Un courant centriste existe dans tous les pays du monde. Il n’est évidemment pas uniforme. Le corpus des valeurs et des références peut varier d’un pays à l’autre. Mais ce qui fait l’unité de ce courant, où qu’il soit implanté, c’est sa vision humaniste de la société, le consensus qu’il recherche et la liberté dans l’égalité qu’il entend promouvoir.
Il serait donc inexact de vouloir relativiser le Centrisme mondial uniquement par rapport aux différences culturelles qui existent dans chaque pays ou dans des groupes de pays, comme c’est aujourd’hui la mode dans les sciences sociales,
Bizarrement, les tenants et les défenseurs de cette thèse relativiste du culturalisme, sont les mêmes qui prétendent exécrer le colonialisme qui l’utilisa pour démontrer sa légitimité.
Affirmant que les fameuses «différences culturelles» sont toujours légitimes (alors que ce sont souvent des créations superficielles de dictatures ou de régimes autoritaires qui les mettent en avant pour refuser la liberté à leur peuple comme en Chine), ils expliquent que la démocratie républicaine prônée par le Centre et le Centrisme «occidental» n’est pas exportable en dehors de sa sphère géographique, sauf à imposer un soi-disant néocolonialisme de la pensée au monde…
Pourtant, à chaque fois que la révolte et la révolution ont germé cette année, c’est bien cette «démocratie occidentale» qui était demandée par des peuples qui sont privés de liberté depuis si longtemps.
C’est ce qui s’est passé, par exemple, pour le Printemps arabe.
Il est vrai, toutefois, qu’une des difficultés à parler du Centre et du Centrisme dans les pays arabes vient de ce qu’il y a deux centrismes. Ou, plutôt, qu’il y a une utilisation fallacieuse du mot «centrisme» par un courant qui ne l’est pas.
Le premier courant centriste est laïc et il ressemble à celui qui a cours dans le reste du monde. L’autre est porté par certains partis islamiques dits «modérés» qui prône un entre-deux entre un régime laïc et un régime religieux afin de ne pas trop effaroucher une partie de la population et de l’opinion mondiale. Autrement dit, il ne s’agit en rien de Centrisme.
Beaucoup ont été dupés par ce discours qui justifiait, selon eux, cette, soi-disant, fameuse «modération» de partis comme les Frères musulmans!
Aux Etats-Unis
Le Centrisme a connu une année agitée aux Etats-Unis. Vilipendé par les courants extrémistes, en particulier celui d’extrême-droite et populiste du Tea Party, qui hait par-dessus tout les «modérés» dans le Parti républicain (mais aussi par le courant le plus «libéral» du Parti démocrate qui les dénonce dans son propre camp et qui a abouti au mouvement Occupy Wall Street), il a eu pourtant les honneurs tout au long de l’année.
D’abord, parce que la radicalisation des républicains, majoritaires à la Chambre des représentants, a fait voler en éclats ce qui restait d’un certain consensus à l’américaine où l’on arrive toujours, au dernier moment à se mettre d’accord sur une ligne médiane où chacun a fait les concessions nécessaires pour parvenir à un compromis.
Or, en 2011, les élus les plus à droite ont constamment refusé de lâcher du lest sauf sous la pression de leur électorat ou des sondages, et encore. D’où une volonté de trouver une solution centriste à la crise politique.
Ensuite, parce qu’un débat, initié là aussi par les républicains les plus à droite (et qui n’est que la continuation d’autres attaques du même genre les années précédentes), s’est instauré sur le centrisme de Barack Obama (qui est pourtant de plus en plus évident, ce qui d’ailleurs lui est reproché par certains qui estiment qu’il recherche trop le consensus).
Par des manœuvres pourtant très grossières, c’est-à-dire en défendant des thèses extrémistes et ensuite en accusant le président des Etats-Unis de ne pas faire le grand pas qu’ils lui demandaient dans leur direction (c’est-à-dire très à droite), les républicains proches de l’extrême-droite ont réussi à faire vivre ce débat repris par certains commentateurs peu inspiré sur ce coup comme deux des éditorialistes-vedettes du New York Times, Thomas Friedman (démocrate) et David Brooks (républicain) qui se présentent comme modérés.
Enfin, parce que le blocage de Washington a remis au goût du jour le «troisième homme» (assez récurrent dans les élections américaines) pour la prochaine présidentielle, en novembre 2008, qui serait le candidat centriste idéal capable de réunir les Américains et de refonder un lien social mis à mal par les extrémistes de tous bords.
Une organisation baptisée «no labels» («pas d’étiquettes») a ainsi vu le jour, regroupant des démocrates et des républicains modérés qui souhaitent promouvoir une candidature indépendante des deux grands partis. Une autre initiative, veut faire désigner un candidat modéré par un vote sur internet, candidat qui ensuite se lancerait dans la bataille présidentielle.
De même, les partis centristes (on oublie qu’il existe plusieurs partis centristes aux Etats-Unis, comme le Centrist Party, le Modern Whig Party ou l’American Centrist Party, même s’ils sont peu puissants et que nombre de centristes préfèrent militer dans les deux grands partis, démocrate et républicain), sont montés au créneau pour réclamer une candidature centriste.
En Grande Bretagne
Les Libéraux démocrates («Lib Dem»)de Nick Clegg, vice-premier ministre du gouvernement de David Cameron, ont vécu une année très mouvementée et très difficile. Avec la crise économique et la rigueur, ils ont poursuivi leur descente aux enfers dans les sondages qui avait déjà débuté en 2010. Car leur électorat, plutôt de centre-gauche, ne leur pardonne pas les mesures d’austérité prises et leur allégeance aux conservateurs.
Incapables de reprendre la main, noyés entre les travaillistes et les conservateurs, les Libéraux démocrates n’ont pu imposer une image d’un parti fort et capable, à terme, d’être une alternative crédible aux deux mastodontes qui se partagent le pouvoir depuis des décennies.
Même le débat sur l’Union européenne lancé par le refus de David Cameron de faire partie d’une union plus resserrée n’a pas permis aux Libéraux démocrates, qui sont très pro-européens, de faire entendre leur différence. En tout cas, pour l’instant.
Si une élection avait lieu aujourd’hui, les enquêtes d’opinion promettent une débâcle aux amis de Nick Clegg qui attendent des jours meilleurs.
Dans les pays arabes
Le Printemps arabe a fait fleurir de très nombreux partis centristes, que ce soit en Tunisie, en Egypte ou au Maroc. De même, au Liban, s’est instauré un débat sur le centrisme revendiqué d’un certain nombre de leaders politiques.
Nous avons vu, plus haut, que le terme de «centrisme» a été détourné par les partis islamistes pour se donner une certaine respectabilité de la modération en expliquant que leur «centrisme» se trouvait à équidistance de la laïcité et de la religion…
Mais, dans le même temps, de très nombreux partis laïcs et répondant aux critères du Centrisme ont été mis sur pied. Ils sont, à la fois, trop nombreux (pas moins de trente-trois en Tunisie!) et pas assez puissants pour prétendre au jour d’aujourd’hui, gagner seuls une élection.
Des regroupements ont déjà eu lieu dans des «alliances centristes» comme au Maroc) et il faudra voir, dans les mois et les années qui viennent comment ils vont se positionner et s’ils auront la capacité à s’imposer comme des partis puissants dans un environnement délicat où l’on ne sait pas encore si la libéralisation des régimes issus de ce Printemps arabe débouchera sur une vraie démocratie ou si cette fenêtre de liberté sera récupérée par les réactionnaires laïcs ou religieux.
Dans le reste du monde
En 2011, plusieurs autres faits saillants ont marqué la galaxie centriste.
- Dans les pays africains, la création de partis centristes a continué sans pour autant que ceux-ci parviennent à occuper le pouvoir sauf dans des coalitions où ils sont généralement minoritaires. Mais il semble que de plus en plus de personnes sur le continent noir pensent que le salut démocratique passe par des partis situés au centre de l’échiquier politique.
- En Suisse, les élections législatives ont vu une poussé centriste en même temps qu’une poussée des socialistes.
- En Belgique, les centristes wallons de CdH se sont réorganisés et participent au gouvernement d’union nationale du socialiste wallon, Elio di Rupo.
- En Irlande, le parti de centre-droit au pouvoir, Fianna Fail, a été remplacé par le parti de… centre-droit dans l’opposition, le Fine Gail allié au Travaillistes. Et pour couronner le tout, le Fine Gail est plus à droite que le Fianna Fail et a pourtant noué une alliance avec la gauche! Cette recomposition politique est due en grande partie à la faillite du pays qui l’a plongé dans une forte récession.
- En Espagne, un embryon de parti centriste a remporté cinq sièges aux élections législatives dans un pays où le Centre était jusque là totalement phagocyté par les deux grands partis de gauche et de droite (même s’il existe depuis longtemps un parti centriste catalan).
- En Pologne, le premier ministre centriste Donald Tusk a remporté les législatives et s’est succédé à lui-même.
- En Bulgarie, le candidat du Centre. Rosen Plevneliev, a remporté l'élection présidentielle avec 52,5% des suffrages.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC
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