Nicolas Sarkozy veut donc s’attacher les centristes, tous
les centristes, de ceux qui demeurent encore aux Républicains (et dont beaucoup
ne sont plus que centristes de nom), à ceux de l’UDI (dont beaucoup sont prêts à
rallier le parti de droite, voire à s’y encarter) en passant par ceux du Mouvement
démocrate (à l’exception notable de leur président).
Tous sauf, donc, un, François Bayrou…
Mais ce n’est pas par amour du Centre ou des idées
centristes qu’il le souhaite mais bien pour une stratégie politique précise.
Avant d’en venir aux raisons pour lesquelles l’ancien hôte
de l’Elysée fait du racolage de centristes, examinons le piège qu’il a mis en
place pour ses visées en la matière.
Celui-ci se déroule en trois phases qui peuvent être concomitantes:
- 1° phase: détruire le lien – ténu mais réel – entre le
MoDem et l’UDI
Depuis qu’il est revenu en politique – à moins qu’il ne
l’ait jamais quittée… – Nicolas Sarkozy s’est appliqué à décerner des
certificats de bons et de mauvais centristes.
Bien entendu, on se demande encore quelle légitimité lui
donne le droit de juger les centristes qu’il n’aime pas mais il fallait bien,
avant toute chose, éviter que le Centre ne se réunisse et devienne une force
politique plus structurée et donc moins malléable.
Pour cela, il fallait empêcher à tout prix que l’UDI et le
Mouvement démocrate n’aille plus loin que cette fameuse «organisation
coopérative» qu’est l’Alternative qu’avait scellée en leur temps François
Bayrou et Jean-Louis Borloo.
Dès lors, le pilonnage sur le président du MoDem qui avait
voté pour François Hollande au deuxième tour de la présidentielle de 2012 était
autant un règlement de compte personnel qu’une attaque frontale contre
l’édifice brinquebalant d’une union des partis centristes.
C’était d’autant plus facile que, depuis le retrait de la
vie politique de Borloo, il n’y a plus guère qu’Hervé Morin à l’UDI qui soit
véritablement pour une alliance en bonne et due forme avec François Bayrou,
mais surtout pour mettre des bâtons dans les roues de Jean-Christophe Lagarde.
Bien sûr, cette première phase comportait aussi un discours
qui était de diaboliser uniquement Bayrou (et qui doit se poursuivre au cours
des autres phases, tant que celui-ci représentera un danger pour la
présidentielle) mais pas les autres dirigeants du Mouvement démocrate ainsi que
les militants et les sympathisants qui, eux, sont les bienvenus dans la sphère
d’influence sarkozyste.
On a bien vu que peu de membres de l’UDI ont défendu
François Bayrou face aux attaques et à la mise en quarantaine de Nicolas
Sarkozy.
Mieux, beaucoup en ont profité pour rappeler que le leader
du MoDem s’était trompé de route et que son retour à droite était une première
pénitence mais qu’il fallait attendre pour le réintégrer définitivement dans la
famille.
- 2° phase: détruire l’unité de l’UDI
Il n’a échappé à personne et surtout pas à Nicolas Sarkozy
que l’UDI est une confédération de partis faite de bric et de broc où les
ambitions et les inimitiés personnelles dominent le débat public avec, à tout
moment, un risque de scission ou de paralysie.
De fait, détruire l’unité de l’UDI ne semble guère très
difficile même si le président des Républicains doit agir avec doigté pour
éviter une ingérence trop importante qui pourrait produire l’effet contraire
recherché et souder les centristes face à une menace extérieure.
Ainsi, il a bien vu que Jean-Christophe Lagarde était prêt à
lâcher du lest dans les négociations électorales afin d’acquérir cette stature
de chef que lui déni ses opposants en interne, au premier range desquels on
trouve évidemment Hervé Morin.
En outre, il a aussi compris que plus on ferait les yeux
doux à Lagarde, plus celui-ci serait gourmand et qu’il se permettrait de lancer
des «ultimatums».
Dès lors, il n’y avait qu’à se baisser pour rameuter et
réunir tous les opposants au président de l’UDI pour organiser la fronde
interne qui ne demandait qu’à éclater en faisant, en plus, des promesses de
sièges et de postes aux «frondeurs» de la formation centriste.
