Le voyage à Damas d’une délégation de quatre parlementaires
français pour y rencontrer le dirigeant du pays, Bachar Al-Assad et dans
laquelle se trouvait François Zocchetto, sénateur-maire UDI de Laval, a
provoqué de nombreux remous et de réactions négatives (voir, par exemple, la tribune de Jean-François Borrou sur notre site).
Alors qu’une majorité de la classe politique mais aussi de
Français condamnent cette visite à un régime dictatorial selon un sondage IFOP
pour le JDD, l’UDI joue une partition différente, tant au niveau de ses
dirigeants que de ses sympathisants.
Pendant que François Zocchetto tentait de justifier sa
poignée de main à Assad tout en ne regrettant pas une seconde son déplacement,
Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI, soutenait celui qui est le président
du groupe centriste au Sénat, tout comme d’ailleurs Hervé Morin et
Jean-Christophe Fromantin, deux anciens candidats à la présidence et tous deux
députés.
De plus, tous estiment qu’il faut dès à présent renouer le
dialogue avec Assad.
Jean-Christophe Lagarde se montre même particulièrement
virulent contre François Hollande et la manière dont il mène la lutte contre
Daesh pour soutenir l’initiative de Zocchetto.
Quant aux sympathisants UDI, ils sont 57% à approuver cette
visite (dont 14% «tout à fait») ce qui en fait le seul groupe de sondés dans ce
cas (les sympathisants du MoDem étant 51% à la désapprouver, de même que 56% de
ceux qui ont voté Bayrou à la présidentielle de 2012 ainsi que 71% des
Français).
En outre, ils estiment à 70% qu’il faut renouer le dialogue
avec le régime d’Assad (56% des Français y étant à l’inverse opposés).
Enfin, ils sont 77% à vouloir une intervention militaire en
Syrie (les plus nombreux du panel devant ceux du MoDem à 72%).
Comment expliquer cette étonnante particularité de l’UDI et
de ses sympathisants – plutôt classés dans les modérés – au vu des valeurs du
Centre et de la nature même du régime syrien dont les exactions sont
monstrueuses et fort documentées?
La réponse se trouve dans la sociologie politique avec une
référence indispensable aux croyances religieuses.
L’UDI – tout comme le MoDem – se revendique comme un
héritier de la démocratie chrétienne.
La montée de l’Islam et, surtout de l’islamisme violent et
du terrorisme version Al Qaida, Daesh et Boko Haram, est une préoccupation
majeure pour les adhérents et les sympathisants du parti centriste.
Surtout quand ce terrorisme décide de s’attaquer aux
chrétiens et plus particulièrement, pour l’instant, à ceux qui se trouvent encore
au Moyen Orient, de l’Egypte à la Syrie en passant par l’Irak ou la Libye.
Ainsi, Jean-Christophe Fromantin estime, dans une interview
au Parisien, «indispensable» de dialoguer avec le régime de Damas, parlant de «tendance
génocidaire» des islamistes à l’encontre des chrétiens d’Orient alors que,
selon lui, au temps d’une Syrie dirigée entièrement par Assad «chrétiens et musulmans
cohabitaient de façon apaisée».
Mais c’est tout autant par solidarité avec ces chrétiens qui
sont victimes de meurtres et de cruautés inacceptables que par une volonté de
faire barrage dès à présent à une possible exportation sur le sol européen et
français de cette violence aveugle et bestiale que le réflexe est de s’allier
avec tous ceux qui se battent (ou prétendent de le faire comme Assad qui, en
réalité, instrumentalise les exactions contre les chrétiens à son profit tout
en laissant faire Daesh) contre le terrorisme islamiste.
C’est de cette façon que l’on peut également comprendre le
soutien tout aussi étonnant de nombreux leaders centristes à Vladimir Poutine
qui est considéré comme le rempart de la civilisation chrétienne, à la fois,
dans sa lutte contre l’Islam radical dans son pays mais aussi dans son soutien
au régime d’Assad.
Est-ce à dire que l’UDI et ses sympathisants pensent que
nous sommes entrés dans une nouvelle guerre de religion?
