ce sondage sera-t-il un déclencheur ou un simple
divertissement médiatique?
Toujours est-il que la surprise n’a jamais été absente de la
présidentielle.
Ainsi, depuis 1962, date du premier scrutin au suffrage
universel, nombre de candidats qui n’étaient pas favoris sur la ligne de départ
l’ont emporté: Valéry Giscard d’Estaing en 1974, François Mitterrand en 1981,
Jacques Chirac en 1995 et 2002, François Hollande en 2012.
Etude du CREC sous la direction d’Alexandre Vatimbella