Il y a quelque chose de particulièrement indécent – pardon,
de «politique» – à voir ceux qui le
combattaient durement hier, dresser aujourd’hui des couronnes de lauriers à Jean-Louis
Borloo pour mieux l’enterrer en vue de demain.
Que n’a-t-on entendu dans les coulisses de l’UDI, ses «amis»
le railler sur ses addictions voire sur ses incapacités congénitales à se
décider et à diriger ainsi qu’à aller au combat.
Sans parler des noms d’oiseaux et des synonymes de traître
qui se baladaient un peu partout sur les lèvres des responsables de feue l’UDF
puis du Mouvement démocrate, lui qui avait rejoint Jacques Chirac en 2002 puis
Nicolas Sarkozy en 2007 en laissant tomber François Bayrou.
Mais, comme le pointe les médias avec leur énième
enterrement programmé du Centre, son retrait de la vie politique a créé un vide
et un instant critique pour l’avenir, non seulement de l’UDI et de l’Alternative,
mais pour celui de la refondation actuelle des partis centristes.
Car, disons-le, même si Jean-Louis Borloo n’était pas un
centriste (tout comme Valéry Giscard d’Estaing, par exemple), il avait réussi à
réunir l’espace centriste et fait en sorte que les rivaux d’hier soient obligés
de cohabiter ensemble.
Or, lui parti, les vieilles inimitiés et querelles vont
pouvoir reprendre, peut-être de plus belle, sachant que les leçons en politique
ne sont que très peu apprises…
Bien sûr, un président par intérim vient d’être nommé, Yves
Jégo, en attendant le congrès extraordinaire chargé d’élire le nouveau chef de
l’UDI.
Bien sûr, également, les zones d’ombre du rapprochement
UDI-Mouvement démocrate seront oblitérées jusqu’aux résultats des élections
européennes.
Bien sûr, les leaders centristes ont des propos mesurés les
uns sur les autres.
Pour autant, personne ne peut penser une seule seconde qu’Yves
Jégo possède ne serait-ce que le début d’une stature et d’un entregent pour
être le prochain président de l’UDI.
Le problème est qu’il n’y a aucune personnalité qui fasse consensus
pour prendre les rênes de la confédération de centre-droit.
Hervé Morin en tant que président du Nouveau centre,
principale composante de l’UDI, n’est pas celui-là, lui qui a fait fuir une
grande partie de ses anciens amis (les premiers à rejoindre Borloo), qui a fait
un flop retentissant aux présidentielles (incapable de réunir 500 signatures
pour se présenter et ne dépassant pas 1% des intentions de vote dans les
sondages) et qui a été obligé d’adhérer au nouveau parti de Borloo contraint et
forcé par ses derniers lieutenants qui menaçaient tous de le quitter en cas de
refus de sa part.
Et nombre d’anciens du Nouveau centre qui ne l’aiment pas –
et c’est un euphémisme – seront là pour s’assurer qu’il ne mette pas la main
sur l’UDI, comme François Sauvadet, Maurice Leroy ou encore Jean-Christophe
Lagarde.
Ce dernier, qui a créé juste avant de rejoindre l’UDI, un
nouveau parti, la FED (Force européenne démocrate) sera sans doute candidat
comme son ennemi intime Morin (leur brouille date de l’époque où Morin devait
lui céder sa place de président du Nouveau centre, deux ans après son élection,
ce qu’il refusa in fine de faire alors qu’il lui avait donné sa parole afin de
se faire élire à ce poste avec l’appui de Lagarde).
Mais Jean-Christophe Lagarde est un éternel espoir de la
politique et ses interventions publiques sont souvent décevantes comme celle qu’il
a faite pour s’opposer sur tout ce que venait de dire Manuel Valls lors de son
discours de politique générale avec des arguments d’une grande faiblesse,
apparaissant plus jusqu’au-boutiste que les dirigeants de l’UMP…
Son manque d’épaisseur sera sans doute un handicap mais les
bons résultats dans sa ville de Drancy et ses réélections faciles dans un
département de Seine-Saint-Denis penchant toujours fortement à gauche, montrent
une réelle capacité politique.
