Sous le titre «François Bayrou, la stratégie du deuxième choix», Alain Duhamel a publié une tribune dans Libération dans laquelle il estime que l’élection européenne est la plus importante pour François Bayrou et son parti car elles conditionneront sa capacité à être crédible… en 2012 ! Voici cette tribune.
«Avec les élections européennes, François Bayrou aborde une phase décisive de sa stratégie présidentielle. Il y a un an, les élections municipales avaient, c’était inévitable, douché ses ambitions. Lui-même avait été battu sur le fil à Pau. Si ses partisans avaient obtenu des scores très honorables là où ils concourraient sous leurs couleurs, la faiblesse de son implantation locale avait éclaté au grand jour. L’année prochaine, aux élections régionales, les mêmes causes risquent de produire les mêmes effets.
Le Modem sera contraint à des alliances à géométrie variable qui ne clarifieront pas son image. Pour le Béarnais, il est donc essentiel de réussir un bon score le 7 juin. Le mode de scrutin proportionnel à un tour lui évite toute entrave. L’objet théorique des élections - le projet européen - se situe au cœur même de sa démarche et dans le droit fil de l’héritage de sa famille politique d’origine.
Par ailleurs, si comme c’est à redouter les élections européennes ignorent largement Bruxelles et Strasbourg pour porter sur la crise et sur Nicolas Sarkozy, François Bayrou ne risque pas d’être embarrassé, lui qui canonne le président de la République plus violemment que quiconque et qui n’a pas de mots assez durs pour vouer aux gémonies les apprentis sorciers qui ont provoqué la crise. Les élections européennes constituent donc pour le président du Modem la meilleure, et peut-être la seule occasion de marquer l’opinion, d’affermir son image et d’afficher ses ambitions avant la campagne présidentielle. Il est donc impératif pour François Bayrou d’atteindre la troisième place, de devancer nettement les Verts, le Front national, les souverainistes et l’extrême gauche, bref de démontrer qu’il demeure pleinement dans la course avec un score au moins égal à celui de l’UDF en 2004, c’est-à-dire 12%.
Pour cela, il ne va pas mesurer ses efforts. Il publie la semaine prochaine, sous le titre Abus de pouvoir, un violent pamphlet contre Nicolas Sarkozy qui a l’ambition de jouer le même rôle que le fameux coup d’Etat permanent consacré par François Mitterrand au général de Gaulle en 1964 et qui avait à l’époque grandement servi les objectifs présidentiels de l’homme de Latché. La chronologie est habile, puisque la date de parution garantit à François Bayrou d’être l’homme politique le plus invité de France aux émissions de radio et de télévision durant le mois de mai.
La brutalité du ton et la virulence du fond lui vaudront un large écho et entreront définitivement son image d’homme d’opposition absolue, de procureur inégalable du sarkozysme. Les plus européens regretteront sans doute l’instrumentalisation présidentielle des élections au Parlement de Strasbourg. François Bayrou a cependant sa logique pour lui : seule l’élection présidentielle lui importe, seule l’élection présidentielle lui entrouvre une porte étroite vers le pouvoir. Le 7 juin a donc pour vocation exclusive de lui servir de marchepied présidentiel.
En fait, le président du Modem reprend très exactement la méthode utilisée par François Mitterrand (décidément son maître) contre Valéry Giscard d’Estaing de 1974 à 1981: il s’agit d’accabler systématiquement, quotidiennement, férocement le président de la République sur tous les plans à la fois, sans rien lui concéder. Politique internationale ou politique intérieure, politique économique ou politique sociale, tout doit être cible. Le chef de l’Etat doit être présenté inlassablement comme un monarque abusif défigurant le modèle français, rompant avec la tradition nationale, menaçant la démocratie, incapable par-dessus le marché de faire face à la crise: l’arsenal même du réquisitoire mitterrandien de jadis. Pour abattre l’ennemi juré, toutes les alliances sont bonnes, tous les rapprochements sont possibles. Il s’agit de répéter l’offensive du tous contre un. François Bayrou est donc prêt à discuter avec Dominique de Villepin qu’il vitupérait naguère, puisque les ennemis de son ennemi deviennent ses amis. Il envisage volontiers de débattre également avec les socialistes, sans rien leur concéder sur le fond, mais afin d’apparaître aux yeux des électeurs de gauche comme le deuxième choix naturel.
C’est en effet son secret le plus évident: François Bayrou ne doute pas un instant de pouvoir battre Nicolas Sarkozy au second tour s’il parvient à devancer le candidat socialiste au premier. C’est son pari. Il a trois atouts pour cela: son talent politique qui est grand, la violence de la crise qui rend tout possible et l’incapacité des socialistes à élaborer une réplique face à son OPA. Il espère en prime que Ségolène Royal finira par se présenter face à Martine Aubry et que les voix socialistes se diviseront ainsi au premier tour. L’homme de France qui croit le plus en son destin compte sur la femme de France qui croit le plus en son destin.»
Alain Duhamel
© 2009 Libération