Nous publions ici les entretiens que le directeur du CREC,
Alexandre Vatimbella a eu avec Jean-Christophe Lagarde et Hervé Morin. Ils ont
été réalisés à l’occasion du deuxième tour de l’élection pour la présidence de
l’UDI où les deux hommes, le premier président de Force européenne démocrate,
le deuxième du Nouveau centre, sont les finalistes et où l’un des deux sera,
donc, le prochain président de la formation centriste à partir du 15 novembre.
Les mêmes questions ont été posées aux deux candidats.
Notre objectif dans cette entreprise n’est ni la polémique,
ni une prise de position pour l’un ou l’autre des candidats et encore moins des
questions pièges mais de permettre à Jean-Christophe Lagarde et à Hervé Morin
de dire ce que sont pour eux le Centre et le Centrisme et pourquoi ils se
considèrent comme centristes ainsi que leur projet politique.
Ceci est en rapport avec la mission que s’est assignée
depuis maintenant près de dix ans, en 2005, le CREC.
Celle-ci est double:
- Donner un éclairage de ce qu’est le Centre et le
Centrisme, d’abord;
- Discuter du Centre, du Centrisme et des centristes dans ce
qu’ils sont et ce qu’ils font actuellement par des analyses et des commentaires.
Dans ce cadre, il s’agit de donner la parole à deux leaders
centristes qui s’affrontent pour la présidence du principal parti centriste et
qui développent deux visions personnelles de ce qu’est le Centre et le
Centrisme qui pourraient bien être, l’une ou l’autre, voire l’une et l’autre,
celles qui domineront les prochaines années et les prochains rendez-vous
électoraux dans l’espace centriste.
- Qu’est-ce que le Centre pour vous?
Hervé Morin: Pour moi, le Centre, c’est une exigence
personnelle, intellectuelle et politique. Croire en une communauté de destins
là où règne l’individualisme. Croire en une société d’équilibre quand
progressent les extrêmes. Croire que la liberté peut se conjuguer avec la
justice et la responsabilité. Croire que la force vient de l’équilibre des
pouvoirs et non du renforcement de l’un d’entre eux. Croire que derrière les
nations il y a l’Europe.
Jean-Christophe Lagarde: C’est la force centrale de la vie
politique française. Ce n’est pas les «modérés», le «marais» ou l’«entre-deux».
C’est le rassemblement de ceux qui partagent les valeurs de l’humanisme et du
fédéralisme.
L’humanisme est le contraire de ce que prône le Parti
socialiste, qui privilégie la notion de classe sur l’individu, ou de ce que
prône la Droite qui est dans un individualisme cherchant à donner satisfaction
à chaque personne, à ses besoins, à ses fantasmes pour essayer de les agréger
électoralement. Mais que ce soit pour le Parti socialiste ou pour l’UMP cet
individualisme a fini par monter les groupes les uns contre les autres. Pire
encore cela a contribué à effacer du discours politique le fait que pour
obtenir un résultat il fallait du temps, des efforts et en mesurer l’impact sur
les autres et même sur l’environnement.
Ce n’est pas l’accumulation des satisfactions des désirs
individuels qui fait une société. C’est au contraire le projet que l’on peut
partager et l’environnement que l’on crée autour de chaque personne –
environnement économique, politique, social, environnemental – qui permet son
épanouissement.
Je ne crois pas que le Centre soit un équilibre, c’est une
doctrine politique basée sur l’humanisme et le fédéralisme, doctrine politique
qui a été abandonnée par ses acteurs.
J’ajouterai d’ailleurs une troisième valeur moins connue de
nos adhérents, le solidarisme qui est commun, à la fois, à la branche
démocrate-chrétienne du Centre et à la branche laïque, la branche radicale. Elle
n’a plus n’a pas été porté, et depuis longtemps, alors qu’elle nous relie à
toute la société mutualiste et à cette idée qu’à chaque fois on préfère le
contrat à la loi, que la loi encadre parfois le droit de faire des contrats.
Et puis nous sommes des fédéralistes, qu’il s’agisse de
l’Union européenne mais aussi de la reconstruction des territoires.
Depuis la conférence de presse du général de Gaulle, qui
nous avait traités de cabris, nous avons fini par nous persuader que le mot
fédéralisme faisait peur en France. Résultat des courses, la construction de
l’Europe se fait depuis une vingtaine d’années, en tout cas depuis 22 ans,
depuis Maastricht, dans une logique qui doit aboutir au fédéralisme sans qu’on
n’ose le dire aux français.
Ainsi l’euro est une monnaie fédérale et non commune et la
Banque centrale européenne est une banque fédérale et non centrale.
Nous avons peur de quoi? Je souhaite que nous assumions
totalement notre identité fédéraliste qui n’est pas la fin de la France. C’est
au contraire la reconquête de notre souveraineté, perdue ou illusoire au niveau
national, pour que nous ayons dans un gouvernement de la zone euro, ou d’une
zone plus restreinte si certains ne veulent pas aller plus loin, qui partage la
même stratégie monétaire, la même stratégie industrielle, la même stratégie
commerciale et la même stratégie énergétique et de transition énergétique. Ce
sont à mes yeux les enjeux les plus importants que nous ayons devant nous pour
ne pas subir la loi des grands ensembles internationaux qui sont en train de se
constituer.
Et ceci doit être porté. Beaucoup de nos amis ont renoncé à
le faire parfois par euro-béatitude. On a pris la sale manie dans la sphère du
Centre de dire que tout ce qui venait de l’Europe était bien alors qu’il y a
des choses à corriger.
Mais la pire des manies c’est de ne plus dire quel est
l’objectif.
Quand les Pères fondateurs de l’Europe ont créé la
Communauté du charbon et de l’acier, c’était avec l’idée que tout cela
aboutirait à des Etats-Unis d’Europe. Sans doute ma génération ne les connaitra
pas, mais ce n’est pas une raison pour ne pas avancer et pour renoncer à
montrer un chemin.
Quand on a fait la CECA, la politique agricole commune, le
SME c’était une stratégie de petits pas mais il y avait une perspective. Depuis
Maastricht, on a cessé de montrer la perspective. C’est de notre devoir de la
montrer et de l’assumer de nouveau.
Et puis nous sommes fédéralistes, girondins, quand il s’agit
d’écrire les territoires. Cela fait quinze que nous disons qu’il faut réécrire
la gouvernance territoriale française avec deux axes.
D’abord avoir des régions qui ont un niveau de pertinence et
de dynamisme économique qui est suffisant pour rayonner au moins au plan
européen, pour certaines d’entre elles au plan mondial. Cela nécessite des
regroupements mais pas arbitraires comme ceux que l’on est en train de faire.
Notre fédéralisme se construit à partir de ce que les acteurs politiques,
économiques et sociaux d’un territoire portent comme projet. Mais il faut qu’il
y ait un projet derrière sinon ce sera un échec.
Ensuite parce que vouloir apporter la même solution à tous
les territoires du pays conduit à un échec systématique. Et dans un monde qui
est plus souple, plus rapide, il faut être, à partir des territoires,
imaginatifs, diversifiés, créatifs, ambitieux et tournés vers l’extérieur.
L’humanisme et le fédéralisme sont les deux valeurs qui sont
une réponse à la crise que nous subissons à la fois pour rendre la France plus
mobile et pour reconquérir les souverainetés qui nous ont échappé.
Quant au solidarisme c’est une valeur que nous devons
réécrire et que nous avons malheureusement laissée de côté alors qu’elle
correspond à notre vision mutualiste de la société et également que nous
préférons le contrat à la loi.
Quant au Centrisme, pour moi, ce n’est pas un équilibre ou
un milieu mais une détermination, un chemin tracé à partir des deux valeurs que
sont l’humanisme et le fédéralisme.
Je me bats contre l’héritage d’une génération qui a fait
perdre le Centre, qui a dispersé les centristes faute d’avoir conservé et
identifié ce qui nous rassemble et ce en quoi cela répond aux problématiques de
la société française.
Je veux que l’on reprenne les problématiques de la société
française à partir de cette grille de lecture simple que sont nos valeurs. Et
je souhaite que l’UDI se dote d’un projet dont la colonne vertébrale sera
d’être l’avocat de nos enfants. Nos générations ne peuvent pas plus longtemps
acheter leur confort du moment à crédit, au détriment de l’avenir de nos
enfants.
- Pourquoi êtes-vous
centriste?
Hervé Morin: D’abord parce que je suis un rebelle par nature.
J’ai eu une relation conflictuelle à l’ordre et à l’autorité quand j’étais
jeune et il m’est resté de cette époque l’exécration du chef charismatique. Je
n’aime pas, ce qui est curieux pour un ancien ministre de la Défense, les systèmes
top-down, les hiérarchies rigides. J’aime les sociétés participatives, j’aime
l’écoute, j’aime la bienveillance.
J’ai beaucoup lu, quand j’étais jeune, la philosophie
anarchiste. J’étais très attiré par cette pensée et l’idée qu’il existe quelque
chose de plus précieux que tout, l’homme.
Jean-Christophe Lagarde: Parce que je pense que le rôle de la
vie politique, c’est deux choses. D’une part il s’agit de tracer des
perspectives de long terme pour le peuple français qui est très politique et
dont l’identité n’est pas basée sur sa langue, sa culture, etc. mais sur un
projet politique depuis la Révolution française. Les Français ont besoin d’un
projet qui les porte loin. Un projet qui satisfasse notre envie d’universalité,
parce que c’est propre au caractère français, et en même temps qui permette
d’avoir une raison sur le long terme de vivre ensemble, de travailler ensemble,
de fournir des efforts ensemble. Et pour que vous puissiez avoir des politiques
de long terme il faut trouver, après débat, des consensus durables.
On ne peut pas reconstruire l’école, qui n’a plus de
républicaine que le nom, si les politiques changent tous les cinq ans. Comme on
ne peut pas avoir un système fiscal efficace si on change les lois fiscales
tous les ans.
Il y a beaucoup de politiques qui nécessitent du long terme.
Et, paradoxalement, moins la Droite et la Gauche ont de
différences entre elles, moins il y a de consensus sur les grandes questions
comme l’école, les institutions, la politique de la défense, la sécurité
sociale, etc.
D’autre part, parce que la politique est faite pour trancher
des aspirations contradictoires d’une société. Je ne pense pas que se faire le
défenseur d’une classe – que ce soit les plus aisés ou les plus pauvres – soit
une façon de gouverner un pays. Le moment où l’on tranche on doit le faire en
équité et en efficacité ce que l’on ne peut pas faire quand on est défenseur
d’une classe ou d’une autre.
- Quelles sont les
valeurs principales du Centre selon vous?
Hervé Morin: Le caractère sacré de la personne ; l’obsession de
la préservation de la liberté d’où l’attachement à l’équilibre des pouvoirs ;
l’attachement à la responsabilité mais aussi à la solidarité envers ceux qui
doivent faire l’objet de plus d’attention que les autres ; un catamaran qui
pour voguer au grand large s’équilibre entre la liberté et la justice.
Je suis très étonné de voir que les Français qui sont très
attachés à l’idée d’égalité tolèrent par exemple autant d’inégalités avec notre
système éducatif qui n’a jamais été aussi inégalitaire et qui est de moins en
moins performant. Regardons aussi ce système de formation professionnelle qui
ne donne pas de deuxième chance à ceux qui sont à terre, ce système de retraite
lui aussi inégalitaire, ce système de santé qui va progressivement vers de plus
en plus d’inégalités. Sans parler des inégalités entre territoires.
Et bien entendu, pour nous, l’identité européenne fait
partie de notre ADN. Il nous faut poursuivre notre destin européen. Nous avons
été les premiers dans l’histoire de l’humanité moderne à construire un système
de coopération entre les Etats reposant sur un ordre juridique qui s’imposent à
eux. Ce système c’est le système qui devrait inspirer le monde.
Jean-Christophe Lagarde: L’humanisme, le fédéralisme, le
solidarisme, c’est le socle du Centrisme. Et ne pas considérer qu’une idée est
forcément bonne parce qu’elle vient de son camp ou qu’elle est forcément
mauvaise parce qu’elle vient du camp d’en face. C’est pour cela que l’on est
souvent caricaturé, nous les centristes. Mais il s’agit en réalité de la capacité
d’une ouverture d’esprit, de se poser la question, sujet par sujet, plutôt que
d’avoir un réflexe pavlovien qui voudrait que l’origine de l’idée en ferait la
qualité.
