Nombre de médias américains et leurs éditorialistes vedettes
se désolent actuellement de la disparation de cette Amérique idéale des années
d’après-guerre où, selon eux, régnait un consensus entre les partis mais aussi
dans la population qui faisait dire aux plus optimistes de l’époque qu’il n’existait
pas de lutte des classes aux Etats-Unis, une affirmation très exagérée qui a
pourtant traversé le temps.
On ne peut comprendre cette nostalgie développée depuis cinq
ans et le début de la Grande Récession si on oublie que ce fut une période de
plein emploi, de croissance forte et d’une croyance partagée sur l’avenir
radieux d’un monde sous leadership américain.
Seule la menace de l’Union soviétique et d’un nouveau
conflit mondial tempérait l’optimisme d’alors.
Mais, comme le pointait déjà il y a 35 ans l’historien
Godfrey Hodgson (*), cette période idyllique, si elle exista vraiment, ne dura que
quelques courtes années, de 1954 à 1963, voire jusqu’à 1965.
Pour la caractériser, Hodgson parlait «de conservatisme
libéral» mais l’inversion des deux termes était également exacte.
Il consistait dans une quasi-unanimité de la classe
politique sur la manière de gouverner le pays, caractérisée, notamment, par la
décision du républicain Eisenhower de valider les réformes et les avancées
sociales réalisées par le New Deal du démocrate Roosevelt.
En cette année 2012, alors que s’ouvre ce week-end la
Convention républicaine qui va officialiser la candidature de Mitt Romney à la prochaine
présidentielle avec son colistier Paul Ryan, on est vraiment très loin de ce
consensus avec les positions prises par le parti sous l’impulsion du Tea Party,
mouvance de la droite extrême et réactionnaire dont la naissance a suivi de
près l’élection de Barack Obama en 2008.
Tellement loin que l’éditorialiste centriste Thomas
Friedman, dans le New York Times, vient de souhaiter ardemment qu’il y ait à
nouveau de vrais conservateurs à la tête du Parti républicain pour prendre des
positions réalistes et des décisions urgentes sur les problèmes-clés en
concertation avec les démocrates.
Car la formation d’Abraham Lincoln et de Theodore Roosevelt
ne compte désormais plus guère que des radicaux de plus en plus durs.
Les quelques modérés restants qui ont réussi à survivre sont
perdus dans un tourbillon réactionnaire qui les vilipendent sans cesse.
Une situation qui n’est pas sans rappeler l’élection
présidentielle de 1966 où le républicain d’extrême-droite et revendiquant son
extrémisme sans états d’âme, Barry Goldwater – qui demeure toujours une icône
pour les membres du Tea Party -, se fit battre à plate couture par le démocrate
Lyndon Johnson.
Après cette Bérézina, les républicains s’étaient recentrés
assez vite avant de se radicaliser à nouveau sous l’ère Ronald Reagan sans pour
autant que ce dernier ne détruise une politique bipartisane traditionnelle lorsqu’il
se rendit compte que les idéologues de la droite extrême qui le conseillaient
étaient en train de conduire le pays dans le mur (les mêmes qui sont les
inspirateurs des politiques prônées par Paul Ryan et reprises à son compte par
Mitt Romney…).
Une défaite des républicains aux élections du 6 novembre (présidentielle,
législatives et sénatoriales) serait une énorme gifle pour les radicaux et une opportunité
pour les modérés et les conservateurs de reprendre les rênes du parti.
Quoiqu’il en soit, ce serait une excellente nouvelle pour le
pays qui doit, d’ores et déjà, faire face à de nombreux et gigantesques défis.
Le blocage politique voulu par les républicains pour faire
de Barack Obama un «one term president» (le président d’un seul mandat), est
extrêmement dommageable pour l’ensemble de la population.
En refusant les réformes absolument indispensables afin d’éviter
une nouvelle crise profonde dans de multiples secteurs allant de l’économie à l’éducation
en passant par l’immigration et la santé, sans oublier les finances publiques, ils
font prendre un énorme risque à leur pays.
Pour que revienne ce «conservatisme libéral» dont le
fondement est l’acceptation que, dans une économie de marché, l’Etat a un rôle
à jouer, notamment pour faire les ajustements nécessaires afin d’éviter la
survenance d’épisodes tel celui de 2007 (l’Administration de George W Bush ne le
pratiquait déjà plus), il faut que les républicains cessent de se raconter une
histoire de leur pays qui n’a jamais existé et qui n’existera jamais, quel que
soit son attrait idéologique et fantasmagorique.
Comme toute démocratie dans le monde, les Etats-Unis ne
peuvent fonctionner sans une régulation et sans un interventionnisme des
pouvoirs publics.
Le nier, c’est nier tout le miracle américain de 1940 à
1970, celui qui fit des Etats-Unis la première puissance mondiale, sans
adversaire autre qu’une fausse image d’une Union Soviétique qui s’effondra
devant la compétition imposée par son adversaire.
L’ennui avec les idéologues bornés qui peuplent le Parti
républicain mais que l’on retrouve dans tous les partis politiques du monde
entier de gauche et de droite (et même parfois du Centre!), est qu’ils
préfèrent perdre ou même mener leur pays à sa perte plutôt que d’avoir une
approche pragmatique de la réalité, seule à même de permettre les adaptations
et les réformes nécessaires.
(*) Godfrey
Hodgson, «America in our time», 1976, Random House