Peut-on dire que l’on va travailler avec le vainqueur d’une
élection quel qu’il soit?
C’est, en tout cas, l’affirmation que les «LibDems»
(Libéraux-démocrates), les centristes britanniques, réitèrent sans fin depuis
le début de la campagne pour les législatives qui auront lieu le 7 mai prochain,
déclarant qu’ils seront dans le prochain gouvernement, soit du côté des
Conservateurs, soit de celui des Travaillistes.
Que cela se produise ou non, interpelle les centristes de
tous pays qui sont souvent accusés de simple opportunisme et de n’être qu’une
moitié de gauche et une moitié de droite, capables de gouverner avec tout le
monde et personne car sans projet politique bien défini et programme électoral
clair, penchant souvent du côté du plus fort et monnayant leur soutien au
nombre de sièges ministériels qu’on leur propose.
Et c’est vrai qu’on a la désagréable impression que les
Libéraux-démocrates et leur leader, Nick Clegg – vice-premier ministre dans le
gouvernement sortant du conservateur David Cameron – font tout pour ne pas
perdre le pouvoir, eux qui ont déjà divisé par trois leurs intentions de vote
par rapport à leur résultat de 2010 et qui devraient perdre la moitié de leurs
députés à la Chambre des communes.
Et cet effondrement auprès des électeurs vient d’un
effondrement auprès de la population qui voyait avec une grande sympathie les
centristes lors des précédentes élections, ce qui faisait d’eux les outsiders
du scrutin.
Même s’ils avaient terminé troisièmes, ils avaient pu
réaliser un bon accord de gouvernement avec les Tories (conservateurs) où une
partie de leurs propositions avaient été reprises tandis qu’ils avaient hérité
de nombreux portefeuilles ministériels et du poste de vice-premier ministre en
sus.
Mais tout allait dérailler presqu’aussitôt puisque les Conservateurs
allaient faire peu de cas des positions des Libéraux-démocrates, notamment sur
les points qui avaient rendu ces derniers si populaires, comme la promesse de
supprimer les frais d’inscription à l’université qui devaient, en réalité…
tripler!
Devant tant de renoncements, la cote des centristes
britanniques allait chuter et ne s’en est jamais remise depuis.
Il faut dire que l’alliance entre Conservateurs et
Libéraux-démocrates en avait étonné plus d’un.
En effet, pendant le gouvernement précédent de Gordon Brown
(Travailliste), les Libéraux-démocrates avaient été souvent des opposants de
gauche au «New labour» (le «Nouveau parti travailliste créé par Tony Blair,
social-libéral et plus proche sur bien des points du Centre que les LibDems).
Du coup, le rapprochement entre la Droite et le Centre avait
été vu comme anachronique voire une trahison pour de nombreux jeunes électeurs
des Libéraux-démocrates.
Cependant, la réussite des Conservateurs en matière
économique avec une reprise de la croissance, une baisse du chômage et la
baisse des dépenses publiques est une des raisons pour lesquelles les
centristes sont de nouveau prêts à s’allier avec eux.
Mais le programme des Travaillistes, s’il est parfois un peu
trop à gauche pour les Libéraux-démocrates d’aujourd’hui, contient nombre de
mesures qui sont soutenues par ces derniers.
Surtout, le Parti travailliste est pro-européen alors que le
Parti conservateur est, globalement, anti avec ce fameux référendum que David
Cameron organisera s’il est réélu dans le courant 2017 pour demander au peuple
britannique s’il veut rester dans l’Union européenne.
Pour autant, peut-on attendre la fin d’une élection pour
dire avec qui on va s’allier?
Evidemment, au Royaume Uni, les élections législatives, qui
sont un scrutin uninominal à un tour où celui qui arrive en tête est élu quel
que soit son pourcentage de voix, ne nécessitent pas d’alliances.
Un parti se présente donc seul et peut, ensuite, à son gré,
nouer une coalition gouvernementale avec qui il veut.