C’est la raison pour laquelle il traite directement des
accords électoraux avec le Nouveau centre dirigé par Morin et membre de l’UDI
ou qu’il reçoit les centristes en mal de gratifications (Hervé Morin, Philippe
Vigier, François Sauvadet, Maurice Leroy et quelques autres) et surtout qui
veulent la peau de Lagarde.
Cette deuxième phase est en train de donner des résultats et
pourrait bien, à moyen terme ou même à court terme faire imploser l’UDI ou
l’affaiblir durablement.
- 3° phase: récupérer le maximum de centristes en déshérence
et en attente de sièges et de postes
La dernière phase du projet sarkozyste est, bien évidemment,
de récupérer le maximum de centristes qui se trouveront en déshérence.
Non pas forcément à l’intérieur des Républicains (il a un
intérêt à avoir une UDI paralysée qui soit totalement inféodée aux Républicains
et à leur président) mais dans tout l’espace centriste, démontrant de ce fait
qu’il est bien un rassembleur.
Si cette manipulation marche, Nicolas Sarkozy aura cassé le
Centre en faisant semblant de réunir l’opposition pour ses vues uniquement
personnelles!
Sachant qu’effectivement Nicolas Sarkozy n’aime pas et n’a
jamais aimé les centristes, il faut se demander pourquoi il souhaite en
embrigader le maximum tout en cassant le Centre pour les prochaines années.
Trois raison à cela:
- 1° raison: Pour éviter une candidature centriste unifiée
Même si les partis centristes ne représentent aujourd’hui
qu’entre 12% et 15% de l’électorat, on comprend bien qu’une candidature unifiée
du Centre à la présidentielle de 2017 peut être une grande menace pour le
candidat de la Droite que veut être Nicolas Sarkozy.
Il faut donc éviter absolument que les partis centristes
puissent s’entendre sur une primaire du Centre puis sur un candidat unique qui
pourrait barrer la route au candidat de droite pour le second tour et même qui
pourrait s’y retrouver et peut-être créer la surprise, comme le croit François
Bayrou.
- 2° raison: Pour éviter un soutien global des centristes
pour Juppé
En cassant l’unité du Centre, Nicolas Sarkozy espère ainsi
qu’aucun front unifié des centristes ne pourra se ranger derrière la
candidature d’Alain Juppé à la primaire des Républicains si jamais l’UDI
décidait de ne pas avoir de candidat au premier tour et si François Bayrou ne
se présentait pas.
Car le président de la formation de droite sait bien
qu’aujourd’hui les dirigeants centristes mais aussi leurs électeurs préfèrent
nettement le maire de Bordeaux et qu’ils pourraient ainsi lui faire gagner la
primaire.
Mais, en introduisant la zizanie dans l’espace centriste,
il espère ainsi empêcher que des personnalités qui se détestent, voire plus, ne
puissent se retrouver sur le même ticket présidentiel.
D’autant qu’en ayant négocié des accords très favorables à
quelques uns d’entre eux pour les régionales, ils deviendront, de fait, ses
obligés et auront du mal à ne pas le soutenir lors de la primaire, surtout si
leurs adversaires se prononcent pour Juppé.
In fine, cela lui permettra de récupérer certaines voix centristes
mais, avant tout, d’en priver son principal concurrent de la primaire.
- 3° raison: Pour marginaliser définitivement Bayrou et sa
probable candidature
Crédité aujourd’hui de 12% des intentions de vote dans un
dernier sondage, François Bayrou rêve de se présenter, surtout s’il a en face
de lui Nicolas Sarkozy.
Bien entendu, à ce niveau sondagier, le président du MoDem
ne peut prétendre être au second tour mais il peut empêcher Nicolas Sarkozy d’y
être.
En outre, si la primaire des Républicains est remportée par
ce dernier mais dans une atmosphère détestable, nombre de soutiens à Juppé
pourraient se tourner vers Bayrou.
Dès lors, il faut continuer à pilonner Bayrou, à faire les
yeux doux à Lagarde tout en le menaçant et à caresser dans le sens du poil tous
les ennemis de celui-ci à l’UDI, le tout avec un discours d’union.
Bien entendu, cette stratégie comporte de multiples risques.
Cependant, elle est tout à fait réalisable.
Alexandre Vatimbella