Dans cette rubrique, nous publions les points de vue de personnalités centristes qui ne reflètent pas nécessairement ceux du CREC. Ces points de vue ont pour but d’ouvrir le débat et de faire progresser la pensée centriste.
Jacques Rollet est politologue, membre du conseil scientifique de l’Institut du Centre et auteur de plusieurs livres dont Tocqueville (Montchrestien 1998), Religion et politique (Grasset 2001), La tentation relativiste, DDB, 2004), Le libéralisme et ses ennemis (DDB, septembre 2011). Il tient ici une chronique régulière.
Il peut sembler a priori surprenant de rapprocher un donné politique comme le centre, d’une religion telle que le christianisme. L’affirmation par l’Eglise catholique de la légitimité du pluralisme en matière de choix politique de la part des fidèles pourrait conduire à douter de la légitimité de ce rapprochement. Nous n’hésitons pas cependant à parler d’affinités structurelles entre cette position politique et le christianisme particulièrement dans sa version catholique. Elles résident dans l’idée qu’il y a une limite à l’action politique et au rôle qu’elle peut jouer dans les changements au sein de la vie en société. Nous présentons ci-dessous quelques éléments pouvant fonder ces affirmations.
La tradition catholique a toujours établi une articulation entre religion et politique qu’on résume le plus souvent par la formule de Matthieu 22,21: «Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu». Il faut reconnaître au politique ce qui est de son domaine mais ce domaine est normé par celui de Dieu. En d’autres termes, le domaine du politique est confronté à celui de l’éthique qui traite des orientations de la liberté humaine. Jacques Maritain et Emmanuel Mounier ont tous deux au XX° siècle, illustré la pensée catholique sur ce point. Elle se différencie du luthéranisme qui par sa théorie des deux règnes, sépare les deux domaines au point de laisser César libre de tous ses actes. Ce n’est pas sans signification que beaucoup de luthériens allemands ont voté pour le Parti national-socialiste en 1932 et 1933.
La foi chrétienne repose sur la conviction que Dieu seul peut sauver l’homme et le délivrer du mal dont il est responsable; ceci implique que l’action politique ne peut changer l’homme en profondeur. Elle ne délivre pas l’humanité du mal qui vient du cœur, de la profondeur de la personne. Les totalitarismes ont voulu créer un homme nouveau, nazi ou communiste. Cela a tué des millions de personnes, et n’oublions pas que ces deux mouvements politiques étaient fondés sur l’athéisme…
Si par révolution, on entend le changement radical d’une société, la suspension puis suppression de l’Etat de droit, on peut affirmer qu’il y a une antinomie entre démocratie politique et révolution. Cela rejoint de fait la conviction chrétienne que la révolution ne peut jamais changer l’homme de façon salvatrice. On peut donc affirmer qu’un chrétien ne peut jamais adhérer à un parti qui au nom de positions d’extrême –gauche ou d’extrême-droite donnerait le primat au politique au nom d’une nécessité de changement énoncée par une idéologie. Il y a une affinité structurelle entre le christianisme et le centre qui s’exprime par la volonté de réformer la société sans la révolutionner.
Le second rapprochement porte sur le sens de la personne dans l’articulation: individu-société. La personne est pour le christianisme, l’homme en tant qu’interlocuteur de Dieu, appelé par lui à l’exercice de la liberté. La personne est plus que l’individu dans la mesure où elle ne peut être annihilée par le collectif qu’est la société; c’est ainsi que pour Thomas d’Aquin et Jacques Maritain à sa suite, le bien commun est autre que le bien du plus grand nombre. C’est un bien qui est commun à tous et à chacun; il en résulte que la personne transcende la société dont elle est membre au sens où elle ne peut être considérée comme simple membre d’un collectif.
Le chrétien est appelé à vivre la charité, c’est dire, le rapport désintéressé à l’autre, qui peut se traduire éventuellement par la solidarité dans le domaine politique sans qu’il y ait jamais identité entre les deux démarches. La charité est un acte de don, donc de liberté personnelle. La solidarité exercée par l’Etat-providence consiste à prélever aux uns par l’impôt, pour redonner à d’autres. Il n’y a là aucune implication personnelle. La crise de cet Etat-providence est financière mais elle est également idéologique car l’action d’un Etat bureaucratique qui entretient l’assistanat sans que cela produise de vrais résultats en termes de réinsertion sociale, suscité l’exaspération d’un nombre croissante de personnes qui, elles, sont mises financièrement à contribution. La solidarité doit être fondée sur la responsabilité de chacun ; du contributeur et du bénéficiaire; ce n’est pas le cas actuellement. Il faut réhabiliter la charité comme don, fruit d’une démarche volontaire. Il ya là encore rencontre entre le christianisme et le personnalisme du Centre.
On comprend par là-même que ce Centre là n’est pas identique au radicalisme de la Troisième République: celui du parti Radical, représenté actuellement par Jean-Louis Borloo. Cette tradition liée à la franc-maçonnerie, fondée sur une conception stricte de la laïcité et sur l’idée de progrès par la science n’est pas le Centre inspiré par le christianisme. Ce dernier a une conception ouverte de la laïcité et ne pratique pas l’idolâtrie du progrès, mise en cause par toutes les catastrophes contemporaines.
Cette réflexion est à approfondir mais nous pensons avoir livré ici des éléments déterminants, pour ce faire.
Jacques Rollet
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