Dans cette rubrique, nous publions les points de vue de personnalités centristes qui ne reflètent pas nécessairement ceux du CREC. Ces points de vue ont pour but d’ouvrir le débat et de faire progresser la pensée centriste.
L’auteur de ce texte est Laurent Bourquin, militant centriste
Le tissu industriel français s’est considérablement dégradé au cours de la dernière décennie. Les délocalisations, parfois rendues nécessaires par la conquête de marchés extérieurs, n’ont pas été, loin s’en faut, compensées par des créations d’emplois industriels en France. Notre pays souffre de handicaps souvent stigmatisés et notamment:
- face à quelques multinationales puissantes et performantes, un réseau de PME insuffisamment développé;
- une insuffisante spécialisation dans les secteurs d’avenir: NTIC, nanotechnologies, biotechnologies, « green » et nouvelles sources d’énergie…
- des sources de financement captées en priorité par les plus grandes entreprises;
- une pénurie de compétences qui s’aggrave dans des domaines à forte valeur ajoutée, avec notamment un déficit croissant du nombre d’ingénieurs formé ;
- un nombre insuffisant de créations d’entreprises (environ 300 000 par an) et une mortalité excessive au terme de la première année;
- plus généralement, un pays qui valorise la réussite intellectuelle au détriment de l’esprit entrepreneurial.
Or créer et faire croître de nouvelles entreprises innovantes, pour prendre la place de celles qui délocalisent ou périclitent est une des clés de notre avenir économique et social.
Afin de favoriser l’initiative et la création d’entreprises, voici dix propositions à mettre en place:
1. Développer la culture et la formation entrepreneuriales
2. Encourager une politique d’essaimage active
3. Simplifier le maquis des aides aux créations d’entreprises
4. Refondre les mécanismes de capital risque et de financement
5. Faire mieux partager l’accès à la R &D aux sociétés innovantes et technologiques
6. Diffuser la connaissance des initiatives qui gagnent à l’étranger
7. Aider les PME à exporter
8. Ouvrir les marchés publics aux PME
9. Rendre moins pénalisante la fiscalité pour les jeunes entreprises
10. Cesser de sanctionner lourdement l’entrepreneur qui échoue
Développer la culture et la formation entrepreneuriales
Enjeu: Les Français sont peu préparés à entreprendre. Les idées ne manquent pas, c’est l’esprit d’entreprise et le goût du risque, si répandus dans les pays anglo-saxons, qui fait défaut dans notre pays. Seulement 15 % des projets de création vont jusqu’à la naissance d’une société.
Seulement 7 % des ingénieurs, pourtant formés aux technologies innovantes, créent leur entreprise. Les cohortes de diplômés des grandes écoles scientifiques sont happées par les grandes entreprises, considérées comme la voie royale pour réussir une carrière.
Quelques pistes:
- généraliser dans les établissements d’enseignement supérieur, et tout particulièrement dans les écoles d’ingénieurs, les cursus de formation à la création d’entreprises;
- promouvoir et valoriser l’hébergement par les universités et les grandes écoles, des «incubateurs de start-up», en privilégiant la collaboration entre établissements, afin de partager les savoir faire de chacun (études de marché, construction de business plans, développement de projets en liaison avec les laboratoires de recherche…);
- garantir à ces incubateurs des moyens publics suffisants;
- favoriser la création de campus regroupant sur un même lieu les formations des écoles d’ingénieur et des écoles de commerce;
- développer des pépinières d’entreprises à proximité de ces campus;
- plus généralement, montrer en exemple aux étudiants et aux chômeurs ayant envie d’entreprendre mais n’osant pas se lancer, ceux qui ont réussi à créer leur entreprise, présenter les «business cases» construits à partir de leur expérience.
Encourager une politique d’essaimage active
Enjeu: Les grandes entreprises françaises jouent un rôle essentiel dans le maintien et la densification du tissu économique du pays. Elles constituent d’importants réservoirs de cadres hautement qualifiés et bénéficiant à la fois d’une connaissance profonde du monde de l’entreprise et d’un vaste réseau relationnel. L’essaimage bénéficie à tous les acteurs concernés:
- pour l’entreprise, donner sa chance à un projet qui favorisera son ouverture sur l’environnement local et densifier son réseau de PME partenaires, contribuer à l’émergence de nouveaux marchés ou encore, dans le cas de l’essaimage stratégique, externaliser une fonction qui ne fait pas partie de son cœur de métier, voire réduire sa masse salariale sans détruire l’emploi;
- pour le créateur, mettre tout son savoir faire au service d’un projet créateur de valeur et ainsi bénéficier de nouvelles perspectives de carrière;
- et bien sûr pour la région concernée, favoriser le renouvellement d’un tissu de PME, à travers des projets innovants.
