Voilà un anniversaire qui est passé presque inaperçu, même
aux Etats-Unis, celui du fameux discours d’Abraham Lincoln à Gettysburg, le 19
novembre 1863, en mémoire aux soldats morts lors de cette bataille particulièrement
sanglante qui se déroula entre les 1er et 3 juillet de la même année
et fut un tournant dans la Guerre de Sécession, décidant largement de la
victoire du Nord contre le Sud confédéré, même si le conflit fratricide dura
encore deux longues années.
Ce discours n’a pas à voir directement avec l’émancipation
des Afro-Américains et avec l’abolition de l’esclavage mais parle de la
démocratie, ce gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple et d’une
nation d’hommes libres qui comprenait déjà dans l’esprit de Lincoln tous les
habitants des Etats-Unis (puisque le discours d’émancipation des esclaves est
antérieur, datant de septembre de la même année).
Ce discours est d’autant plus essentiel qu’en ce milieu de
XIX° siècle, les Etats-Unis sont le seul pays au monde à avoir un vrai système
démocratique (à quelques iotas près évidemment).
Et, Abraham Lincoln qui fut connu pour être un tribun hors
pair, dédie la victoire des troupes de l’Union à la sauvegarde et à
l’approfondissement de cette démocratie en quelques mots d’une extraordinaire puissance
que voici.
«Il y a huit décennies et sept ans, nos pères donnèrent
naissance sur ce continent à une nouvelle nation conçue dans la liberté et
vouée à la thèse selon laquelle tous les hommes sont créés égaux.
«Nous sommes maintenant engagés dans une grande guerre
civile, épreuve qui vérifiera si cette nation, ou toute autre nation ainsi
conçue et vouée au même idéal, peut résister au temps. Nous sommes réunis sur
un grand champ de bataille de cette guerre. Nous vînmes consacrer une part de
cette terre qui deviendra le dernier champ de repos de tous ceux qui moururent
pour que vive notre pays. Il est à la fois juste et digne de le faire.
«Mais, dans un sens plus large, nous ne pouvons dédier, nous
ne pouvons consacrer, nous ne pouvons sanctifier ce sol. Les braves, vivants et
morts, qui se battirent ici le consacrèrent bien au-delà de notre faible
pouvoir de magnifier ou de minimiser. Le monde ne sera guère attentif à nos
paroles, il ne s'en souviendra pas longtemps, mais il ne pourra jamais oublier
ce que les hommes firent. C'est à nous les vivants de nous vouer à l'œuvre
inachevée que d'autres ont si noblement entreprise. C'est à nous de nous
consacrer plus encore à la cause pour laquelle ils offrirent le suprême
sacrifice; c'est à nous de faire en sorte que ces morts ne soient pas morts en
vain; à nous de vouloir qu'avec l'aide de Dieu notre pays renaisse dans la
liberté; à nous de décider que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour
le peuple, ne disparaîtra jamais de la surface de la terre.»
Il n’est pas inutile de se rappeler lors d’anniversaires
mémoriels de cette sorte que la démocratie libérale représentative défendue par
le Centre et le Centrisme n’est pas une donnée intangible dans un monde où ses
adversaires n’ont jamais désarmé et ne désarmeront jamais.
S’il s’agit du meilleur système (ou du moins mauvais…), il
n’est pas «naturel» comme nous l’ont dit et redit tous les penseurs libéraux du
XVIII° siècle à nos jours, nous enjoignant de nous battre pour le conserver.
Au moment où certains à la mémoire courte dans les
démocraties penchent vers des extrêmes qui ont toujours abhorré cette
démocratie libérale, ressourçons-nous dans tous les combats qui nous permettent
aujourd’hui d’être des citoyens libres et égaux afin de faire en sorte que nos
enfants et leurs enfants seront également de cette communauté de privilégiés
que l’on espère voir un jour être composée de tous les habitants de cette
planète.
Et il n'est pas anodin de penser que le discours de Gettysburg fut prononcé par un président américain considéré comme un centriste.