L’élection présidentielle de cette année aux Etats-Unis est
aussi une opposition entre deux visions du rêve américain (voir à ce sujet, mon
article «Le choc des deux rêves américains» dans le dernier numéro de la
nouvelle revue Géopolitique*).
Le premier débat entre Barack Obama et Mitt Romney, en a été
une preuve même si les médias se sont plus focalisés sur la forme que sur le
fond, ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le dire ici.
Comme l’a très bien expliqué Peter Baker du New York Times,
un des rares journalistes à avoir vraiment écouté les propos de chacun des
candidats, il s’agit bien d’un «choix philosophique fondamental à propos du
futur de l’Amérique».
Le rêve américain, a contrario de ce que pensent beaucoup,
est un terme inventé récemment. Il vient d’un livre publié en 1931, en pleine
Grande dépression, «The Epic of America» de l’historien James William Truslow
dans lequel ce dernier évoque ce rêve américain qui est, selon lui, «ce rêve
d’une terre dans laquelle l’existence serait meilleure, plus riche et remplie
pour tout le monde, avec l’opportunité pour chacun d’y parvenir grâce à ses
capacités ou ce qu’il a accompli. (…) Il ne s’agit pas simplement d’un rêve
d’automobiles ou de hauts salaires, mais c’est un rêve d’un ordre social qui
permettra à chaque homme et à chaque femme de parvenir à ce qu’ils sont
capables d’atteindre naturellement et à être reconnus par les autres pour ce
qu’ils sont, indépendamment des circonstances fortuites de leur naissance ou de
leur statut».
Depuis, il a été invoqué à tout va et est devenu depuis le
début du XXI° siècle, un enjeu idéologique récurrent entre les deux grands
partis.
Pour les démocrates, le Rêve américain
est celui qui permet à chacun de vivre une vie décente, de pouvoir faire vivre
sa famille sans l’angoisse du lendemain et d’espérer que ses enfants, grâce à
son travail et à l’éducation qu’ils reçoivent, pourront s’élever socialement et
avoir un meilleur avenir que celui de leurs parents et que les enfants de leurs
enfants aient, à leur tour également la même opportunité. Dans ce cadre, le
gouvernement a un rôle actif à jouer pour offrir cette opportunité à tous.
Pour les républicains, le Rêve américain
est celui qui offre l’opportunité, à celui qui en a les capacités et l’envie,
de s’élever socialement sans entrave, sans rien devoir à personne, surtout pas
au gouvernement qui ne doit pas intervenir en la matière, et qui a le droit,
une fois fortune faite, de jouir de tout ce qu’il a récolté grâce à son
travail.
Ces deux versions peuvent très
bien cohabiter en période d’abondance et de forte croissance comme ce fut le
cas, par exemple, de la fin de la Deuxième guerre mondiale jusqu’au début dans
années 1970. Le prix Nobel d’économie, Paul Krugman, ardent défenseur du
keynésianisme et éditorialiste à succès au New York Times, s’en rappelle avec
nostalgie dans son ouvrage, paru en 2007, l’«Amérique que nous voulons» («The
Conscience of a Liberal»).
En revanche, lorsque le pays se
trouve dans une situation économique plus délicate, comme aujourd’hui, les deux
rêves ne sont plus complémentaires, ils se confrontent. C’est, soit l’un, soit
l’autre. Ou, en tout cas, c’est ce que prétendent les démocrates et les
républicains.
L’antagonisme sur le Rêve
américain entre les deux grands partis est une des expressions les plus vives
de leurs oppositions idéologiques de plus en plus exacerbées.
Chacun des deux dénoncent dans le
rêve de l’autre une perversion du «vrai» rêve qui est, bien évidemment, celui
qu’il promeut.
Le Rêve américain ne serait donc
plus cette vision collective qui guiderait la nation mais un enjeu idéologique
et politique.
Barack Obama, dans son dernier
discours sur l’état de l’Union, le 24 janvier dernier, a bien résumé la vision
démocrate: «Nous pouvons, soit nous contenter d’un pays où un nombre de plus en
plus faible de gens s’en sortent bien, pendant qu’une part croissante des
Américains s’en sortent tout juste ou bien nous pouvons restaurer une économie
où tout le monde a une chance, où tout le monde fait sa part, et tout le monde
joue selon les mêmes règles».
Ce à quoi les républicains lui
répondent que c’est grâce aux riches que l’économie repartira et que donc
permettre à des gens de devenir riches et de garder leur argent pour le
dépenser est le meilleur moyen d’aider les autres.
Ainsi, le gouverneur du New
Jersey et étoile montante du Parti républicain, Cris Christie, peut critiquer
le fait d’«insister que nous devons taxer et prendre et diaboliser ceux qui ont
déjà réussi leur Rêve américain. Cela peut être une bonne stratégie pour Obama
en vue de sa réélection mais c’est un message démoralisant pour l’Amérique».
Plus fondamentalement, les
républicains croient en la réussite personnelle et que celle-ci ne doit jamais
être entravée par quiconque. Comme le dit Mitt Romney, «nous croyons en
l’initiative individuelle, la responsabilité personnelle, l’opportunité, la
liberté, un gouvernement limité, la Constitution».
Pour Newt Gingrich, l’ancien
Speaker (président) républicain de la Chambre des représentants sous l’ère
Clinton et qui fut un adversaire malheureux de Romney lors des primaires
républicaines, le «Rêve américain est d’abord de reconnaître que nous vivons
grâce à notre Créateur avec des droits inaliénables» et qu’«aucun président,
juge ou bureaucrate ne peut nous ôter nos droits».
Une fondation conservatrice,
«Americans for prosperity» a d’ailleurs créé un rendez-vous annuel «Defending
the American Dream Summit» au cours duquel les pointures du Parti républicain
interviennent pour promouvoir un «marché libre» et «les principes d’un
gouvernement limité».
Quant au milliardaire Steve
Forbes, il estime que «notre gouvernement fédéral a trop grossi et a trop de
pouvoirs, la vraie perte a été celle de la liberté des gens à gouverner leurs
propres vies et à participer pleinement au Rêve américain».
Avec la polarisation entre
démocrates et républicains, en est-on arrivé à ce fameux débat entre l’égalité
des conditions et l’égalité des chances? Certes pas, les deux camps
privilégient toujours la méritocratie et une égalité des chances.
Pour autant, c’est la vision même
de la fonction de la communauté américaine qui est en jeu. Pour les démocrates,
ceux qui ont doivent aider ceux qui n’ont pas. Pour les républicains, ceux qui
ont n’ont aucune obligation en la matière autre que morale et, en ce qui
concerne ceux qui n’ont pas, ils les voient plutôt, ainsi que Romney l’a
déclaré, comme «ceux qui n’ont pas encore»…
Du coup, ce n’est pas en leur
donnant des aides, ces fameux «entitlements» («droit à») qu’ils s’en sortiront
mais en leur donnant la même chance d’y parvenir («equality of opportunity»)
que les autres, rien de plus.
Le 6 novembre, une des deux
visions l’emportera. Bien entendu, le candidat qui sera élu mettra de l’eau
dans son vin, comme d’habitude. Il n’en reste pas moins vrai qu’une direction
sera donnée qui devrait modeler la politique américaine pour les prochaines
années, voire les prochaines décennies.
Alexandre Vatimbella