- Les Etats-Unis
vont-ils trouver leur(s) centre(s)?
2014 sera une année importante pour le Centre aux
Etats-Unis.
Le système politique américain a été bâti par les Pères
fondateurs, à la fin du XVIII° siècle et au début du XIX° siècle, afin qu’aucune
faction ne puisse prétendre gouverner seule et imposer ses choix clientélistes
avec ce respect indispensable des droits de la minorité qui caractérise bien
plus la démocratie que ceux de la majorité.
Cette volonté se retrouve évidemment dans la Constitution
qui a organisé un système de pouvoirs et contre-pouvoirs dont le but déclaré
était qu'il valait mieux bloquer le système plutôt qu’un parti ne réussisse à
le contrôler à son unique profit.
Tout cela a parfaitement réussi avec des blocages à
répétition mais aussi une culture du compromis qui s’est mis en place
permettant aux modérés de gouverner la plupart du temps, permettant au pays de
devenir ce qu’il est, de Washington à Lincoln, de Theodore Roosevelt à Bill
Clinton.
Mais, au milieu des années 1990, sous la présidence
justement du démocrate Bill Clinton, le Parti républicain a fait sa mue sous l’impulsion
de leaders radicaux comme Newt Gingrich, qui ont décidé, à l’opposé de ce que
venait de faire le Parti démocrate en se recentrant après des années de
radicalisme, de jouer la polarisation et plus du tout le consensus.
Une nouvelle radicalisation des républicains a eu lieu après
l’élection de Barack Obama en 2008 alors que celui-ci affichait clairement sa
volonté de gouverner de manière bipartisane et au centre de l’échiquier
politique.
Cela a abouti à la création du mouvement du Tea Party, très
à droite, très réactionnaire et parfois pas loin d’un racisme détestable.
Le blocage est devenu, non plus une menace mais un moyen
politique de détruire l’autre.
Telle est globalement la situation en ce début de 2014, d’autant
que les fameuses élections de mi-mandat le plus souvent mauvaises pour le
président en place se profilent en novembre prochain.
Sauf que les Américains semblent en avoir assez du jusqu’au-boutisme
de l’aile extrême du parti républicain (comme le montre les sondages).
Dès lors, une fenêtre s’ouvre pour les modérés et les
centristes que ce soit au Parti démocrate (où ils sont encore nombreux) ou au
Parti républicain (où ils sont en voie de disparition).
Pour autant, rien ne permet de dire que le prochain Congrès,
qu’il soit dominé par les républicains ou par les démocrates sera centriste car
les radicaux n’ont pas dit leur dernier mot (ils relèvent d’ailleurs la tête
chez les démocrates, réaction assez prévisible devant la guerre idéologique
menée par l’extrême-droite républicaine).
Si les signes vers un retour des centristes républicains et
un renforcement des centristes démocrates existent, l’organisation actuelle de
la politique américaine est un frein puissant.
D’abord dans la désignation des candidats où, chez les
républicains mais aussi chez les démocrates, ils sont désignés par les votes
des militants et ceux qui votent effectivement sont souvent les plus radicaux.
Ensuite par la pratique hallucinante du «gerrymandering» qui
a consisté depuis des décennies à redessiner partout dans le pays des circonscriptions
sûres pour les deux grands partis, celui qui a le mieux réussi à phagocyter le
système étant le Parti républicain (il a ainsi pu demeurer majoritaire à la
Chambre des représentants en 2012 alors que les candidats démocrates ont gagné
plus d’un million de voix supplémentaires…).
Du coup, dans certaines circonscriptions, ce ne sont pas les
élections générales qui sont importantes mais les primaires d’un des deux
partis, celui qui les gagnent étant assuré ensuite d’être élu.
Un mouvement s’est fait jour dans certains Etats afin de
lutter contre cette confiscation de la démocratie par un camp mais il n’est pas
encore assez puissant pour défaire ce découpage électoral pourtant largement
critiqué.
En 2014, on devrait aussi savoir si Hillary Clinton
(démocrate) et Chris Christie (républicain) vont se présenter à la présidentielle
de 2016.
On semble s’acheminer vers ce duel mais des rebondissements
en la matière sont possibles ainsi que l’émergence de nouvelles têtes qui,
inconnues du grand public, sont capables de s’imposer (que l’on se rappelle des
hommes comme Carter, Clinton, George W Bush ou Obama).
Il est à noter qu’un débat important se déroule depuis
quelques mois dans les médias et la classe politique (et qui a continué depuis
le nouvel an) sur ce qu’est un centriste aux Etats-Unis.
Ainsi, pour les radicaux de droite, tous les centristes
déclarés sont en fait des «liberals» et donc des gens de gauche.
Pour les radicaux de gauche, ces mêmes «liberals» ne sont
que des centristes, parfois leur concèdent-ils l’étiquette de centre-gauche.
Mais pour la majorité des «pundits» (leaders d’opinion)
ainsi que pour l’opinion publique en générale, le portrait-robot du centriste
ressemble à celui que l’on fait en Europe, un politique responsable et modéré,
adepte du consensus, du compromis et d’un juste équilibre.
Et si l’on reconnait à celui-ci des qualités, on ne va pas,
comme c’est le cas en Europe, forcément voter pour lui!
On le voit, 2014 sera une année riche pour les centristes
américains qui ont l’occasion de régénérer le débat politique mais qui risquent
également de s’y perdre…
- Des élections à
hauts risques pour les centristes européens.
Si les élections européennes seront un test important pour
les centristes français réunis au sein de l’Alternative, il en sera de même
dans la plupart des pays de l’Union européenne.
Dans tous les pays de l’UE, les partis centristes sont les
plus pro-européens et dans cette période de repli nationaliste, de déshérence
de la solidarité européenne et de montée inquiétante des populismes, ils
risquent de payer le prix fort de leur engagement, en particulier en Grande
Bretagne avec les Lib-Dem déjà sur la sellette pour leur alliance avec les
Conservateurs.
Mais de l’Italie aux Pays bas en passant par l’Allemagne, la
Pologne ou l’Espagne, la capacité des centristes à émerger ou à ne pas sombrer
sera scrutée avec attention.
Il ne faudrait pas, comme cela semble se dessiner, que ces
élections favorables généralement aux centristes deviennent le pain béni des
extrémismes, ce qui menacerait l’Union européenne d’une implosion à plus ou
moins long terme.
- Un Centre dans les
pays arabes est-il possible?
Le printemps arabe est désormais bien loin avec ses espoirs
d’une démocratisation et la mise en place de régimes garantissant les libertés
à tous.
On savait que ce serait une tâche très compliquée car les
adversaires de la démocratie étaient bien préparés et savaient comment utiliser
l’appel d’air en leur faveur.
Il ne que de se rappeler que les partis religieux à l’idéologie
antidémocratique (et qui n’utilisent la démocratie que pour parvenir au
pouvoir) se sont autoproclamés «centristes», se disant à équidistance de l’islam
radical et de la démocratie…
Le pire, c’est sans doute que beaucoup ont cru dans ce
discours spécieux et nombre des formations obscurantistes ont réussi à gagner
les élections.
C’est ce qui s’est passé en Tunisie et surtout en Egypte où
le régime militaire actuel est directement de la responsabilité des Frères
musulmans qui ont tenté d’établir un régime islamique bien loin de la
démocratie.
Mais les événements en Syrie ou en Libye ont également
montré que dès qu’une volonté de s’émanciper de régimes dictatoriaux se faisait
jour dans la population, les terroristes extrémistes accouraient de partout afin
de déstabiliser, avec la bénédiction des monarchies du Golfe, toute une région
et en récolter les fruits sur le modèle de ce qui s’est passé en Afghanistan
avec les Talibans puis avec Al Qeida de Ben Laden.
Pour autant, il serait faux de dire que la démocratie est
impossible dans les pays arabes.
Dans ce cadre, il est intéressant de noter que les
initiatives, réelles celles-ci, de constituer des partis centristes laïques n’ont
pas disparues.
C’est le cas en Tunisie, pays qui tente de se débarrasser
des islamistes qui ont plongé le pays dans le chaos, mais aussi au Liban
(menacé de plus en plus par le conflit syrien) ou au Maroc, même si le roi n’est
pas le plus grand démocrate de la terre.
2014 devrait être pour ces initiatives, une année importante
que tous les démocrates et tous les centristes devraient supporter.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC