Ses récentes déclarations et son nouveau positionnement
politique posent, à tous les centristes et pas seulement à ses sympathisants,
la question Bayrou.
Outre son obsession d’occuper l’Elysée, il y avait, chez
François Bayrou, ces dernières années, une certaine fidélité à des idées nées d’une
volonté de faire du Centre un espace politique indépendant, volonté qui était à
porter à son crédit.
Bien entendu, on n’oublie pas que, lors de sa candidature à
l’élection présidentielle de 2007, il avait prétendu que le mot «centre» ne
faisait pas partie de son vocabulaire, ni qu’il se soit ouvert à des militants
de son parti sur sa recherche d’une nouvelle appellation pour situer
politiquement plus exactement, selon ses dires, le Mouvement démocrate qu’il
venait de créer.
L’espace centriste était devenu trop petit pour ses
ambitions mais les résultats souvent catastrophiques du Mouvement démocrate
lors des diverses élections entre 2007 et 2012 montrèrent plutôt le contraire.
Faute de trouver ce nouvel espace, il avait ensuite
réinvesti, à la veille des dernières présidentielles, celui du Centre, se
déclarant centro-centriste, toujours adepte du fameux ni-ni, ni gauche, ni
droite, qu’il avait mis en place en créant le MoDem, prônant un rassemblement
large sur lequel il pourrait s’appuyer en cas de victoire personnelle.
En adoptant cette posture dès 2007, il s’était enfermé dans
un isolement total ayant confondu indépendance et solitude, ne voulant pas
entendre parler d’alliances mais de ralliements alors même que son parti ne dépassait
que rarement les 10% des voix aux diverses élections.
Sa campagne poussive de 2012 avait, à nouveau, connu
quelques déraillements idéologiques où on l’avait vu, afin de faire décoller
ses scores dans les sondages, tresser des lauriers à répétition au Général de
Gaulle, parler de nationalisme et de protectionnisme économiques en perdant de
vue les fondamentaux même du Centrisme comme le libéralisme, se présenter comme
un rempart face une mondialisation soi-disant mortifère pour l’identité
française ainsi que prôner une union nationale aux contours changeants et à
géométrie variable, vantant un unanimisme introuvable.
Sa troisième défaite présidentielle avec un score divisé par
deux par rapport à 2007, la perte de son siège de député, l’hémorragie de
militants et d’élus au sein du Mouvement démocrate, sa voix de plus en plus
inaudible ont amené François Bayrou à tout faire pour retrouver une existence
politique.
Malheureusement, cela s’est fait en enterrant à nouveau son
positionnement centriste.
Après avoir lâché en route nombre de ses anciens lieutenants
du MoDem en tournant le dos à l’alliance à gauche que son vote pour François
Hollande (ou, plutôt, contre Nicolas Sarkozy) laissait augurer selon certains
d’entre eux, il s’est d’abord rapproché de l’UDI de Jean-Louis Borloo en créant
cette «organisation coopérative», sorte d’OPNI (Objet politique non-identifié),
afin de retrouver de la crédibilité et de se faire élire maire de Pau (grâce
aux voix de l’UMP!) et, dans la foulée, assurer à sa fidèle d’entre les
fidèles, Marielle de Sarnez, sa réélection au Parlement européen, tout cela sur
le dos de l’UDI qui demeure encore groggy d’avoir servi de marchepied au retour
politique de son ancien plus grand contempteur et à sa nouvelle préemption de
l’espace centriste.
Depuis, ses déclarations montrent que l’homme a retrouvé
l’ambition nationale (alors qu’il avait lui-même expliqué qu’il ne sortirait
plus de sa province béarnaise s’il était élu premier édile de Pau) et qu’il
chasse désormais sur les terres d’une alliance avec Alain Juppé et François
Fillon tout en critiquant sans ménagement François Hollande alors qu’il se
targuait il y a peu d’entretenir une relation forte et enrichissante ainsi que
de partager nombre de ses points de vue avec l’actuel président de la
république.
Ses récentes apparitions et déclarations dans les médias
confirment qu’il n’a pas passé la main et qu’il ne souhaite absolument pas le
faire, d’autant que le retrait de la vie politique de Jean-Louis Borloo a été
une divine surprise, le laissant seul dans l’espace centriste en tant que
personnalité connue de l’ensemble des Français.
Mais si grâce à François Bayrou les médias parlent du Centre
et des centristes, il est aussi celui qui phagocyte le même Centre et qui
marginalise les centristes à son profit et ses ambitions.
Or, aujourd’hui, la question Bayrou est de savoir s’il sert
ou dessert le Centre et le Centrisme.
S’il conserve depuis des années une bonne opinion chez les
Français, il a toujours été vu, dans les sondages, comme un homme qui ne possédait
pas la stature d’un président de la république et qui n’avait pas les moyens
politiques de son ambition personnelle.
En outre, il a réussi maintes fois à brouiller le message
centriste avec, au fil des ans, ses multiples rapprochements et éloignements
qui ont commencé avec Valéry Giscard d’Estaing puis avec Jacques Chirac et jusqu’à
François Hollande, en passant par Daniel Cohn-Bendit ou Ségolène Royal, sans
parler de Nicolas Sarkozy en qui il voyait le dévoiement personnifié du
politique pour affirmer désormais qu’il pourrait s’allier avec lui si l’homme
changeait.
En agissant ainsi au grès des circonstances, que ce soit au
niveau des grandes lignes de sa vision politique que de ces accointances
personnelles, il a maintenu le Centre dans cette sorte de mouvance indéfinie où
l’on peut brûler le soir ce que l’on a défendu le matin même.
Si l’on regarde son évolution depuis 2012, on s’aperçoit
qu’il est passé sans difficulté de la proximité avec la Gauche (Hollande) à
celle avec la Droite (Juppé & Fillon), toujours avec ce fameux discours de
«lanceur d’alerte» dont il s’est attribué indûment la seule paternité et qui
est de prédire le pire tout en n’ayant pas grand-chose à proposer à la place,
faisant de lui une sorte d’éternel opposant au pouvoir en place quel qu’il soit.
Comment, par exemple, peut-il prétendre que François
Hollande n’a aucune ligne directrice, aucune politique cohérente, qu’il ne sait
pas où il va et avoir appelé à voter pour lui il y a seulement deux ans?...
C’est d’autant plus dommage que François Bayrou a été
parfois sur la bonne ligne centriste et, comme nous l’avons dit, qu’il faut
louer sa bataille pour l’indépendance du Centre, même si celle-ci avait des
arrière-pensées pour son destin personnel.
Reste que la question Bayrou est aussi et peut-être surtout
celle du remplacement des élites politiques.
Elle se pose tant à gauche qu’à droite ou au centre.
Mais alors que l’on voit poindre quelques nouvelles têtes
tant à gauche qu’à droite, il n’y en a quasiment aucune au centre.
Car si François Bayrou a pu demeurer aussi longtemps en haut
de l’affiche centriste, il le doit autant à ses talents politiques qu’au désert
qui l’environne.
Non pas qu’il n’y ait pas de personnalités de qualité au
centre de l’échiquier politique, loin de là.
Mais elles ne parviennent pas à se faire un nom et une
notoriété comme ce fut le cas des Jean Lecanuet, des Jean-Jacques
Servan-Schreiber, des Raymond Barre ou des Simone Veil qui parvinrent en leur
temps à prendre le relais de leurs aînés.
Dès lors, la question Bayrou est aussi celle de tous les
autres leaders du Centre d’aujourd’hui.
Et elle est cruciale.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC
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