Avec 10% des voix, le Centre est le grand perdant des
élections italiennes alors que le «Mouvement 5 étoiles» du comique populiste
Beppe Grillo en est le grand vainqueur, sans oublier… le populiste en chef, Silvio
Berlusconi, auteur d’un retour improbable avec des promesses intenables.
Bien sûr, c’est le Parti démocrate (centre-gauche) et ses
alliés qui ont remporté la majorité à la Chambre des députés mais pas au Sénat,
ce qui bloque tout puisqu’en Italie un gouvernement doit absolument obtenir la
confiance dans les deux assemblées pour diriger le pays.
Ces résultats inquiétants doivent être néanmoins appréciés,
d’une part, sur un temps plus long et, d’autre part, par rapport à la situation
économique et sociale des pays occidentaux.
Ainsi, il ne faut pas oublier que le populisme en Italie
n’est pas récent. La «Ligue du Nord pour l’indépendance de la Padanie» (territoire
situé autour du Pô) créée par Umberto Bossi, alliée au parti de Berlusconi, date
de 1989. Son but avoué est, à terme, de séparer le Nord de l’Italie, riche et
industriel, du Sud, le fameux «Mezzogiorno», considéré par les supporters de la
Ligue comme pauvre et sous-développé. Et, à l’instar des diatribes du comique
Beppe Grillo, elle fustige depuis toujours les politiciens de Rome présentés
comme des «voleurs».
De son côté, Silvio Berlusconi est entré en politique en
1993 avec son parti Forza Italia et il a pratiqué, dès le début, un populisme
tous azimuts où il a promis n’importe quoi et son contraire pour se faire élire
et réélire, sans oublier ses propos bienveillants sur Mussolini et le fascisme.
De ce point de vue, le populisme du «Mouvement 5 étoiles» de
Grillo semble bien moins dangereux même s’il tape, comme les deux autres, sur
la classe politique en promettant un grand nettoyage (un de ses slogans était
de renvoyé les sortants «a casa», à la maison). Mais il avance aussi des
propositions sérieuses et réalistes.
Reste qu’il fait partie d’un mouvement beaucoup plus large
que l’on voit, soit émerger, soit se renforcer dans la plupart des pays
occidentaux depuis le déclenchement de la crise économique et financière de
2007.
Rien de très différent, en effet, entre son mouvement et ceux
qui, par exemple, ont enflammé récemment les Etats-Unis (Tea Party à droite et
Occupy Wall Street à gauche), l’Espagne (les Indignatos anticapitalistes de la
Puerta del Sol à Madrid), la Grande Bretagne (le UK Independence Party ou UKIP
antieuropéen et anti-immigrés), la Grèce (Chrissi Avghi ou Aube dorée à l’extrême-droite
et le parti de la gauche radicale avec son leader Alexis Tsipras) ou la France
(Front national et Front de gauche). Et la liste est loin d’être limitative…
Si certains de ces mouvements sont à gauche, voire à
l’extrême-gauche, d’autres à droite ou à son extrême, tous se disent antisystème,
anti-establishment, antilibéral et flattent le «peuple» qui devrait (re)prendre
le pouvoir.
Si on se place dans ce contexte, la comparaison faite en
France entre Beppe Grillo et l’épopée tragico-comique de Coluche lors de la
présidentielle de 1981 n’a aucune pertinence.
Evidemment, dans ce panorama, ce qui fait la particularité
italienne est que les élus de Beppe Grillo représentent désormais (que ce soit
à la Chambre des députés ou au Sénat italiens) 25,5% des voix et la première
force politique du pays (puisque tant la droite que la gauche qui le devancent
étaient représentées par des coalitions). C’est là une nouveauté, due
évidemment à la crise économique redoutable que connaît l’Italie mais aussi à
un monde politique transalpin qui n’a pas été capable de faire les réformes
nécessaires afin de sortir d’un archaïsme ainsi que de combines et de prébendes
qu’il paye cash et sur lesquels déjà Berlusconi avait surfé pour parvenir au
pouvoir.
Cela dit, on ne peut pas parler de discrédit de la politique
ici comme ailleurs car les populations occidentales sont souvent en attente de
vrais débats politiques avec des vrais projets et de vraies décisions.
Face à cette situation, Mario Monti n’a pas su être l’homme
du rassemblement. Pour sa défense, sa tâche, pour absolument nécessaire qu’elle
était, était également extrêmement difficile, voire impossible. Néanmoins, une
approche plus «conviviale» lui aurait sans doute permis de trouver plus de
soutien et être moins attaqué comme un technocrate froid et sans aucune
compassion pour ceux qui souffrent à cause de cette crise. Reste qu’il s’agit
plutôt d’un problème de tempérament d’un homme que d’une «caste technocratique»
en l’espèce même si, plus généralement, le discours politique de mettre toutes
les difficultés sur le dos des «technocrates» européens insensibles recèle un
énorme danger à terme pour l’Union européenne mais aussi pour chacun des pays
qui la compose.
De son côté, La France n’est évidemment pas à l’abri de
l’émergence d’un tel mouvement, son histoire politique le prouve amplement. Il
suffit de rappeler un des mouvements populistes les plus récents, le poujadisme
dans les années cinquante avec l’émergence alors d’un Jean-Marie Le Pen qui est
demeuré un des représentants «antisystème» de la politique française jusqu’à ce
jour.
Et n’oublions pas que, lors de la présidentielle de l’année
dernière, le «vote protestataire» (Front national + Front de Gauche) a
représenté 29% avec les deux candidatures populistes de Marine Le Pen et
Jean-Luc Mélenchon alors que Beppe Grillo et ses «grillinis» n’ont eu «que» 25,5%
des suffrages…
En revanche, la Constitution de la V° République et la loi
électorale qui en découle ne permet pas une situation «à l’italienne» avec le
blocage qui résulte des élections de dimanche et lundi derniers.
Il y aura toujours des mouvements populistes dans les
démocraties mais il est évident que leur puissance vient avant tout d’une situation
difficile vécue par les pays avancés et beaucoup moins par le manque de vertu
du monde politique. En période de croissance forte, le personnel politique
n’est pas plus vertueux qu’en période de crise mais cela est moins ressenti
comme un scandale par les populations. La confiance reviendra, en partie, avec
une embellie économique.
Cela dit, ces mouvements populistes sont un danger réel pour
la démocratie de par leurs raccourcis mensongers mais ravageurs qui ont pour
but de discréditer un système, selon eux, inadapté.
L’efficacité de ces raccourcis auprès de la population écorne
l’image de la démocratie représentative et peut conduire à un rejet de ses
règles considérées comme un jeu de dupes dont sont victimes les simples
citoyens, souvent présentés comme des victimes bernées et non comme des acteurs
responsables.
Pour autant, cette menace est constitutive de l’existence
même de la démocratie.
Ces mouvements peuvent néanmoins être également à l’origine
d’une prise de conscience de cette même démocratie qui doit en permanence se
régénérer et lutter contre une tendance oligarchique.
Cependant, le monde politique n’est pas cet univers
totalement cynique avec des élites coupées des réalités que l’on présente dans
certains médias. Souvent, les hommes et les femmes politiques vivent le
discrédit qui les touche comme une sorte d’injustice parce qu’ils tentent
réellement de faire bouger les choses.
Mais, paradoxalement, dans un monde de communication, ils
sont incapables, non pas de faire de communiquer mais de bien communiquer avec
leurs électeurs, c’est-à-dire d’établir un dialogue constructif, fait
d’échanges qui permettent, à la fois, une pédagogie et une confrontation des
idées et des attentes.
Reste que la démocratie de ce XXI° siècle demande aussi un
autre rapport entre les dirigeants et les dirigés du fait de l’autonomisation
grandissante des individus née de l’approfondissement démocratique. Il faut
donc trouver un nouveau modèle basé sur une participation plus grande
d’individus acceptant leurs responsabilités, qui même s’il est déjà largement
conceptualisé par nombre de penseurs politiques, a du mal à se concrétiser dans
les faits. La confiance envers le politique ne reviendra que grâce ce renouveau
qui prendra en compte ce que nous sommes devenus depuis plus de deux cents ans
qu’existent les régimes démocratiques.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC