Au moment où il semble que le Mouvement démocrate de
François Bayrou et l’UDI de Jean-Louis Borloo ont deux stratégies complètement
différentes, sinon diamétralement opposées, en matière d’alliances électorale
et de gouvernement, quelle est, par rapport au paysage politique actuel de la
France, la meilleure pour le Centre?
Au-delà de son union qui reste encore largement à faire et
qui ne serait, de toute façon, pas suffisante pour gagner les élections et
gouverner, il y en a trois possibles: soit une alliance à droite, soit une
alliance à gauche, soit une alliance multidirectionnelle avec la droite et la
gauche modérées.
Certains, dont nombre de centristes, affirment qu’une
alliance soi-disant «naturelle» unirait le Centre et la Droite, toute la Droite,
en excluant uniquement les partis d’extrême-droite comme le Front national.
D’autres estiment que l’alliance est plutôt à rechercher du
côté de la Gauche, à l’exclusion de la gauche de la gauche (Front de gauche) et
de l’extrême-gauche (du NPA à Lutte ouvrière).
Enfin, la troisième possibilité est l’alliance avec la
droite et la gauche modérées, ce qui impliquerait une recomposition politique
(scission des ailes modérées du Parti socialiste et de l’UMP) qui n’a pas
encore eu lieu.
Etudions ces trois cas de figure:
- Alliance Centre-Droite: C’est l’alliance qui s’est
développée en priorité pour une majorité des centristes depuis le début des
années 1970. Elle n’a rien de «naturelle», ni d’«historique», malgré les
affirmations de Jean-Louis Borloo ou d’Hervé Morin, quand on se rappelle
l’opposition frontale entre centristes et gaullistes depuis la Libération.
Elle s’est ensuite réalisée sur une proximité idéologique, notamment,
sur l’économie (économie de marché) mais bien plus sur la politique, refus sans
concession du communisme et constat de l’impossibilité pour le Parti socialiste
français de se réformer pour se positionner comme une formation
social-démocrate après la tentative désastreuse de Gaston Deferre à la
présidentielle de 1969 puis la signature du Programme commun de gouvernement
avec les communistes en 1972.
Mais même si le centre-droit est présent à l’intérieur même
de l’UMP, il existe, entre le Centre et la Droite de nombreuses différences.
Libéraux mais aussi personnalistes et solidaristes, influencés
en cela par les doctrines sociales démocrate-chrétiennes, les centristes ont
une vision plus ouverte de la société, une recherche plus grande d’humanité et
de partage ainsi qu’une volonté émancipatrice de l’individu dans le progrès.
Par conviction, le centriste n’est pas un conservateur, il
est réformiste. De même, s’il est patriote, il n’est pas nationaliste et voit
l’avenir de la France dans une fédération européenne.
- Alliance Centre-Gauche: C’est une alliance qui a eu lieu
maintes et maintes fois dans l’histoire politique de la France. Aujourd’hui
encore elle persiste - à un niveau
certes minimum - grâce à la présence des Radicaux de gauche (centre-gauche) aux
côtés du Parti socialiste.
Reste que les centristes ne partagent pas la vision
socialiste plutôt holistique de la société où la liberté est bridée face au
primat d’un intérêt général aussi peu précis qu’il est, par définition,
extensif à tout et n’importe quoi, et où un Etat omniprésent est chargé
d’administrer ce tout et n’importe quoi.
En outre, le choix des socialistes français de se tourner
vers les extrêmes à gauche pour constituer des alliances électorales et de
gouvernement les a coupés d’une vraie possibilité d’union avec le Centre alors
que fortes convergences existent dans de nombreux domaines.
- Alliance du Centre avec les gauche et droite modérées: Cette
alliance serait évidemment la meilleure et certainement la plus «naturelle» par
rapport à ce que nous venons de dire des deux précédentes sauf… qu’elle est
impossible actuellement.
En effet, la droite modérée est aujourd’hui majoritairement à
l’intérieur de l’UMP (et ne semble pas vouloir s’en détacher malgré la crise
dévastatrice qui frappe le parti) même si on la trouve aussi dans l’UDI (d’où,
d’ailleurs, la possible marginalisation, à terme, des centristes comme ce fut
rapidement le cas à l’intérieur de l’UMP).
De son côté, la gauche modérée, que ce soit avec les
Radicaux de gauche, une partie des Verts ou avec la frange la plus réformiste
du Parti socialiste, est bien arrimée à ce dernier et si elle souhaite une
alliance avec le Centre, elle n’est pas en mesure d’imposer au PS les compromis
nécessaires pour la réaliser.
De même, au-delà de l’alliance avec le Centre, la droite
modérée et la gauche modérée ne semblent pas, sur les bases actuelles du débat
politique mais aussi des blocages dus à l’organisation même du politique en
France, capables de construire une alliance entre elles.
Pour faire bouger les lignes en la matière, il faudrait un
Centre hégémonique auquel s’agrègeraient la droite et la gauche modérées.
Autant dire que nous en sommes encore loin…
Revenons-en maintenant aux stratégies différentes du
Mouvement démocrate et de l’UDI.
Le Mouvement démocrate se positionne de plus en plus au
centre-gauche tandis que l’Union des démocrates indépendants s’est installée
franchement au centre-droit.
Même si l’on peut considérer que ces positionnements sont
électoralistes et qu’il s’agit également, et pour l’UDI et pour le MoDem, de
trouver, chacun, un espace politique privilégié et protégé, ils sont également
le résultat de deux analyses divergentes d’un constat commun: le corps social,
notamment la classe moyenne, cœur de cible du Centre, est de plus en plus
individualiste et consumériste dans une société postmoderne.
Ce constat d’une communauté où l’individu réclame que l’on
prenne en compte ses choix de vie prioritairement au vivre ensemble tout en lui
assurant une sécurité amène des réponses proches de la part des deux partis
centristes mais pas identiques, que ce soit en matières économique, sociale et
sociétale.
C’est certainement dans ce dernier domaine que les
différences sont les plus nettes. Les positions du MoDem sont ainsi plus
libérales et celles de l’UDI plus conservatrices, même si les discours des deux
formations et de leurs présidents demeurent encore loin d’une société ouverte,
métissée et mondialisée.
De leurs côtés, l’UMP s’arcboute sur des positions très
conservatrices alors que le Parti socialiste agit, en la matière, en parti
attrape-tout qui se focalise sur l’ensemble des minorités en leur promettant de
défendre leur cause… qui sont parfois opposées.
Deux réponses qui ne sont pas celles du Centre qui met en
avant la liberté dans la responsabilité mais aussi la notion de personne, l’une
et l’autre devant ainsi être des garde-fous de choix radicaux.
Le pari de François Bayrou d’une alliance avec le Parti
socialiste prend en compte une vision où les «droits à» et les revendications
identitaires de groupes divers, le tout dans un environnement où règne le
«principe de précaution», sont en constante progression dans cette société
postmoderne qui est en train de se construire.
Le pari de Jean-Louis Borloo d’une alliance avec l’UMP prend
en compte une vision où les revendications individuelles à une plus grande
autonomie sont l’autre pendant de cette postmodernité.
Reste que le plus important est de savoir quelle est
l’alliance qui sera le plus bénéfique pour le Centre et pour les Français.
Au jour d’aujourd’hui, au vu de la faiblesse du Centre, ces
deux alliances recèlent autant de dangers pour les partis centristes.
En réalité, ce qui sera le plus important, sera la capacité
de ceux-ci de devenir des partenaires égaux dans une alliance.
A ce jeu, l’UDI semble avoir pris une longueur d’avance sur
le Mouvement démocrate.
A ce dernier de trouver un moyen pour revenir à la hauteur
du parti de Jean-Louis Borloo s’il veut encore peser sur l’avenir du Centre
demain.
L’essentiel se jouera néanmoins sur l’élaboration d’un
programme entre les partenaires. C’est à ce moment là que l’on pourra vraiment
savoir si le Centre ne joue que les utilités ou s’il réussit à obtenir un réel
compromis équitable avec son allié.
C’est pour cela qu’il est trop tôt pour se prononcer sur le
choix que doit faire le Centre tout en ajoutant qu’il est tout aussi évident
qu’un choix devra obligatoirement être fait, au plus tard pour les prochaines
élections législatives et présidentielles.
La particularité des élections municipales et régionales
n’obligent pas à d’autres alliances que locales même s’il peut y en avoir une au
niveau national. Sans parler des européennes où chaque parti peut se compter seul.
En d’autres termes, l’important pour le Centre est avant
tout de se (re)construire afin de se présenter, quand il sera temps, en
partenaire crédible de la Droite ou de la Gauche.
C’est pour cela qu’il semble étonnant que l’UDI se soit déjà
prononcée pour une alliance à droite avant même toute négociation
programmatique avec l’UMP.
C’est pour cela qu’il semble étonnant que le Mouvement
démocrate penche à gauche alors qu’il n’y ait au aucun signe de réelle
ouverture de la part du PS.
In fine, l’alliance la plus «naturelle» du Centre serait
avec une gauche réformiste et une droite progressiste. Mais la V° République et
ses institutions ne semblent pas être des facilitateurs pour celle-ci.