Au moment où Jean-Louis Borloo est proche de réunir une
grande partie de la famille centriste, l’échec de François Bayrou de se bâtir
un espace politique spécifique pour ses visées élyséennes est-il celui,
également, de la construction d’un Centre réellement indépendant?
Historiquement parlant, cette tentative n’est pas la
première et ne sera pas la dernière.
A côté des tenants d’un Centre qui trouve «naturellement» sa
place à gauche ou, plus sûrement, à droite, il y a toujours eu des partisans
d’un Centre qui ne doit rien à personne et, surtout, qui n’a besoin de personne
pour lui dire où il est.
Mais, comme il est malheureusement facile de le constater,
toutes les entreprises pour le faire vivre dans l’espace politique de la V°
République ont échoué.
Au bout du compte, les centristes ont du se rallier, un peu
à gauche et beaucoup à droite.
François Bayrou n’est donc que le dernier en date d’une
longue liste de ceux qui prétendent, avec raison, que la voix du Centre est
unique et insoluble dans celles de la Droite et de la Gauche mais qui n’ont pas
pu imposer cette vision dans le paysage politique français.
Alors que se pose l’existence même du Mouvement démocrate
(qui semble se déchirer entre plusieurs chapelles) qui devait être le bras armé
de Bayrou pour sa conquête du pouvoir, les raisons de son échec sont
particulières à sa tentative, n’induisent pas une répétition sans fin de
l’impossibilité de l’entreprise et n’interdisent pas un succès dans le futur.
Pourquoi?
D’abord, parce que le président du MoDem a confondu
indépendance et solitude. François Bayrou a joué sur le parcours de l’homme
solitaire (avec comme références le Général de Gaulle et François Mitterrand)
pour deux raisons.
La première a été de tuer la concurrence au centre - d’où un
leadership peu démocratique à l’intérieur de l’UDF puis du Mouvement démocrate
(tous ceux qui pouvaient lui faire de l’ombre sont partis ou ont été
marginalisés) -, ne désirant aucune réunion du Centre autrement que par la
forme d’un ralliement inconditionnel à sa personne.
La deuxième, au niveau national a été de démontrer que le
Centre n’avait besoin d’aucune alliance pour exister et gagner, ce qui
évidemment était un contresens politique.
Résultat, un parti qui est largement une coquille vide, sans
personnalités de premier plan autre que Bayrou et qui s’est pris des raclées à
toutes les élections après la présidentielle de 2007. En outre, une
indépendance vis-à-vis de la Gauche et de la Droite qui a été dévoyée en un
«seul contre tous» qui ne peut évidemment réussir quand on ne peut s’appuyer,
au mieux, que sur un socle électoral de 15% à 20%.
Ensuite, il a refusé de structurer son parti.
La raison essentielle est qu’il a fait une fixation sur
l’élection présidentielle et son destin qui devait le conduire à l’Elysée.
Selon lui, toutes les élections intermédiaires sont liées à
la présidentielle. Dans cette optique, il suffit de gagner celle-ci pour
changer en profondeur le paysage politique français et bâtir une majorité
autour du chef de l’Etat nouvellement élu.
Or, cette affirmation n’est confirmée par aucun précédent.
Même Valéry Giscard d’Estaing, lorsqu’il gagne la présidentielle en 1974
possède un parti structuré avec nombre d’élus (sans parler des ralliements
multiples à sa candidature).
L’autre raison a déjà été pointée, c’est qu’il ne voulait
surtout pas promouvoir, à l’intérieur de son parti, des hommes et des femmes
qui auraient pu lui faire de l’ombre.
De même, il a navigué trop souvent à vue.
François Bayrou se dit aujourd’hui centriste et le seul
légitime à en être le leader naturel (même si tout récemment il a estimé que
Jean-Louis Borloo pouvait l’être également) sauf qu’en 2007 il disait ne pas se
reconnaître dans ce terme!
De même, il a changé son fusil d’épaule plusieurs fois et
sans raison apparente sur sa proximité idéologique avec la Droite ou la Gauche.
Enfin, il a été incapable de donner une véritable pensée
structurée à son entreprise et les bases de son action sont demeurées floues.
Sans parler de savoir avec qui il pouvait gouverner en cas
de victoire.
Tout cela met-il François Bayrou hors-jeu définitivement?
En politique, il convient de rester prudent. D’autant qu’il
est évident qu’actuellement le président du Mouvement démocrate est, de toutes
les personnalités centristes, celle qui se positionne au plus près du centre du
Centre pendant que ses anciens amis revendiquent désormais l’étiquette
centre-droit et une alliance uniquement avec l’UMP.
Reste son appel à voter pour François Hollande.
Même si celui-ci ne peut se comprendre sans avoir à l’esprit
cette volonté de démontrer que le Centre n’est ni à Droite, ni à Gauche et
cette obligation qu’il avait de définitivement le prouver en basculant au moins
une fois vers la Gauche après avoir été pendant si longtemps proche de la
Droite, il n’en demeure pas moins que cet appel a laissé des traces qui vont
être difficiles à effacer rapidement.
D’autant que l’avenir à court terme de François Bayrou passe
par un échec de la Gauche!
Il ne peut être l’homme providentiel ou plus simplement
redevenir crédible que si le gouvernement actuel failli et que la Droite
projette encore l’image négative de sa défaite dans l’opinion publique.
C’est d’ailleurs son positionnement comme il l’a expliqué
lors d’une interview au Journal du Dimanche le 8 septembre dernier où, loin de
prendre le recul dont il parlait après les législatives et sa défaite
personnelle, il reparle, sans la nommer, de cette union nationale qu’il confond
trop souvent avec le gouvernement du juste équilibre et du consensus qui est la
marque du Centre et dont il se verrait bien être le leader.
L’ambition politique dont il est, à l’instar de beaucoup de
ses confrères rempli, est un de ses atouts. N’a-t-on pas donné le pouvoir à des
gens qui ne se cachaient pas de le vouloir à tout prix comme Giscard d’Estaing,
Mitterrand, Chirac et Sarkozy?...
Quant au Centre, les différentes manœuvres autour de sa
réunification démontrent - à l’opposé de ce que beaucoup affirment
péremptoirement - qu’il n’est pas introuvable ou définitivement marginalisé.
Pour autant, il continue à subir les contrecoups de tous
ceux qui tentent de le récupérer pour leurs ambitions personnelles, que ce soit
François Bayrou, Jean-Louis Borloo, Hervé Morin, Jean-Pierre Raffarin ou d‘autres.
L’ambition politique n’est pas en soi négative, elle ne le
devient quand elle n’est qu’un opportunisme. Un maux que connait trop bien le
Centre.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC