Il fut un temps où les politologues affirmaient que le Parti
démocrate et le Parti républicain, c’était blanc bonnet et bonnet blanc.
Cette situation désorientait beaucoup les Européens qui
avaient l’habitude de connaître, chez eux, des partis idéologiquement homogènes
alors que les Américains y voyaient là le secret de leur démocratie
consensuelle.
Il y avait des centristes dans les deux partis et des
extrémistes de droite dans les deux partis ainsi que des «liberals»
(centre-gauche, voire gauche) dans les deux partis.
Bien sûr, le Parti républicain penchait plus à droite et le
Parti démocrate penchait plus à gauche (sauf dans le Sud avec les «Dixie
Democrats» d’extrême-droite et racistes, héritage de la Guerre de sécession, les
sudistes ne voulant pas adhérer au Parti républicain de Lincoln, celui qui
avait conduit les hostilités contre la confédération et aboli l’esclavage).
Cette vision fut à la mode et très proche de la réalité des
années d’après-guerre, jusqu’à la prise de pouvoir par Ronald Reagan en 1980.
Le mouvement qui allait petit à petit radicaliser les deux
partis venaient, lui, des années 1930 et de la volonté de donner une coloration
idéologique plus marquée au Parti démocrate et au Parti républicain afin que
les électeurs ne soient plus déboussolés par des formations politiques qui
pouvaient défendre des programmes différents selon les Etats…
L’aboutissement de ce processus, depuis la fin des années
1990 jusqu’à aujourd’hui, a transformé le système politique de consensuel et
bipartisan en un système bloqué et de plus en plus divisé idéologiquement,
incapable de trouver des terrains d’entente, même pour des questions vitales
pour le pays.
Si l’on doit à Franklin Roosevelt les premières volontés de
clarifier les positions politiques des deux grands partis, c’est bien à partir
des années 1960 et 1970 que les républicains ont patiemment construit un parti
très marqué idéologiquement et de plus en plus à droite avec cette fameuse «reconquête
du Sud» entreprise, notamment, par Richard Nixon.
Au contraire, les démocrates qui, dans un premier temps, s’étaient
aussi lancé dans une telle entreprise mais à gauche, à la fin des années 1960
et au début des années 1970, l’ont abandonné en constatant qu’elle les menait
dans le mur et les éloignait pour longtemps du pouvoir après la défaite
cuisante de George McGovern face à Richard Nixon en 1972.
L’élection de Jimmy Carter en 1976 était déjà un recentrage,
ce dernier devenant réellement effectif avec l’élection de Bill Clinton en 1992
et se trouvant confirmée avec celle de Barack Obama en 2008.
A chaque fois, se furent les électeurs «independents»
modérés qui permirent la victoire de ces trois démocrates.
A l’opposé, le Parti républicain a continué à se droitiser,
poussé à le faire par une part de sa base militante très religieuse, très
conservatrice, voire raciste et d’extrême-droite pour sa frange la plus dure.
D’abord en paroles avec Richard Nixon et Ronald Reagan ou
même George H.W. Bush.
Mais peu de choses changèrent dans la pratique
gouvernementale des républicains où la société mise en place par le New Deal ne
fut pas réellement remise en cause d’autant qu’elle bénéficiait d’un large
consensus dans la population.
Ce ne fut pas le cas lorsque Bill Clinton fut élu et qu’il
dut, au bout de deux ans de présidence, gouverner avec un Congrès très hostile
et très à droite mené par le leader des républicains à la Chambre des
représentants, Newt Gingrich.
Pour autant, Clinton réussit à réformer un système américain
qui s’ankylosait, à le rééquilibrer par une politique centriste qui permit, non
seulement, une croissance et une baisse du chômage mais également un budget en
excédent!
Tout changea réellement avec la victoire de George W. Bush
en 2000.
Celle-ci permit à la frange la plus à droite du Parti
républicain de continuer à progresser, notamment après la tragédie du 11
septembre 2001 (les républicains ont toujours été vus comme meilleurs pour
défendre le pays par les Américains).
Depuis, la droite radicale a, non seulement, imposé ses
termes du débat à l’intérieur du parti mais parvient à faire élire nombre de ses
candidats pour les élections et à obliger tous ceux qui se positionnent comme
modérés, soit à quitter le parti, soit à lui donner des gages de soumission.
On peut ainsi dire que le Parti démocrate est largement au
centre-gauche alors que le Parti républicain est largement à droite.
Cela s’est traduit, du côté démocrate par la présentation de
quatre candidats à la présidentielle situés au centre (Clinton, Gore, Kerry et
Obama) dont deux furent élus.
Du côté républicain, les choses sont plus compliquées, voire
paradoxales.
Bien sûr, la présidence de George W. Bush se situa nettement
à droite mais lors de sa candidature en 2000, celui-ci fit campagne au
centre-droit, comme un «conservateur compassionnel», tout comme l’avait fait
son père lorsqu’il avait été battu par Clinton lors de sa tentative de
réélection en 1992.
De même, John McCain, l’adversaire malheureux de Barack
Obama, a toujours été considéré comme un républicain centriste.
Et c’est le cas de Mitt Romney qui va défier le même Obama
en novembre prochain.
On se trouve donc face à des candidats a priori modérés dans
un parti largement plus radical.
Une des explications vient de ce qu’une majorité de
militants et sympathisants républicains qui votent lors des primaires savent
que s’ils sélectionnent un candidat trop extrémiste, ce dernier n’aura aucune
chance d’accéder à la Maison blanche.
Dans le cas du choix de Mitt Romney, la haine de Barack
Obama par les ultras leur a fait choisir, in fine, un candidat qui pouvait
gagner et non un qui allait tenir une ligne dure sans aucune chance d’accéder à
la Maison blanche, comme ce fut le cas de Barry Goldwater en 1964.
Mais, en retour, tous ces candidats modérés ont du, comme
Romney, lors des primaires, largement droitiser leurs discours et leurs
promesses électorales.
Et le seul qui a accédé au pouvoir, George W. Bush a bien
mené, ensuite, une politique très clivée à droite même si, aujourd’hui, il
serait accusé d’être un modéré par nombre de militants républicains!
Du coup, personne ne sait vraiment très bien comment se
comporterait Mitt Romney s’il était élu président des Etats-Unis.
Ce que l’on sait, c’est qu’il serait, de toute façon,
l’objet de fortes pressions de la part de l’aile droite du Parti républicain.
Pourrait-il résister (s’il en avait envie)? La question
demeure ouverte.
De son côté, Barack Obama a, lui, réussi à résister sans
trop de difficultés aux pressions de l’aile gauche du Parti démocrate.
Il est demeuré un homme du Centre, du consensus et de la
recherche de solutions bipartisanes.
Mais, et c’est une des nouveautés de ces dernières années,
il a du se battre pour empêcher les républicains de déplacer aux yeux de
beaucoup d’Américains, le centre de la vie politique américaine.
Par leurs attaques répétées sur son extrémisme supposé
(alors qu’il s’agissait avant tout d’une volonté d’agir et de réformer la
société américaine) et sur leur refus systématique de collaborer avec lui, ils
ont réussi à ce que le centrisme de Barack Obama soit discuté voire remis en
cause par certains médias ou commentateurs.
En retour, le Parti démocrate a réagi en adoptant une
posture plus à gauche, même si l’on ne peut pas vraiment parler de
radicalisation.
Reste, au final, deux candidats qui ont une vision centriste
de la société défendant les couleurs de deux partis qui s’opposent idéologiquement
de plus en plus.
Il est difficile de prévoir ce que donnera la victoire de l’un
ou de l’autre car tout dépendra, aussi, de la couleur du Congrès (actuellement
la Chambre des représentants est républicaine et le Sénat est démocrate).
Il se peut très bien que le pouvoir demeure «divisé» (en France,
on parle de «cohabitation»), ce qui le bloquerait peut-être encore pour au
moins deux ans, si ce n’est quatre.
C’est un risque et il est énorme, les Etats-Unis devant se
réformer et prendre de très importantes décisions pour leur avenir.
Alexandre Vatimbella