Hervé Morin a ainsi déclaré sur France 2 qu’«on est dans un
climat qui, de près ou de loin, s’approche de cette guerre des religions dans
laquelle nous sommes en train de, progressivement, aller».
Néanmoins, un autre sondage réalisé par l’IFOP pour le site
Atlantico en rapport avec les attentats de Paris montre que les sympathisants ne
vont pas, encore, dans ce sens.
Ainsi, 65% des sympathisants UDI estimaient qu’il «ne faut
pas faire d’amalgame, les musulmans vivent paisiblement en France et seuls des
islamistes radicaux représentent une menace».
Reste que selon un sondage IPSOS-Le Monde, 70% des
sympathisants de l’UDI (la plus forte proportion pour un groupe) estiment que
la France est en guerre contre le terrorisme islamique (contre 53% pour
l’ensemble des Français).
Dans le même sondage 50% des sympathisants UDI estiment que
l’Islam n’est pas «une religion compatible avec les valeurs de la société
française».
Mais, ce qui confirme, en tout cas, la forte base religieuse
des électeurs de l’UDI est que 60% désapprouvent et sont opposés à la
publication de caricatures du style de Charlie Hebdo qui, rappelons-le, ciblent
souvent le christianisme et plus spécifiquement la religion catholique.
C’est le pourcentage le plus élevé du panel à égalité avec
l’électorat UMP.
Dès lors, il est plus facile d’expliquer les réactions des
responsables et des sympathisants de l’UDI au voyage des quatre parlementaires
en Syrie.
De même, on peut également expliquer que les sympathisants
UDI soient moins regardant sur les atrocités du régime d’Assad (qui ne visent
pas spécifiquement les chrétiens) que sur celles des jihadistes de Daesh (qui
s’abattent de plus en plus sur les chrétiens).
Par ailleurs, le premier ne risque pas d’intervenir
militairement en France alors que les seconds menacent notre pays constamment
et les attentats du 11 janvier dernier ont prouvé leur pouvoir de nuisance et
de mort.
Dès lors, faire alliance avec Assad n’est avant tout, pour
l’UDI et son électorat, qu’un moyen d’éliminer la menace terroristes contre
l’Europe et la France.
Cependant, il est plus difficile de comprendre comment un
parti et des sympathisants qui se disent humanistes peuvent vouloir autant
faire alliance avec un tyran contre des terroristes, l’un tout autant
sanguinaire que les autres.
L’angoisse, voire la peur, est sans doute un élément moteur
qui permet de détourner le regard des charniers du régime au nom du principe de
réalité que les relations extérieures, même d’une démocratie, ne se font pas
avec des principes humanistes mais avec la recherche d’une efficacité maximum en
fonction du but à atteindre.
Pourtant, il est sans doute faux de croire qu’Assad est
incontournable dans le combat contre Daesh, lui qui, ne contrôle plus qu’une
infime partie du territoire syrien et dont la parole ne vaut pas grand chose.
Se battre victorieusement contre l’organisation terroriste est
possible sans passer une alliance avec Assad.
Enfin, n’oublions pas que le régime syrien est un régime
terroriste depuis longtemps.
Dirigé alors par le père de Bachar, Hafez, il a été
responsable de nombreux attentats meurtriers ayant touché notamment la France, entre
autres celui de l’immeuble du Drakkar à Beyrouth qui fit 58 morts, tous
militaires français venus défendre les chrétiens du Liban, le 23 octobre 1983,
revendiqué par un des grands amis du régime… l’Organisation du Jihad
Islamique!
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC
(Sondage
IFOP pour le JDD réalisé les 26 et 27 février 2015 par internet auprès d’un
échantillon de 1.007 personnes de plus de 18 ans représentatif de la population
française / méthode des quotas / marge d’erreur de 3 points)
(Sondage
IFOP pour Atlantico réalisé les 19 et 20 février 2015 par internet auprès d’un
échantillon de 1.002 personnes de plus de 18 ans représentatif de la population
française / méthode des quotas / marge d’erreur de 3 points)
(Sondage
IPSOS pour Le Monde réalisé les 21 et 22 janvier 2015 par internet auprès d’un
échantillon de 1.003 personnes de plus de 18 ans représentatif de la population
française / méthode des quotas / marge d’erreur de 3 points)
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