mardi 25 octobre 2011

Vues du Centre – La Chronique de Jacques Rollet. Pourquoi «Le libéralisme et ses ennemis?

 
Dans cette rubrique, nous publions les points de vue de personnalités centristes qui ne reflètent pas nécessairement ceux du CREC. Ces points de vue ont pour but d’ouvrir le débat et de faire progresser la pensée centriste.

Jacques Rollet est politologue, membre du conseil scientifique de l’Institut du Centre et auteur de plusieurs livres dont «Tocqueville» (Montchrestien 1998), «Religion et politique» (Grasset 2001), «La tentation relativiste» (DDB, 2004). Son prochain ouvrage, «Le libéralisme et ses ennemis» (DDB, 2011). Il tient ici une chronique régulière.

Pourquoi avoir  écrit ce livre «Le libéralisme et ses ennemis?» (ndlr: parution vers la fin novembre). Il faut une certaine audace, j’en conviens, pour publier une telle défense du libéralisme en ces temps où l’on ne parle en France que d’ultralibéralisme pour le dénoncer violemment.
La vérité est que la situation est beaucoup plus complexe. La crise actuelle qui n’en est qu’à ses débuts, révèle une crise de l’Etat-Providence à la française qui est plus radicale encore.
Il faut donc se demander pourquoi les Français sont des antilibéraux de façon viscérale et pourquoi dans le même temps ils accordent leur faveur au libéralisme culturel, c'est-à-dire à la liberté la plus totale en matière de mœurs (mariage homosexuel, homoparentalité, euthanasie, banalisation de l’avortement, etc.). Pourquoi par ailleurs l’auteur allemand Carl Schmitt jouit-il d’une telle faveur dans l’Extrême-Gauche intellectuelle? J’ai voulu élucider ces paradoxes qui composent le paysage intellectuel de notre pays en plein désarroi.
Il faut reconnaître selon moi qu’on n’a pas trouvé de meilleure réponse que la loi de l’offre et de  la demande, en d’autres termes que le marché, pour la régulation de la vie économique. A ceux qui en douteraient, la situation actuelle apporte sa réponse. Les agences de notation sanctionnent les pays qui ont laissé filer leurs déficits budgétaires annuels. La phrase du Traité constitutionnel européen, «une concurrence libre et non faussée», est incontestable (même si le traité n’a pas été adopté…). Rappelons que ce qu’on appelle les marchés financiers sont essentiellement spéculatifs et n’appliquent pas la formule précitée.
La vérité est également que l’antilibéralisme est ancien en France. Il vient de l’étatisme français que Tocqueville a si bien décrit dans «L’Ancien Régime et la Révolution». Le culte de l’Etat qui en résulte ou le fonde, est développé aujourd’hui par la Gauche et même l’Extrême-Gauche qui est en principe pour la disparition de ce même Etat…
Notons de plus qu’il y a une contradiction entre le refus du libéralisme économique et la promotion du libéralisme culturel. Pourquoi, en effet, s’opposer à l’individualisme d’un côté et le développer de l’autre en matière de mœurs. Comment peut-on en appeler à la solidarité sociale quand on encourage les personnes à être soumis à leurs seuls désirs? C’est tout le problème posé à la Gauche, aux Ecologistes, mais également à une partie de la Droite et… du Centre!
Au terme de mon enquête, il me semble possible de dégager les éléments suivants. La première leçon tirée de mon enquête est que Hayek est un théoricien important et les questions qu’il pose sur la justice sociale sont fondamentales. Il a inspiré les recherches des sociologues comme Boudon et autres sur ce qu’on appelle les effets pervers parmi lesquels se trouvent les effets d’aubaine. Toucher aux mécanismes du marché dans le domaine des biens économiques, de la production et de la consommation, c’est pour un gouvernement se préparer à des désillusions et à des pertes financières. La Grèce en constitue l’exemple paroxystique.
La deuxième leçon concerne Carl  Schmitt. Ce critique virulent du libéralisme, a des remarques fort justes sur les limites du parlementarisme mais méconnaît le fait que les libéraux ne sont pas naïfs et connaissent la réalité des conflits. En témoigne ce texte américain qu’on appelle «Le Fédéraliste».
La troisième leçon porte sur le nécessaire retour au premier plan de la notion de bien commun. Comme le disait Jacques Maritain, il s’agit du bien qui est commun à tous et à chacun. Il ne s’agit donc pas de l’intérêt général qui peut négliger les intérêts de certains. L’apport de cette notion qui constitue le cœur de la Doctrine sociale de l’Eglise catholique, repose sur le sens de la personne humaine. Cette dernière est plus que l’individu ou plutôt, elle est l’individu en relation constitutive avec l’autre. Il en résulte que l’Etat ne peut jamais faire fi des personnes. C’est le contenu le plus profond de la notion d’Etat de droit.
Les conséquences de ma recherche, aboutissant à cet ouvrage, ne sont pas négligeables pour le Centre: avoir le sens de la personne suppose qu’on respecte en politique la tradition démocrate-chrétienne. Cette dernière rappelle que la famille est l’institution centrale d’une société et ce d’autant plus que l’individu est premier dans la société contemporaine. Les problèmes que rencontre l’école en France sont là pour nous le rappeler. Les incivilités comme on les nomme pudiquement, sont bien dues au manque d’éducation. Ceux qui s’élèvent aujourd’hui contre le projet d’une évaluation des enfants de 5 ans en Maternelle sont les mêmes qui vantent les mérites de l’école pour les tout-petits parce qu’elle serait facteur de socialisation réussie. Si cela est vrai, pourquoi refuser une évaluation?
Le Centre fonde son apport et sa valeur sur la proclamation de la vérité en politique au-delà des proclamations faciles sur la laïcité à la française qui ont fait les beaux jours du Parti radical.
Parmi les questions relevant de la vérité, il y a celle du désir. C’est à chacun de conjuguer ses désirs avec une liberté responsable. Là se situe le salut de la personne et ce n’est pas l’Etat qui l’apporte.

Jacques Rollet