Pendant la campagne des primaires démocrates de 2008,
Hillary Clinton a rendu un vibrant hommage au président des Etats-Unis Lyndon
Johnson (1963-1968), dit LBJ, pour avoir réformé en profondeur le pays,
permettant, entre autres, la mise en place d’une assistance médicale pour les
plus âgés et pour avoir fait progresser les droits civiques de manière considérable.
Elle fut alors l’objet d’attaques scandaleuses et de
sarcasmes déplacés de la part des conseillers de Barack Obama pour qui le seul
héros de cette époque était John Kennedy (1960-1963), dit JFK, qui avait précédé
Johnson à la présidence (ce dernier lui succédant après son assassinat en sa
qualité de vice-président).
L’ironie n’est pas tant dans cette erreur historique que
dans le fait que si Lyndon Johnson n’avait pas eu le courage et l’intelligence
politique de faire voter des lois sur les droits civiques et le vote des noirs
face à un Congrès hostile, Barack Obama n’aurait jamais battu Hillary Clinton
lors des primaires démocrates et n’aurait jamais remporté l’élection
présidentielle dans la foulée!
Ici, la légende a totalement éclipsé le vrai réformateur.
D’autant que la présidence de Johnson a été ternie par la guerre
impopulaire du Vietnam dont il faut rappeler qu’elle a vraiment pris son essor
lors de la présidence Kennedy et que ce dernier a refilé la patate chaude à son
successeur.
Et la haine minable (car étant, à la fois, condescendante et
arrogante de personnes se croyant au-dessus des autres) du clan Kennedy pour
Johnson n’a évidemment pas arrangé les choses.
Lorsqu’une famille d’Amérique aussi populaire, aidée en cela
par tous les conseillers brillants recrutés par JKF, crie haro sur un homme, ce
dernier n’a que peu de chances d’être célébré par l’historiographie nationale.
Et pourtant.
Alors que Kennedy a mis toute son énergie (avec son père et
son frère, Robert) à bâtir sa légende de son vivant sur beaucoup de vent – un
peu comme César avec sa campagne de Gaule où il ne fut vainqueur que parce
qu’il avait affaire à des tribus divisées se faisant la guerre et à une
alliance avec une partie de celles-ci –, Johnson, le rude et bougon sudiste,
lui, n’avait pas le profil pour devenir une icône face à ce jeune et bel homme,
soi-disant en pleine santé et possession de ses moyens physiques et
intellectuels, ce qui se révéla largement une escroquerie.
Les révélations de l’histoire ont permis de changer quelque
peu cette vision totalement erronée mais les mythes ont la vie dure comme on a
pu le voir lors des commémorations de ces derniers jours du cinquantième
anniversaire de l’assassinat de JFK à Dallas ainsi que dans les sondages qui
font de lui le président le plus apprécié de ces dernières décennies par les
Américains avec 90% d’opinions favorables!
Mais le vrai réformateur, centriste de gauche (et non
«liberal», de gauche, comme on le présente souvent), était bien Johnson, lui
qui a fait passer des lois essentielles pour les Etats-Unis d’aujourd’hui et
qui est le plus grand législateur de l’après-guerre avec… Barack Obama.
Son projet de «Great society» (grande société) a donné
peut-être plus de résultats concrets que le «New deal» (nouveau contrat) de
Franklin Roosevelt – dont Johnson était un admirateur – comme le rappelle avec
justesse l’historienne Doris Kearns Goodwin.
Et si le président américain actuel a mis ses pas dans un de
ses anciens coreligionnaires, c’est dans ceux du Texan d’origine pauvre et
ancien instituteur et non du Bostonien d’origine riche et homme du monde (sans
oublier de préciser que Kennedy était un démocrate conservateur).
Le rêve américain s’incarne d’ailleurs beaucoup plus en
Johnson (et en Obama) qui est arrivé à la tête du pays à force de travail (tout
comme Obama) que dans Kennedy qui fut tiré de son oisiveté par son père qui
voulait absolument qu’un de ses fils deviennent président.
Bien sûr, un pays vit par ses mythes, ses légendes et ses
représentations. De ce point de vue, il est sûr que Kennedy (grâce aussi à son
arme secrète, sa femme Jackie) présente incontestablement mieux que Johnson et
qu’il donne, sans doute, plus de fierté et d’orgueil aux Américains que LBJ.
Néanmoins, oublier Johnson est, outre une injustice
flagrante, une grande erreur parce que la politique ce n’est pas que du
paraître, surtout pour les centristes, c’est une action concrète qui permet à
la société d’avancer vers plus de liberté et de bien-être par de vraies
réformes.
Ici, quoi que veuillent le faire croire les millions de fans
de JFK aux Etats-Unis mais aussi à travers le monde, LBJ gagne le match à plate
couture.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC