Jean-Louis Bourlanges, journaliste et professeur à l'IEP de Paris, ancien député européen UDF qui a quitté le parti centriste lors du virage à gauche de François Bayrou explique dans un éditorial paru dans le magazine l’Expansion pourquoi il pense que ce dernier n’est plus centriste, s’il l’a jamais été, mais plutôt quelque part entre la droite de la droite et la gauche de la gauche…
«Tout semblait les rapprocher : une robuste allergie au sarkozysme, une aversion commune pour les grands et mornes appareils de la gauche établie, de vieux combats partagés pour une Europe différente, le goût des voies traversières. Mais il a suffi d'un débat, d'un échauffement, d'une passe d'armes, pour que François Bayrou et Dany Cohn-Bendit apparaissent pour ce qu'ils sont vraiment : les figures emblématiques de deux France qui se comprennent mal et ne s'aiment guère.
C'est l'histoire de celui qui croyait au ciel et de celui qui n'y croyait pas. Ou encore, plus sociologiquement, de celui qui avait un tracteur et de celui qui n'en avait pas. D'un côté, un gars de chez nous, qui ne dédaigne pas le béret, qui fleure bon la France de toujours, accroché à son village et à ses pâtures, élevé entre l'église, l'école et le monument aux morts. De l'autre, un homme aux semelles de vent, un cosmopolite qui atterrit en France une fois sur deux, des amis partout, des racines nulle part. Pour l'un, la France est une mémoire, pour l'autre, une liberté. A Strasbourg, François avait apprécié Dany comme un produit exotique, le compagnon d'une bonne soirée un peu canaille. Pour le reste, c'était un martien, étranger au combat des vrais hommes politiques, sur le seul terrain qui compte, le sanctuaire national, et pour le seul enjeu qui vaille, la présidence de la République.
Et patatras, voici que d'affreux sondages, un agencement humiliant du débat télévisé et la hideuse familiarité de son interlocuteur («On ne tutoie pas le président de la République», disait Gaston Doumergue à des amis irrespectueux) retranchent brutalement Bayrou de la cour des grands, le ramènent à son étiage et l'enferment dans un combat réducteur contre un histrion libertaire. Trop. C'était trop. C'est qu'elle vient de loin, l'indignation de François Bayrou. Là où Sarkozy nous amuse d'une critique rhétorique de Mai 68, le président du MoDem s'attaque à la racine du mal.
Il distingue le péché originel, dénonce en Dany le serpent de la damnation et suggère que la faute première ne s'efface jamais. Le crime de Mai 68 est là, intact et sacrilège. Bayrou refuse la prescription, et cette sévérité sonne comme un appel au secours à droite. Malheureux clin d'œil qui ruine en un instant la complicité grandissante du MoDem et de la gauche. Le rêve vole en éclats d'une fédération antilibérale des amis du tracteur, de la poste et de l'université réunis. Le drame du MoDem, c'est que l'idéologie française, comme la qualifie Bernard-Henri Lévy, porte à la dénonciation du marché, au scepticisme européen et à un culte exacerbé de l'exception française. Cette horreur du libéralisme vous arrache du centre, vous met à la droite de la droite, quelque part entre Uriage et les Chantiers de jeunesse, et à la gauche de la gauche, du côté du ressentiment anticapitaliste et altermondialiste.
Le 4 juin, les téléspectateurs ont compris qu'il ne suffisait pas d'être antilibéral pour tenir politiquement debout. Le 7, avec la victoire de Nicolas Sarkozy et de Dany Cohn-Bendit, libéralisme bien tempéré et ambition européenne ont repris des couleurs. Il leur reste à s'incarner dans un parti. Ni l'UMP ni les Verts ne sauraient y prétendre pleinement. Une petite annonce s'impose: ‘Centristes cherchent UDF, désespérément’.»
© 2009 L’Expansion
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