De même, la différence idéologique entre les Conservateurs
et les Travaillistes est bien moindre qu’il y a trente ans notamment du temps
de Margaret Thatcher.
Du coup, les Libéraux-démocrates peuvent se retrouver
parfois à gauche du Parti travaillistes dans certaines circonstances et à
droite du Parti conservateur dans d’autres et souvent sur une ligne centrale
adoptée par tous les partis de gouvernement.
Par ailleurs, la philosophie pratique des Libéraux-démocrates
n’est pas nouvelle: gouverner avec ceux qui ont la meilleure offre, non
seulement en reprenant la plus grosse partie possible de leur programme mais en
offrant le plus grand nombre de postes ministériels intéressants.
Sachant qu’ils ne peuvent être majoritaires, les centristes
britanniques choisissent donc de s’allier avec ceux qui leur permettent
d’exister au mieux politiquement.
Et un de leurs arguments recevables est d’expliquer que, par
leur présence, ils empêchent les ultras, conservateurs cette fois-ci peut-être
travaillistes au sortir des élections, de dicter leur loi au gouvernement.
Sans oublier que si les Libéraux-démocrates peuvent adopter
cette posture, c’est que l’on n’est plus dans un système où deux partis
dominent de manière hégémonique, l’un à droite, l’autre à gauche, la vie
politique du Royaume Uni.
Aujourd’hui, aux côtés des Conservateurs et des
Travaillistes, il existe plusieurs partis qui peuvent jouer un rôle important
dans la constitution d’un gouvernement.
Outre les Libéraux-démocrates, on trouve, par exemple, les
nationalistes écossais pro-européens du SNP et les nationalistes anti-européens
de l’Ukip
Néanmoins, l’impression désagréable d’un comportement de
marchand de tapis persiste malgré toutes ces bonnes raisons que l’on vient d’énoncer.
Sans doute parce que les Libéraux-démocrates n’ont pas de
ligne politique très claire et qu’ils ont montré qu’ils étaient capables de
reniements sans aucun scrupule.
Si l’on se réfère aux cinq ans qu’ils viennent de passer en
compagnie des Conservateurs au gouvernement, ils auraient du quitter celui-ci à
maintes reprises s’ils avaient été fidèles à nombre de leurs positionnements
passés.
Cela n’a pas été le cas, en grande partie pour ne pas
provoquer des élections législatives anticipées au cours desquelles il y avait
de grandes chances qu’ils soient laminés.
Peut-on espérer que le comportement des centristes
britanniques soit moins flou lors de la prochaine législature?
On voudrait le croire et, certainement, les négociations en
vue de la formation d’un nouveau gouvernement le démontreront rapidement
puisque les LibDems ont mis plusieurs «lignes rouges» qu’ils ne franchiront
pas.
L’une d’elles, par exemple, est qu’ils ne s’allieront pas
avec un parti qui ne déciderait pas la revalorisation salariale des employés du
secteur public.
Quant à savoir si, in fine, leur présence dans le
gouvernement actuel a été bénéfique pour le Royaume Uni, c’est, en tout cas,
l’opinion du quotidien conservateur mais pro-européen, The Financial Times,
qui, dans un éditorial, écrit que «le parti de monsieur Clegg a prouvé qu’il
avait été un partenaire responsable au gouvernement. Les électeurs doivent
décider pas seulement quel parti mais aussi quelle coalition aura la meilleure
chance de former un gouvernement stable et orienté vers les réformes. Le pays
bénéficierait de la force compensatrice de la modération des LibDems à
Westminster (le Parlement). Pour les sièges où les LibDems sont le sortant ou
le principal challenger, nous voterions tactiquement pour eux».
Ce que Nick Clegg a ramassé en une formule citée par Le
Figaro: «les Libéraux-démocrates apporteront un cœur à un gouvernement
conservateur et un cerveau à un gouvernement travailliste»…
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
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