Attaqué à droite et à gauche, Valéry Giscard d’Estaing a perdu les élections en 1981 alors que tout le monde le donnait gagnant. Une telle mésaventure peut-elle arriver à Barack Obama en 2012? Oui. Ayant répondu par la positive, nous devons, bien entendu, immédiatement pointé les différences entre les deux situations avant d’en revenir aux similitudes.
Valéry Giscard d’Estaing vient de la droite alors que Barack Obama vient de la gauche. Tous les deux se sont rapprochés du Centre au cours de leurs parcours politiques respectifs mais l’ancien Président de la république française est demeuré plus au centre-droit alors que le Président des Etats-Unis est dans une posture réellement centriste avec quelques caractéristiques de centre-gauche néanmoins.
Pour autant, le maître-mot des deux hommes était et est consensus. Que ce soit dans une vision «bipartisane» de Barack Obama ou dans celle de «deux Français sur trois» de Valéry Giscard d’Estaing. De même, tous deux ont franchi les lignes politiques pour faire adopter des mesures plutôt à gauche pour Giscard d’Estaing (avortement légal, majorité à dix-huit ans) ou plutôt à droite pour Obama (guerre contre le terrorisme en Afghanistan).
Dès lors, les deux hommes ont brouillé leur image comme n’ont cessé de le répéter des analystes en France dans les années soixante-dix et quatre-vingt et aux Etats-Unis cette dernière année. Une image brouillée, selon eux, signifie que l’on ne sait plus s’ils sont de droite ou de gauche car ils semblent n’être ni l’un, ni l’autre. Ce qui est vrai puisqu’ils se situent au centre! Mais ce prétendu brouillage a été utilisé par les adversaires des deux hommes. Les «amis» de droite de Valéry Giscard d’Estaing l’ont accusé de trahison (rappelons-nous le «Parti de l’étranger», l’UDF, selon Jacques Chirac) et ceux de gauche ont fait de même avec Barack Obama. Quant aux «ennemis», la gauche du Président français et la droite du Président américain, ils ont été trop contents de trouver des alliés pour mener le bataille.
On ne sait pas trop encore comment finira le premier mandat de Barack Obama. Mais on sait comment a fini celui de Valéry Giscard d’Estaing. Quasiment assuré d’être réélu à la fin de 1980 avec des sondages extrêmement favorables, il a été battu le 10 mai 1981 par François Mitterrand et demeure, à ce jour, le seul président de la V° République en place à avoir été défait lors d’un renouvèlement de mandat. Sa défaite, il la doit essentiellement à une coalition de la droite gaulliste (le RPR) et de la gauche (les Parti socialiste et Parti communiste).
Cette alliance improbable est en train de se constituer aux Etats-Unis contre Barack Obama. Bien sûr, les électeurs de gauche ne votent pas encore contre le Président (notamment par le biais des élections de gouverneurs ou de membres du Congrès) mais ils ne votent plus pour lui, ne se déplaçant plus les jours de scrutin car estimant qu’il les a trahis. De ce fait, ils permettent aux candidats de droite du Parti républicain d’être élus. Tout le pari de Barack Obama n’est pas de garder cet électorat de gauche mais de pouvoir faire la synthèse entre les électeurs modérés du Parti démocrate, du Parti républicain et du groupe des indépendants (électeurs qui ne se reconnaissent pas dans les deux partis dominants). Les Républicains, mais aussi les Démocrates, le savent et font évidemment barrage à cette volonté de redessiner une carte électorale où ils auraient beaucoup à perdre. Et ce chamboulement partisan n’est de toute façon pas facile à réaliser, certains estimant qu’il est impossible au vu des clivages actuels dans la population américaine.
Pourquoi, dès lors, Valéry Giscard d’Estaing en son temps et aujourd’hui Barack Obama s’échinent-ils à vouloir ce consensus et cette redistribution des cartes politiques qui comportent plus de danger qu’autre chose pour leur carrière politique? Parce qu’ils savent qu’un pays ne peut se construire durablement que par une large vision commune. Ils ne sont pas stupides, ni de béats idéalistes comme on commence à accuser Obama de l’être, ils ont des convictions politiques centristes et ils ne se résolvent pas à cette guerre permanente entre des camps opposés qui, quand ils parviennent au pouvoir, sont obligés de gouverner au centre.
D’autant que, depuis l’échec de Valéry Giscard d’Estaing, le monde a changé et les visions idéologiques extrêmes ont montré leur incapacité à apporter des réponses satisfaisantes au gouvernement des humains. Dès lors, ce consensus recherché par Barack Obama est la seule voie responsable d’un homme politique responsable. Mais c’est aussi le chemin le plus difficile car il s’agit de faire exploser des clientélismes politiques pour instaurer une manière de gouverner nouvelle. Pour cela, il faut que le Centre devienne majoritaire. En France, il ne l’est pas encore. Aux Etats-Unis, si l’on avait réuni les modérés du Parti démocrate et ceux du Parti républicain, on aurait pu y parvenir il y a quelques années. Mais, sentant le danger, les extrémistes de droite et de gauche les ont diabolisés et continuent à le faire. Reste à Obama à inverser la tendance. Il a la volonté. En aura-t-il la capacité? En tout cas, il a bien de choses à apprendre de l’échec de Valéry Giscard d’Estaing…
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Louis Gripari
Directeur du service étranger du CREC