- Vous sentez-vous
plus de centre-droit ou du Centre?
Hervé Morin: Je me sens du centre-droit parce que le PS tel
qu’il est ne peut être une alternative et que le système institutionnel oblige
à choisir. Je suis aussi du centre-droit parce que je suis très attaché à la
liberté, à la responsabilité. Mais, en réalité, le problème du centrisme, ce
n’est pas vraiment les centristes mais les socialistes qui considèrent que leur
salut électoral ne vient que de la gauche de la Gauche.
On reproche aux centristes d’être toujours à droite tout
simplement parce que les socialistes ne s’imaginent pas être ailleurs que dans
une alliance avec leur gauche.
Jean-Christophe Lagarde: Je me sens plus du Centre. Mais nous
sommes nécessairement au centre-droit parce que les institutions de la V°
République imposent un système binaire.
- Quel est votre
projet et votre ambition pour l’UDI?
Hervé Morin: De l’UDI, je veux faire une famille. Nous sommes
une organisation mais nous ne sommes pas une famille capable de travailler
vraiment en équipe, de prouver que l’on peut faire de la politique avec
enthousiasme, gaieté, complicité, que l’on peut à quelques-uns renverser des
montagnes.
Et puis c’est aussi démontrer notre capacité à continuer
l’œuvre de reconstruction du Centre de Jean-Louis Borloo, c’est-à-dire
construire un projet à partir des territoires. C’est enfin ne pas se refermer
sur nous-mêmes mais associer à notre projet pour 2017 toutes les forces qui
veulent y participer.
Jean-Christophe Lagarde: Je souhaite d’abord que nous
retrouvions nos racines. Quinze ans de séparation des différentes racines
philosophiques du Centre ont fait perdre de vue à beaucoup ce que nous portons.
La démultiplication des aventures individuelles, des parcours individuels,
chercher à se placer près de ceux qui détiennent le vrai pouvoir, a fait perdre
à nos militants, à nos élus, à nos dirigeants l’idée que nous portions un
projet politique et une ambition politique.
Je pense que l’éclatement de l’UDF qui a eu lieu en 1998 et
en 2002, est né en réalité dans les années 1985-1990 quand nous avons cessé de
réfléchir ensemble. Nous nous sommes contentés de répéter que nous étions
européens, décentralisateurs et sociaux, sans mettre de contenu dedans.
Et pendant toutes ces années la France s’est formidablement
transformée dans ses structures économique, sociale, familiale, politique,
médiatique et nous n’avons pas mis à jour les logiciels centristes.
Pour que nous puissions avoir une ambition et un projet
collectifs, il faut que nous mettions à jour ces logiciels, c’est notre
première priorité et que nous soyons capables de les expliquer simplement aux
Français.
Cette évolution, le Centre doit savoir la faire et il ne l’a
pas faite ces vingt dernières années.
Il convient aussi de passer d’un parti de notables modérés
et ruraux à un mouvement beaucoup plus urbain et populaire. Dans les quartiers
populaires de mon département de la Seine-Saint-Denis, beaucoup de gens sont
accessibles et disponibles à ce que nous disons. Je ne peux pas comprendre que
certains de nos amis croient que la sociologie détermine le vote d’une
population. La politique, c’est d’abord la volonté!
C’est très frappant de voir que mon département qui votait à
25% pour l’extrême-droite il y a encore vingt ans se soit donné autant de
maires centristes. Ce qui démontre que nous correspondons à une frange urbaine
et populaire de la population à laquelle nous ne parlons pas assez.
D’autre part, la France est parvenue à un tel corsetage de
la société, par des règles et des normes dont on croit qu’elles nous protègent
contre les changements du monde, alors qu’elles ne font que rigidifier la
société française dans un monde plus mobile. C’est ce qui signe notre échec par
avance.
On a besoin de dérèglementer, de contractualiser pour
garantir les temps longs et de simplifier le fonctionnement de la société
française.
Car la société française est beaucoup plus convaincue que ne
le croient ses dirigeants politiques que des transformations – je n’emploie plus
le mot réforme parce qu’il a été si galvaudé – sont nécessaires pour que nous
nous adaptations au monde nouveau.
Il y a un changement dans le monde auquel se refusent les
dirigeants car ils ont peur que les Français ne soient pas capables de le
comprendre et de l’accepter. Sauf que le peuple français dans sa vie
quotidienne, dans son travail, est bien obligé de s’adapter chaque jour. La
société française est en avance sur ses dirigeants politiques.
Moi, je souhaite que l’UDI soit le parti de ceux qui vont
reprendre de l’avance sur la société et qui vont démontrer quelles sont les
transformations nécessaires dans notre pays.
Il faut que nous soyons capables de remettre à l’ordre du
jour une république véritable, que ce soit dans le domaine de l’éducation
nationale qui doit redevenir un ascenseur social, dans sa fiscalité qui doit
être efficace et équitable, dans son pacte économique et social pour ne pas
avoir des salariés surprotégés et des chômeurs sur-condamnés.
En réalité, il faut que l’on puisse réécrire la République
sur un de ses principes fondateur presque oublié, celui du mérite.
Enfin, je souhaite que l’UDI traite de tous les sujets, y
compris ceux que nous n’avons pas l’habitude d’aborder, que nous n’aimons pas
aborder. Je pense que c’est parce que nous sommes, nous républicains, absents
de champs comme l’immigration, la sécurité ou la laïcité, qu’un boulevard est
ouvert à l’extrême-droite.
Il faut aussi que nous sachions remettre en cause des
politiques européennes qui ne marchent plus comme Schengen, avec la
libre-circulation à l’intérieur de l’Union européenne des personnes qui
viennent de l’extérieur. C’est à nous de réparer les horloges européennes qui
ne fonctionnent pas. Sinon nous ferons la place belle à ceux qui veulent
détruire le projet européen.
- Etes-vous, oui ou
non, pour le principe d’une candidature d’un centriste à la présidentielle de
2017?
Hervé Morin: Devons-nous avoir un candidat à l’élection
présidentielle? Je réponds non si c’est pour faire 3 ou 5 pour cent. La
présidentielle, c’est un objectif mais c’est aussi la résultante d’une
dynamique politique. Ce n’est pas une fin en soi et un postulat. Nous verrons
en 2016 où nous en serons. En tout cas, je ne veux pas d’aventure individuelle.
Elle nous serait mortelle. Je veux que la décision appartienne à la collectivité
des militants.
Au moment où je vous parle – même si les choses peuvent
changer – le seul qui est en capacité de faire un bon score c'est Jean-Louis
Borloo.
Jean-Christophe Lagarde: Je souhaite évidemment qu’il y ait un
candidat centriste à l’élection présidentielle de 2017 même si je reconnais que
les conditions peuvent apparaître difficiles. Mais j’observe que les Français
sont à la recherche d’autre chose et n’ont pas de nostalgie du pouvoir précédent.
Cet autre chose ne doit pas être les extrêmes. C’est bien pour cela que l’on a
construit l’UDI avec Jean-Louis Borloo. C’est pour que les Français ne soient
pas coincés entre d’une part deux mouvements qui ont échoué, alternativement et
successivement, et d’autre part les démagogues, les populistes et les
extrémistes.
Si je suis élu Président de l’UDI, nous choisirons tous
ensemble, en 2016, qui devra porter nos valeurs et nos couleurs et selon quel
processus. D’ici là, nous devons nous réapproprier les valeurs qui sont les
nôtres, les montrer et traduire ce que cela veut dire dans notre projet
politique.
- Les partis
centristes peuvent-ils devenir majoritaires?
Hervé Morin: Il y a un temps où les cycles se terminent. Je
pense que nous sommes à la fin d’un cycle politique. Notre système
institutionnel est à bout de souffle et les Français s’en rendent compte. Il
est facteur d’impuissance et de défiance. Par ailleurs, le débat profond qui
s’engage au Parti socialiste entre socio-démocrates et socio-collectivistes et
le débat entre la droite dure et la droite modérée au sein de l’UMP feront du
centre une des clés essentielles de la présidentielle de 2017. Une grande
partie du débat convergera vers nous.
Il y a pour nous, centristes, l’opportunité d’écrire ce
nouveau cycle politique. L’UDI pourrait ainsi devenir l’avant-garde et le fer
de lance d’une nouvelle majorité.
Jean-Christophe Lagarde: Oui. Je pense qu’ils le sont déjà dans
la population mais qu’ils ne s’en donnent pas les moyens faute de défendre
notre propre vision de la société.
On parle beaucoup en ce moment de notre indépendance. Cette
indépendance ne se justifie que parce que nous avons une vision de la société
différente des autres partis et de la façon dont elle doit évoluer.
Mais pour que nous le devenions réellement, il faut, à la
fois, revisiter nos projets politiques en fonction des trois valeurs que j’ai
définies et travailler avec les gens qui nous correspondent.
Nous devons vivre et combattre ensemble, nous centristes,
pour lutter contre l’individualisme forcené qui est en train de détruire notre
société à travers les projets de l’UMP et du PS.
- Pourquoi le Centre
est-il un allié naturel de la Droite selon vous?
Hervé Morin: Parce nous avons des valeurs communes. On en a
moins avec les socialistes. La dépense publique nous oppose. Poursuivre
l’augmentation des prélèvements obligatoires n’est pas une bonne politique pour
la France.
Jean-Christophe Lagarde: Tour simplement parce que dans la V°
République, dans un système binaire, l’élection principale qui se trouve être
l’élection présidentielle, fait qu’il n’y a qu’une seule personne qui entre à
l’Elysée et que ce n’est pas possible autrement. Il se trouve que la Gauche a,
à la fois, une alliance avec le Parti communiste, avec une partie de la Gauche
qui est collectiviste et qu’en même temps elle a une vision de l’économie qui
est profondément décalée par rapport à la réalité. Elle est restée les pieds plantés
dans le XIX° siècle c’est-à-dire dans l’idée que nous seuls, dans notre pays,
nous allons pouvoir avoir un modèle économique original, différent des autres.
C’est faux. Au XXI° siècle, forcément, par les échanges d’informations, de
matières premières, de produits manufacturés, de services, nous sommes
interdépendants. La France ne peut pas y échapper. Et c’est toute l’escroquerie
du tandem décliniste Le Pen et Mélenchon, qui sont les deux faces d’une même
«monnaie», qui veulent nous expliquer que la France sera plus heureuse
claquemurée dans des frontières illusoires et des lignes Maginot qui n’ont
jamais fonctionné, une France rapetissée et ayant peur du monde.
Je pense que c’est, à la fois, contraire à notre esprit
national et à notre intérêt. On peut toujours, comme monsieur Montebourg, se
poser la question de savoir si c’est bien ou mal la mondialisation. On peut
même décider de vivre en autarcie. Sauf que c’est impossible et que ça ne sert
à rien car le monde n’attend pas la France pour écrire sa façon de vivre. Alors
il faut nous transformer pour dominer la mondialisation et ne plus la subir.
Savoir si la mondialisation est une bonne ou une mauvaise chose est aussi
stupide que de se demander si le jour se lèvera demain. Comme il se lèvera,
vous avez intérêt à vous préparer à ce qu’il se lève. Moi je souhaite que l’on
montre aux Français qu’en s’y préparant, on est capable de dominer et
d’utiliser à notre profit ce phénomène qui, de toute façon, s’impose à nous.
- L’UDI et le Mouvement
démocrate peuvent-ils fusionner?
Hervé Morin: Non et ce n’est pas le sujet. Je pense que nous
avons bien fait de faire la campagne européenne ensemble mais qu’il y a
aujourd’hui trop de cicatrices pour nous réunir. Je trouve d’ailleurs
hallucinant que l’on me reproche d’être le sous-marin de François Bayrou. C’est
moi qui ai refusé en 2007 la dérive de son positionnement en créant le Nouveau
centre. Si l’UDI existe c’est bien sûr par l’action de Jean-Louis Borloo mais
aussi parce qu’il y avait dans le contrat de mariage 12.000 militants
centristes qui venaient du Nouveau centre.
Jean-Christophe Lagarde: Je crois que le Centre a vocation à
être réuni à terme. Mais, après les erreurs de ces dernières années, les
ambitions personnelles qui peuvent renaître peuvent ralentir cette marche.
C’est pour ça que je pense que nous devons travailler d’abord sur les idées
parce qu’il y a un risque de désaccord sur l’élection présidentielle de 2017.
Je crois aussi que la vie politique française est en train
de vivre un renouvellement politique de génération qui a commencé
paradoxalement à l’extrême-droite avec la fille qui a remplacé le père. Il se
poursuit chez nous aujourd’hui. Il débute aussi au PS. Les seuls endroits où ce
n’est pas le cas, c’est au MoDem et à l’UMP. Mais cela se produira forcément
dans les années à venir et cela facilitera sans doute les choses pour se réunir
entre centristes.
Enfin, il y a une ambiguïté qui a été partiellement levée
lors des municipales et qu’il faut totalement lever, c’est celle des alliances
du Mouvement démocrate, notamment en vue des élections régionales et
départementales. Il n’est pas possible de travailler ensemble s’il y a des
alliances tantôt avec un côté, tantôt avec l’autre. L’UDI, elle, est
parfaitement claire dans ses alliances, parce que nous ne voulons pas confondre
l’indépendance et l’isolement. L’indépendance n’exclut pas une alliance. Mais
l’alliance, pour moi, cela veut aussi dire concurrence et non soumission comme
c’est le cas depuis dix ans.
Avec le Modem, nous avons des combats communs dont le plus
évident est celui des changements institutionnels que nous partageons tous
depuis longtemps, c’est à dire une représentation plus juste du choix des
électeur et la possibilité pour le Parlement de pouvoir s’opposer aux dérives
du pouvoir d’un homme seul.
- Pensez qu’un axe
central allant du social-libéralisme au réformisme de droite est en train de se
constituer et si oui quelle place doit y prendre l’UDI et son libéralisme
social?
Hervé Morin: En 2016, c’est la question qui nous sera posée.
Est-ce que nous sommes capables de bâtir une alternative à l’UMP et au PS en
rassemblant tous ces courants de pensée. Pour l’instant, on a le sentiment
qu’il y a effectivement quelque chose qui peut émerger.
Jean-Christophe Lagarde: Je ne crois pas que ce soit le cas.
Manuel Valls veut une maison commune dont, pour l’instant, il est le seul
occupant. Même ses amis socialistes n’en veulent pas. Peut-être que la montée
de l’extrême-droite y poussera mais ce serait le triste signe d’un échec
collectif.
Il est vrai, en revanche, qu’il y a des frontières
artificielles entre des gens comme Valls ou Juppé.
Pour autant, une recomposition politique n’est possible qu’à
deux conditions. La première est qu’elle ait lieu à l’occasion d’une élection
présidentielle. Si j’ai cru comprendre que François Bayrou voulait soutenir
Alain Juppé, je doute que ce soit le cas de Manuel Valls. La deuxième est que
le Parti socialiste ne soit plus un mais deux puisqu’il y a à l’intérieur des
gens qui sont totalement contre la politique prônée par Manuel Valls. Il s’agit
d’ailleurs peut-être d’une majorité.
Le discours de Manuel Valls est intéressant mais il n’a pas
de base sociologique et politique pour le transformer en actes.
Ce grand axe nouveau demeure manifestement le pari politique
de François Bayrou comme il l’a exprimé lui-même ces derniers jours. Mais
lorsqu’il a ouvert la porte, on la lui a claquée au nez. Je pense que Manuel
Valls, qui a une vision totalement différente du reste du Parti socialiste, a
malgré tout ce tropisme socialiste dommageable qui est que les socialistes
veulent bien travailler avec les centristes du moment qu’ils ne sont plus
centristes.
Les deux familles, qui nous gouvernent depuis 33 ans et nous
ont conduit à l’échec, sont traversées par des lignes de fracture idéologiques
importantes qui devraient conduire, si chacun respectait ses idées, à des
séparations au sein de ce que sont aujourd’hui l’UMP et le PS.
Si leurs idées primaient réellement, c’est à cela que l’on
assisterait. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il faudrait voir si une
recomposition serait possible.
Globalement, oui, il y a un espace important au centre qui
peut accélérer cette recomposition. A mes yeux, plus nous, les centristes,
serons capables d’incarner ce que nous sommes à travers nos valeurs et plus
nous retrouverons cette ambition collective de gouverner la France, plus nous
accélèrerons cette recomposition d’ensembles qui aujourd’hui n’ont plus de
cohérence.
- Les centristes ont
une image favorable dans l’opinion mais ne sont pas crédibles pour gouverner
aux yeux d’une majorité de Français. Comment changer cette perception?
Hervé Morin: L’UDI est le parti le plus populaire en France.
Les gens reconnaissent en nous un certain nombre de qualités qu’ils
recherchent. Ils savent que nous avons une éthique, que nous ne voulons pas les
opposer les uns aux autres. Maintenant nous devons incarner réellement une
alternative.
Jean-Christophe Lagarde: Par nature, la position géographique
qui est celle du Centre – qui n’est pas sa position politique – fait que vous
avez moins d’hostilité pour un centriste chez les gens de gauche que pour un
homme de droite et chez les gens de droite que pour un homme de gauche. Cela
donne une image artificiellement favorable mais qui ne déclenche pas l’adhésion.
C’est cette illusion qui nous rend impuissant. On est plus acceptable par les
gens de gauche et par les gens de droite mais cela ne veut pas dire qu’il y a
plus d’adhésion. A nous de susciter de l’adhésion en assumant ce que nous
sommes !
Le manque de crédibilité vient de ce que l’on nous
caricature comme étant mous, hésitants, indécis. Il faut dire que parfois nous
nous caricaturons nous-mêmes.
Nous devons répondre à ceux qui ne nous voient que comme un
entre-deux. Nous devons apparaître comme une alternative en montrant que nous
avons l’ambition de conquérir le pouvoir pour gouverner et d’être capables de
donner notre propre lecture de la société française.
En gros, la Droite c’est l’idéologie qui se revendique de la
liberté. La Gauche se prétend elle de l’égalité. Nous devons être, nous, la
force politique de la fraternité et de la laïcité. Cette dernière est un
concept spécifiquement français. Bien sûr que nous sommes favorables à la
liberté, bien sûr que nous sommes favorables à l’égalité des chances mais ce
qui nous manque le plus c’est la fraternité et la promotion de la laïcité afin
que la République marche sur tous ses pieds.
- Que ferez-vous si
vous êtes battu lors de l’élection à la présidence de l’UDI?
Hervé Morin: J’ai toujours été pour une formation centriste
forte.
Jean-Christophe Lagarde: Je suis très clair dans ma tête depuis
le départ. Quand on accepte de se présenter à une élection, on espère être élu
mais on accepte la possibilité d’être battu. Je suis convaincu qu’Hervé Morin
est dans le même état d’esprit.
Je me suis engagé il y a vingt-neuf ans dans notre famille
politique; ce n’est pas parce que celle-ci choisirait autre chose que
l’ambition collective que je lui propose que je la quitterais. Je resterais
naturellement à l’UDI en aidant comme je peux celui qui dirigera notre famille
et je ne solliciterais aucune place nationale. Je le ferais en tant que maire,
en tant que député comme je le faisais en tant que militant depuis 29 ans.
Et je n’ai pas de craintes quant à l’explosion de l’UDI. Mon
point de vue et qu’on n’est pas là, Hervé Morin et moi, pour nous même mais
pour les idées que nous portons et que nous avons vocation à porter ensemble.
- Quelles sont les
personnalités que vous admirez?
Hervé Morin: Dans ma vie politique, deux personnalités m’ont
impressionné. Au Centre, Valéry Giscard d’Estaing. Une mécanique intellectuelle
inouïe et l’engagement de toute une vie pour l’intérêt général. Et bien que je
ne l’aie rencontré que lors de deux réunions de travail, Barack Obama possède
une présence et un charisme absolument extraordinaire.
Jean-Christophe Lagarde: Le mot admiration est trop fort pour
moi. Au niveau politique, dans les personnalités que j’apprécie, je citerai
Richelieu, Clémenceau, De Gaulle, Giscard d’Estaing et Barre.
Il y a chez eux une forte détermination d’Etat et en même
temps une aspiration à faire progresser la société. Vous allez retrouver cela
chez chacun d’entre eux et c’est ma ligne de cohérence.
Je crois dans un Etat fort, décidé et capable de
détermination et d’autorité. Et je crois en même temps que l’Etat a le devoir
se savoir faire progresser la société, de la faire évoluer. Par exemple, je
pense que les six premiers mois de Valéry Giscard d’Estaing en 1974 sont absolument
remarquables et qu’il a su faire avancer la société française tout en incarnant
l’autorité de l’Etat.