Plusieurs sondages récents donnent un panorama intéressant
de l’état d’esprit actuel des Français.
On pourrait le résumer en disant que ceux-ci sont des pessimistes
(66% estiment l’identité de la France menacée) déclinistes (à 73%), concernés
(93% sont attachés à la France) et préoccupés (à 52%) par la situation actuelle
du pays et par la leur, personnelle, mais qu’ils demeurent combatifs (à 54%
contre seulement 15% résignés) et attachés à la démocratie ce qui n’est pas
sans importance dans une période troublée où les populismes tentent de
récupérer l’angoisse et la colère de la population à leur profit et pour leurs
idéologies obscurantistes.
Ainsi, pour l’enquête CSA (1), dont sont extraits les
chiffres ci-dessus, 57% des Français estiment que le «moyen d’action le plus
efficace pour faire entendre leur voix ou leurs opinions» est le droit de vote.
Toujours selon cette enquête, 72% d’’entre eux estiment
qu’être Français aujourd’hui c’est être attaché «aux valeurs de la République:
Liberté, Egalité, Fraternité».
Une enquête de l’agence Mediaprism (2) citée par Le Figaro
magazine nous apprend, par ailleurs, que 99% des sondés estiment que pour avoir
confiance en l’avenir il faut «être libre de penser et d’agir», 97% qu’il faut
«vivre en démocratie et avoir le droit de vote» et 92%, «vivre dans un pays
laïc».
Ouf! Les Français croient encore à la démocratie et à ses
valeurs.
De même, ils sont encore 67% à choisir le progrès contre
seulement 33%, les traditions, montrant une certaine foi en l’avenir malgré les
difficultés de leur quotidien.
En revanche, ils sont de plus en plus sceptiques sur notre
capacité à vivre ensemble. Selon CSA, 57% affirment même que «ce qui divise les
Français est plus fort que ce qui les rassemble».
Bien sûr, ce résultat vient aussi de cette prise de
conscience positive en démocratie de la différence qui permet à chacun d’avoir
ses idées, ses opinions et sa vision de l’existence sans devoir adopter un
comportement normatif et uniforme des sociétés du passé.
Pour autant, il montre une difficulté à vivre ensemble qui
se traduit souvent par cet irrespect au nom de son «droit» à être, non pas
différent, mais «extraordinaire», c’est-à-dire, in fine, au-dessus des autres.
Et s’ils estiment à 79%, à contre-courant d’une opinion
médiatique fort présente et pesante que le politique ne peut plus rien, que les
gouvernants ont «vraiment les moyens d'agir et d'influer sur le cours des
choses» (32%) ou ont, malgré tout «des marges de manœuvre pour agir mais ne peuvent
influer qu'à la marge sur le cours des choses» (47%), les Français pensent à
88% que les gouvernants «ne se préoccupent pas des gens comme vous».
Et ils sont 49% à affirmer que c’est le gouvernement qui a
le plus de pouvoir pour faire avancer la France sans pour autant se défausser
sur celui-ci puisque 48% disent également que c’est «chacun d’entre nous à son
niveau), tout cela loin devant les entreprises (32%), les mouvements citoyens
(21%) ou l’Union européenne (19%).
Et ce qui les préoccupe le plus désormais, ce sont les inégalités.
En un an, elles sont devenues la «première menace sur la capacité à bien vivre
ensemble en France» comme le dévoile un sondage Ipsos (3) pour le Conseil
économique social et environnemental pour illustrer sa dernière conférence sur
le vivre ensemble.
En hausse de 11 points en un an, c’est le premier item cité
par les Français détrônant au passage la crise économique et financière, 38%
contre 34% (viennent ensuite les extrémismes religieux, l’individualisme, les
extrémismes politiques, le repli communautaire et le fossé entre les
générations).
Dans l’enquête CSA, 77% des Français estiment qu’«au cours
des dernières années les inégalités sociales en France se sont plutôt
aggravées» contre 10% «qu’elles se sont plutôt réduites» et 13% qu’elles n’ont
pas changé.
Néanmoins, s’ils devaient choisir, les Français choisiraient
la liberté (à 61%) plutôt que l'égalité (à 39%) selon CSA.
En ce qui concerne la mondialisation, les Français voient
négativement la globalisation économique (58% contre 27%) mais apprécient la
mondialisation culturelle (49% contre 35%).
Une bonne nouvelle malgré la frilosité en matière d’ouverture
économique, puisque l’on nous rebattait constamment ces dernières années notre
soi-disant fermeture d’esprit vis-à-vis de l’autre étranger, des autres
cultures et de la culture métissée de la mondialisation.
Dans cet afflux de données, les centristes peuvent y trouver
la confirmation que leur positionnement politique correspond à l’époque
actuelle mais aussi qu’il y a des dangers qui peuvent devenir extrêmement
préoccupants dans les années à venir.
La foi en la démocratie, l’ouverture à la culture mondiale,
la volonté d’être combattif face à la situation, savoir que l’on doit compter
sur soi-même (responsabilité) et que la liberté est plus importante que
l’égalité sans pour autant que cette dernière ne soit oubliée (74% pensent que
la société n’est pas assez égalitaire) tout en estimant que les gouvernements
ne peuvent plus rien faire est une vision somme toute équilibrée.
De même, il y a un motif d’espérance dans notre société où
monte l’irrespect de l’autre, les Français placent les incivilités en troisième
position sur ce qui les indigne le plus aujourd’hui, juste derrière la fraude
aux aides sociales et la précarité de l’emploi.
En revanche, la peur de la globalisation économique, le peu
de crédibilité accordée à l’Union européenne, la défiance envers les partis
politiques (75%) et les médias (49%), la vision négative de la décentralisation
(41% contre 22%) montre des Français angoissés par l’ouverture économique au
monde, portant une grande défiance à la politique et à l’information qui est
délivrée (deux biens essentiels de la démocratie) et une appétence très limitée
pour la manière dont la décision politique est organisée entre l’échelon
central et les niveaux locaux.
Reste une donnée essentielle dont les gouvernants doivent se
saisir: 66% des Français estiment qu’il s'agit «d'une crise sans précédent» que
nous vivons actuellement et qu’il sera difficile «d’en sortir sans réformer en
profondeur le pays».
Alors, au boulot, tous ensemble!
Alexandre Vatimbella
Directeur du Crec
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC
(1) Enquête CSA réalisée du
14 au 21 novembre 2013 auprès d’un échantillon représentatif de 2004 personnes
âgée de 18 ans et plus / méthode des quotas / marge d’erreur de 3 points
(2) Enquête Mediaprism réalisée par internet
du 2 au 8 octobre 2013 auprès d’un échantillon représentatif de 1057 personnes
âgée de 18 ans et plus / méthode des quotas / marge d’erreur de 3 points
(3) Enquête ISPOS réalisée
les 8 & 9 novembre 2013 auprès d’un échantillon représentatif de 1025
personnes âgée de 15 ans et plus / méthode des quotas / marge d’erreur de 3
points