Dans cette rubrique, nous publions les points de vue de personnalités centristes qui ne reflètent pas nécessairement ceux du CREC. Ces points de vue ont pour but d’ouvrir le débat et de faire progresser la pensée centriste.
Jacques Rollet est politologue chroniqueur régulier des sites du CREC, membre du conseil scientifique de l’Institut du Centre et auteur de plusieurs livres dont «Tocqueville» (Montchrestien 1998), «Religion et politique» (Grasset 2001), «La tentation relativiste» (DDB, 2004). Son prochain ouvrage, «Le libéralisme et ses ennemis» (DDB, 2012). Il tient ici une chronique régulière.
Est-il possible pour un observateur de se repérer dans la vie politique française? Nous allons tenter de répondre positivement à cette question malgré la complexité de la situation. Nous le ferons en présentant d’abord l’enchevêtrement des problèmes et delà nous en viendrons à ce qui se trouve à leurs intersections: le Centre comme lieu de résolution possible d’une situation qui peut devenir dramatique.
I) La quadrature de la présidentielle
Quatre données majeures se présentent chaque jour à l’observateur: la crise économique qui comporte une croissance faible et un chômage important, la crise financière dont les médias nous entretiennent chaque jour, incluant la dette française, la crise de l’Etat-providence, avec son taux de dépenses sociales exorbitant, la crise du modèle énergétique et le débat autour du nucléaire civil. Le pouvoir politique se trouve acculé à traiter tous ces éléments en même temps dans la mesure même où ils se conditionnent tous.
La faible croissance française est liée à la forte croissance des pays dits «émergents» et à un manque d’investissement dans le secteur industriel. Le chômage des jeunes est lié à un manque de confiance dans la formation technique et au prestige du cursus menant au baccalauréat, prestige largement usurpé. La mentalité dominante en France comme Tocqueville l’avait noté dans «L’Ancien Régime et la Révolution» donne le primat aux idées générales et à l’abstraction. On a l’idée de ce qu’il faudrait faire mais pas la volonté de l’accomplir parce qu’on considère qu’évoquer un problème, c’est le résoudre... Quant aux séniors, on se prive trop tôt de leur compétence pour certains et on n’a pas donné aux autres la formation permanente qu’ils auraient dû recevoir. La France doit entrer dans l’économie; elle y répugne.
La crise financière, deuxième élément préoccupant est due au montant de la dette: 1750 milliards d’euros et 86% du PIB. Depuis plus de trente ans, aucun budget national n’a été voté en équilibre. Les collectivités locales ont massivement embauché dans les communautés de communes, les communautés d’agglomération, les départements et les régions.. Il est évident qu’il faut réduire les communes à 10.000 au lieur des 36.900 actuellement et supprimer les conseils généraux tout en transférant à la région les fonctionnaires nécessaires aux services. Toutes ces mesures sont urgentes et il ne va pas en être question dans la présidentielle à moins que le candidat du Centre n’en parle. Le budget de l’Etat quant à lui, ne sera en équilibre que lorsque les dépenses seront réduites et cette mesure ne peut attendre: le faible taux de croissance prévu pour 2012 va nous y contraindre.
Ceci nous conduit au troisième élément: la crise de l’Etat social dit «providence» selon un terme qui désigne en théologie chrétienne, le souci que Dieu a du monde; le succès du terme providence pour désigner en France l’Etat social, en dit long sur l’attente des Français à l’égard de l’Etat et de sa distribution de subsides. Les dépenses sociales représentent 33% du PIB, c’est plus que partout ailleurs en Europe. La Suède, présentée comme modèle de l’Etat social confie ses missions à des agences privées, plus efficaces et plus comptables. Qui va avoir le courage de soulever le problème? Ce sont les fonds considérables de la formation permanente qu’il faut inspecter avant de les remobiliser pour la formation des salariés, leur évitant ainsi d’être dépendants des RMI-RSA.
Le quatrième élément de la difficulté présidentielle réside dans l’avenir de la politique en matière de ressources énergétiques, ce qui dépend d’une conception du mode de vie. Les ressources en énergie, qu’elle soit nucléaire ou autre, dépendent du type de croissance que nous voulons adopter, ce qui dépend de notre mode de consommation, donc de la durée d’utilisation de nos équipements, depuis l’ordinateur jusqu’à l’automobile. Là encore la réflexion patine parce qu’elle entre dans un domaine qui reste tabou tant la croissance est identifiée à une consommation effrénée.
2) La crise des valeurs
Tout ce qui vient d’être dit suppose évidemment une réflexion sur les valeurs en société démocratique. Nous ne pouvons la mener ici; nous renvoyons le lecteur à notre livre «La tentation démocratique ou la démocratie en danger» publié en 2007. Rappelons simplement que le pluralisme des valeurs ne peut être admis que s’il y a un accord sur l’essentiel: responsabilité personnelle des citoyens, respect de la dignité humaine, respect de la nature humaine, primat de l’être sur l’avoir, respect de la libre concurrence. Tant que le politiquement correct régnera sur les esprits, aucune réforme ne pourra prendre au sérieux la réalité des faits. Les drames que nous venons de vivre à Marseille, au Chambon-sur-Lignon, permettent encore à certains de dénoncer le tout sécuritaire! Une telle dénégation de la réalité ne permet pas aux gouvernants d’exercer leur responsabilité.
3) Le lieu du Centre
Dans cette quadrature des problèmes, le Centre trouve sa place en tant qu’il incarne le réalisme en économie, la rigueur en matière financière (François Bayrou depuis 2007 ), la dimension humaniste en matière de développement économique et de mode de vie, un questionnement sans complaisance sur l’Etat-Providence. Tous ces acquis sont incontestables mais doivent être énoncés plus vigoureusement. Le rôle d’un candidat du Centre en 2012 est de poser les quatre problèmes à la fois en appelant les Français à un effort de vérité, d’autant plus difficile qu’il invite à une révision de la culture acquise, culture d’appel à l’Etat, d’assistanat, de refus du libéralisme économique. Ces refus conduisent à une révision déchirante. Espérons qu’elle se fera en toute lucidité et non en catastrophe à cause du désastre économique qui se profile.
Jacques Rollet