A côté des deux centristes, on devrait retrouver le radical
Laurent Hénart, second de Borloo et nouveau maire de Nancy mais qui est encore
peu médiatisé et demeure un second-couteau qui aura du mal à donner le dynamisme
dont a besoin l’UDI pour franchir un nouveau cap et se positionner comme la
future troisième force politique du pays.
De même, des personnalités comme François Sauvadet (qui
devrait récupérer la présidence du groupe UDI à l’Assemblée nationale, de quoi
sans doute le contenter), Rama Yade ou Chantal Jouanno, pourraient être tentées
de poser leur candidature sans grandes chances de succès, tant elles manquent
de soutien à l’intérieur de la formation de centre-droit.
Si l’on élargi la recherche, quelques noms apparaissent pour
cette élection comme celui de l’ancien journaliste Jean-Marie Cavada (peut-être
un peu trop âgé), du maire d’Issy-les-Moulineaux André Santini (trop de
casseroles notamment judiciaires), de l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy,
Valérie Létard (un peu trop transparente), du maire de Neuilly-sur-Seine Jean-Christophe
Fromantin (un peu trop individualiste et trop critique sur l’Alternative,
opposant intransigeant à François Bayrou),du député de la Marne Charles de
Courson (trop focalisé sur son dada les dépenses publiques et sans réelle
stature nationale), du nouveau maire de Laval et président du groupe UDI au
Sénat, François Zocchetto (lui aussi quasiment inconnu au niveau national).
Certains pourront y rajouter l’ancien socialiste et ministre
de Nicolas Sarkozy Jean-Marie Bockel (sans aucune troupe pour le soutenir) ou
Jean Arthuis, président de l’Alliance centriste (mais trop velléitaire), qui
font plutôt «has been» que prétendants sérieux.
Si l’on reprend tous les noms que l’on vient de citer, on s’aperçoit
que l’UDI a vraiment un problème de leadership qui pourrait être un handicap
énorme pour son avenir.
D’autant qu’il y a un leader centriste qui possède la stature
nationale, la reconnaissance médiatique et l’expérience de chef, c’est bien
évidemment François Bayrou!
Bien sûr, le président du MoDem et nouveau maire de Pau ne
se présentera pas à la présidence de l’UDI mais il pourrait être le grand
bénéficiaire des moments difficiles qui se préparent dans cette formation.
Pour autant, il sera aussi confronté au manque total de
cohésion et à l’absence de projet et de programme cohérents de l’Alternative,
cette organisation coopérative qui regroupe l’UDI et le Mouvement démocrate.
Si le score de celle-ci est élevé lors des européennes, elle
montrera son utilisé mais pas encore sa légitimité qui devra être construire
après ces élections.
On peut penser que la retraite de Jean-Louis Borloo va
amener François Bayrou à être très consensuel et à faire nombre de compromis
pour s’attirer les bonnes grâces des leaders de l’UDI afin d’asseoir un futur
leadership sur l’espace centriste en vue des présidentielles de 2017 pour
lesquelles il a assuré qu’il ne serait pas candidat (ce genre de promesse n’engageant
que ceux qui la croit) ou pour négocier un «ticket» avec Alain Juppé (son
soutien au maire de Bordeaux contre le poste de premier ministre).
Un scénario fort possible d’autant plus crédible s’il a en
face de lui un président de l’UDI faible et inconsistant.
Reste que François Bayrou est à la tête d’un parti exsangue,
tiraillé entre plusieurs tendances, avec peu de militants, peu de moyens
financiers et peu d’élus (un peu plus néanmoins depuis les municipales), ce qui
ne le place pas en position de force lors de négociations avec l’UDI, c’est le
moins que l’on puisse dire.
Dès lors l’implosion de l’espace centriste est une hypothèse
vraisemblable.
La politique ayant, comme la nature, horreur du vide, cela
ne signifie évidemment pas la disparition des centristes et d’un ou plusieurs
partis centriste mais la refondation centriste en prendrait un bon coup sur la
tête.
Quoi qu’il en soit, au risque de décevoir tous les fossoyeurs
du Centre, et ils sont très nombreux, l’implosion et le morcellement, voire
même la disparition fortement hypothétique d’une force politique centriste, ne
signerait pas la disparition du Centrisme en tant que pensée politique et du
Centre en tant que lieu politique.
Alexandre Vatimbella avec l’équipe du CREC