Bien géré, l’essaimage constitue une réponse gagnant / gagnant. Certaines entreprises soutiennent activement ces initiatives, mais force est de constater que les dispositifs existants sont insuffisants pour ancrer l’essaimage dans la culture des entreprises et de leurs salariés.
-désigner dans toutes les moyennes et grandes entreprises des délégué à l'essaimage, capables de guider les candidats dans la réalisation de leur projet, depuis l’émergence d’une idée jusqu’à un ou deux ans après le démarrage de l’activité;
- aider le candidat à construire son business plan et une première étude de marché;
- mettre en place en liaison avec les CCI, des comités de sélection rigoureux;
- offrir au candidat des facilités financières (temps libéré progressif, prime d’installation), des aides personnalisées à la formation, des conseils d’experts;
- une garantie de réintégration dans l’entreprise en cas d’échec du projet, afin de désinhiber la prise de risque et de faire bénéficier l’entreprise d’une expérience qui de toute façon aura été riche en enseignements.
Enfin, ne pas oublier que l’essaimage ne devrait pas être l’affaire des seuls cadres du privé. La fonction publique et en particulier la haute fonction publique doivent aussi être capables d’essaimer!
Simplifier le maquis des aides aux créations d’entreprises
Enjeu: Les aides aux créateurs d’entreprises sont nombreuses. Mais leurs vocations sont souvent redondantes, les candidats se perdent dans un dédale d’organismes et d’aides diverses. L’Aide aux Chômeurs, Créateurs, ou Repreneurs d’une entreprise (ACCRE), l’Aide à la création d’entreprises innovantes (AICI), l’aide aux services «création d’entreprise», le Chéquier-Conseil pour les créateurs d’entreprise, les déduction des intérêts d’emprunt pour la souscription au capital de sociétés nouvelles ou de SCOP, les déduction des pertes en capital subies par les créateurs d’entreprises, les «Défi jeunes», les dispenses de versement des acomptes d’impôts sur les sociétés nouvelles, les dispositif EDEN pour les publics en difficulté, les exonération d’impôt sur les bénéfices des entreprises nouvelles, les exonération d’impôt sur les sociétés pour la reprise d’entreprises ou d’établissements en difficulté, les aides du Fonds de Développement des PME (FDPME), les prêt à la création d’Entreprise (PCE), les primes Régionales à la Création d’Entreprises (PRCE), les subventions d’installation pour les travailleurs handicapés…. n’en constituent qu’un échantillon. A cela s’ajoutent toutes les aides spécifiques mises en place par les régions, départements, communes ou au niveau européen. Une fois l’entreprise à flot, les aides au développement sont tout aussi nombreuses, hétéroclites et non coordonnées.
Quelques pistes:
- fusionner les organismes d’aide à la création d’entreprise, en mettant en place un guichet unique pour les candidats;
- et ainsi regrouper tous les moyens financiers et logistiques mis en place par les pouvoirs publics et les organismes inter - professionnels;
- simplifier et clarifier les critères d’attribution de ces aides.
Refondre les mécanismes de capital risque et de financement
Enjeu: Un fossé sépare grandes et petites entreprises dans l’accès au financement issu de l’épargne collective. D’un côté, les grandes entreprises accèdent à toutes sortes de financements, boursiers à travers des émissions obligataires ou d’actions, ou bancaires. De l’autre, les petites entreprises et a fortiori les projets de créations d’entreprises innovantes et donc à risques élevés, n’ont qu’un accès très limité au financement bancaire. La logique du scoring voudrait même que ne bénéficie d’un financement que l’entrepreneur qui a déjà fait ses preuves. Faciliter le financement des projets et en particulier des sociétés innovantes, constitue donc une priorité.
Quelques pistes:
- renforcer l’efficacité de l’ANVAR, dont les aides jouent un rôle de catalyseur de financements complémentaires, notamment en garantissant en pourcentage la part du financement qu’elle accorde lors du tour de table initial;
- créer un grand organisme de capital risque, associant de grandes banques et les principaux investisseurs institutionnels, côté en bourse, avec pour mission de mieux drainer l’épargne des ménages vers le financement de projets innovants;
- plus généralement, mettre en place des mesures incitant les investisseurs institutionnels à orienter une part plus importante de l’épargne collectée vers des entreprises cotées et à forte croissance;
- accroître la part du financement assurée par les «business angels»;
- encourager la création de fonds d’investissement à l’échelle européenne.
