Olivier
Nataf, Vice-Président MoDem Etats-Unis, membre co-fondateur des «Démocrates
d’Amérique du Nord», et auteur du blog politique «Des Mots Crates» (www.desmotscrates.com)
Le
Centre est une conviction, pas une hésitation. Ca n’est pas «ni gauche ni droite»,
ou «un peu de gauche un peu de droite», c’est une troisième voie différente et
indépendante. En France depuis trente ans, la gauche et la droite se sont
succédées au pouvoir et ont entrainé le pays dans une spirale d’alternance, un
manque dramatique de continuité dans l’action publique et aucune place pour
l’alternative équilibrée qui pourrait nous faire aller de l’avant.
«Aller
de l’avant»… «Forward»… était le thème de la campagne qui a permis la
réélection du Président Barack Obama. Après avoir passé les quatre dernières
années à empêcher les Etats-Unis de sombrer dans la récession tout en mettant
en place les fondations du redressement productif, l’heure et venue pour le
Président Obama de concrétiser l’espoir (Hope) et le changement (Change we can
believe in) qui l’avaient fait élire en 2008.
Car
nous l’avons bien vu, dans le royaume du bipartisme que sont les Etats-Unis, on
a vite fait de rendre le gouvernement impuissant et paralysé devant les
décisions majeures qui doivent être prises. Il n’y a pas de Centre aux
Etats-Unis, mais il existe chez certains politiciens une volonté, mise à rude
épreuve, de dépasser la division démocrate-républicain. Obama a essayé, il a
échoué.
Sur la
base de ces premières remarques, je pense que l’on peut se rendre compte de
l’importance du pluralisme et de l’équilibre que représente le Centre pour deux
raisons principales, mais qui différent un peu dans nos deux pays.
D’abord
pour le déblocage partisan et donc une réelle possibilité de progrès, ce qui
est valable aussi bien pour la France que pour les Etats-Unis.
Ensuite,
pour le choix d’un projet de société moderne, fondé sur la liberté
d’entreprendre, la solidarité, la responsabilité, qui existe aux Etats-Unis
avec les démocrates, mais qui doit encore émerger en France face au socialisme
et au néolibéralisme qui caractérisent nos deux principaux partis et leurs
alliés.
En
schématisant et en se basant sur notre modèle français, on pourrait dire que la
France a une gauche et une droite, et les Etats-Unis un centre et une droite.
On voit donc bien la limite de ce vocabulaire à deux dimensions car, en
fonction du pays, les projets et les idéologies qui se cachent derrière les
positions gauche-centre-droit peuvent être bien différents.
Je n’ai
jamais cru en la victoire de Mitt Romney, mais je me suis quand même trompé:
j’avais prévu une grande défaite pour lui.
C’est
incroyable de se dire que la principale raison pour ce score serré, au moins
sur le plan du vote populaire (51% vs. 49%), est sans doute la bonne
performance de Romney et le raté d’Obama au premier débat. Je crois pouvoir
dire que jamais un débat n’a eu autant de poids sur une élection américaine, et
je continue à croire que c’est pour une raison bien précise: Romney y a gagné
une dimension essentielle à tout homme qui prétend devenir le leader d’un de
nos pays, la légitimité (d’ailleurs celle du nouveau président français peut se
discuter, ce qui expliquerait pas mal de choses). Le manque d’engouement dans
le camp républicain durant la primaire, et la profonde conviction qu’il ne
tiendrait pas face au Professeur Obama lui ont finalement donné une opportunité
de montrer très simplement une dimension d’homme d’Etat juste en tenant tête au
président, lui-même absent lors de ce premier débat.
Mais
attardons-nous plutôt sur le nombre de votes, et l’analyse change quelques peu.
Romney a obtenu 2 millions de votes de moins par rapport à McCain en 2008. Vous
me voyez venir, cela signifie qu’Obama 2012 a perdu 9 millions de voix par
rapport a Obama 2008. Les américains ont donc moins voté qu’en 2008 ou même
qu’en 2004 (Bush/Kerry), mais surtout ont beaucoup moins soutenu le candidat
Obama, président sortant.
Cette
victoire, il semble cependant la devoir au fait que l’Amérique ait changé, plus
qu’au fait qu’il ait changé l’Amérique.
En
effet, les journalistes américains ne parlent que de ça, cette analyse qui fait
l’effet d’une sonnette d’alarme pour les républicains. D’abord, Obama a été élu
grâce aux femmes qui représentent 54% des votants et ont voté à 55% pour Obama.
Ensuite les latinos, le groupe ethnique dont la population croît le plus
rapidement aux Etats-Unis, lui ont donné des Etats comme le Colorado, le Nevada
et la Floride, traditionnellement très disputés voire à tendance républicaine.
Enfin, les jeunes qui sont encore allés voter en masse (mais moins qu’en 2008)
ont contribué à sa victoire dans des Etats clefs comme l’Ohio. Une grande
question est donc sur les lèvres de nombreux journalistes: quel est le poids
des hommes blancs dans les élections américaines de nos jours? Et d’autres
questions s’empressent de suivre, par exemple: que doivent faire les
républicains pour regagner la confiance des femmes, des jeunes, des
hispaniques, mais aussi des banlieues qu’ils avaient tendance à gagner avant
(en général lieu de vie des plus aisés) mais qu’ils ont perdu à des endroits
stratégiques cette année (ce qui est lié aussi au vote des femmes)?
Au delà
de ces calculs, et une fois la gueule de bois des républicains et l’ivresse des
démocrates passées, il restera la situation d’avant-hier: un pays très divisé,
un Sénat confirmé par les démocrates avec trois sièges supplémentaires (grâce à
des femmes nouvellement élues), une Chambre des représentants toujours sous
contrôle républicain, et des décisions urgentes sur la dette publique et le
budget avant la fin de l’année. Le jeu partisan de l’année dernière avait fait
perdre aux Etats-Unis leur fameux triple A, l'agence de notation Standard and
Poor's jugeant à l’époque que les disputes partisanes représentaient un risque
pour l’économie américaine.
Dès le
lendemain de l’élection, le président a eu au téléphone les représentants
démocrates et républicains du Senat et de la Chambre pour les appeler à
travailler ensemble. Un pas que nous avons bien du mal à faire en France,
malgré les risques avérés que cela représente.
Barack
Obama à maintenant une chance de rentrer dans l’histoire par la grande porte,
en passant d’un statut de symbole à celui de grand Président des Etats-Unis. Le
Reagan des démocrates, le Kennedy des temps modernes, l’Obama de la génération
future – la génération post-partisane.
Olivier
Nataf