Faire mieux partager l’accès à la R &D aux sociétés innovantes et technologiques
Enjeu: Les grandes entreprises consacrent, selon les secteurs entre 1 et 5 % (voire beaucoup plus dans certains secteurs de pointe) de leur chiffre d’affaires à leur effort de recherche. Pour la plupart des PME, le risque et l’effort à consentir pour mener à bien des projets de R&D sont démesurés face aux moyens dont elles disposent. Leur trésorerie ne leur permet que rarement de s’associer à des projets de recherche dont le retour sur investissements est à la fois long et aléatoire.
Quelques pistes:
- encourager les PME à explorer leur potentiel technologique et réserver un certain pourcentage des crédits publics de recherche au financement de projets intéressant des PME innovantes, dans tous les domaines d’activités, à l’instar du programme américain SBIR (Small Business innovation Research Program);
- primer les projets qui réussissent.
Diffuser la connaissance des initiatives qui gagnent à l’étranger
Enjeu: Le «time to market» est devenu un facteur clé de succès des entreprises. Il faut s’adapter rapidement, anticiper, ce qui signifie le cas échéant s’inspirer des réussites des autres, qu’il s’agisse de nouveaux produits ou de processus de production innovants. Longtemps après les Japonais, les grandes entreprises ont bien compris l’importance de la veille technologique et de l’intelligence économique. Les PME et a fortiori les candidats à la création d’entreprises sont loin de partager cette connaissance.
Quelques pistes:
- conforter le rôle des postes d’expansion économiques de la DREE dans la veille technologique et l’intelligence économique;
- mieux mutualiser la connaissance ainsi acquise, à l’image du MITI japonais, par exemple en renforçant les liens entre ce réseau à l’étranger et le réseau des CCI.
Aider les PME à exporter
Enjeux: Les 500 plus grandes entreprises françaises assurent l’essentiel des exportations de notre pays. Le poids des PME dans nos exportations est globalement très insuffisant. A l’opposé, les PME italiennes se sont depuis longtemps regroupées en réseaux de commercialisation à l’étranger qui leur offrent une large part de leurs débouchés à l’extérieur.
Quelques pistes:
- renforcer la présence des PME françaises à l’étranger, en les aidant à fédérer leurs réseaux de commercialisation ou à s’associer à des partenaires commerciaux ou industriels;
- favoriser, notamment en repensant le rôle du CODEX (Comité de développement extérieur), l’essor de réseaux de distributeurs à l’étranger qui puissent être mutualisés entre un ensemble d’entreprises appartenant au même secteur d’activité.
Ouvrir les marchés publics aux PME
Enjeux: Les commandes publiques sont régies par des règles garantissant la concurrence entre les entreprises. Force est en réalité de constater que les PME n’obtiennent que la portion congrue de ces commandes.
Quelques pistes:
- davantage orienter la commande publique en direction des jeunes sociétés innovantes et technologiques;
- élaborer des directives européennes qui encouragent les États membres et l’Union Européenne à acheter les produits et services des PME européennes innovantes.
Rendre moins pénalisante la fiscalité pour les jeunes entreprises
Enjeu: Les pouvoirs publics imposent aux jeunes entreprises de payer des impôts, notamment des impôts locaux, avant même que celles-ci n’aient créé suffisamment de richesse et confirmé la pérennité de leur activité. Cette ponction quasiment à la source décourage nombre de créateurs d’entreprises, sur lesquels pèse déjà un risque énorme.
Piste:
- renforcer les dispositifs de type «impôt différé» ou «crédit d’impôt», exigibles uniquement après une période à déterminer, au cours de laquelle la nouvelle entreprise est capable de prouver sa viabilité. De tels dispositifs aménageraient en particulier la fiscalité locale, l’impôt sur les sociétés n’étant exigible qu’à partir du moment où l’entreprise engrange effectivement des bénéfices.
Cesser de sanctionner lourdement l’entrepreneur qui échoue
Enjeu: L’échec de l’entrepreneur est stigmatisé en France. Aux sanctions matérielles, s’ajoutent le plus souvent des sanctions judiciaires, voire morales: au modèle du héros malheureux dans d’autres pays, on oppose en France celui du failli. Or plus on veut de créations, plus il y aura statistiquement d’échecs. Ces situations doivent être dédramatisées pour ne plus dissuader la prise de risque.
Quelques pistes:
- réduire les cautions personnelles exigées des petits entrepreneurs sur leurs biens personnels, en mutualisant les risques. Les grands investisseurs institutionnels qui drainent une grande partie de l’épargne privée vers le financement des grandes entreprises pourraient être mis à contribution;
- promouvoir le recrutement d’entrepreneurs qui ont échoué dans leurs projets, dans des entreprises qui pourraient bénéficier de la richesse de l’expérience que ceux-ci ont vécue, et le cas échéant reprendre leur projet en tirant les leçons du précédent échec.
Laurent Bourquin