Voici une contribution du chercheur britannique David Hanley sur le centre en Europe et en France, intitulée «Bayrou ou l'éternel dilemme du centre» et parue dans Le Figaro. Les propos de l’auteur reprennent la vieille idée comme quoi le Centre n’existerait pas vraiment et serait jusqu’à présent, un appendice modéré de la droite même si, comme avec François Bayrou, il peut grappiller des voix à droite et à gauche.
«Le MoDem se situe dans la ligne de la Démocratie chrétienne française, veut traditionnellement élargir sa base au-delà du réservoir des catholiques pratiquants.
C'est d'abord en termes négatifs que le centre se définit ; il ne se veut ni de droite ni de gauche. Ces deux pôles idéologiques doivent être pris dans un sens socio-économique. Pour utiliser la terminologie du célèbre politologue norvégien Stein Rokkan, sur la genèse des clivages politiques en Europe au XIXe et XXe siècles, ils sont l'expression d'un clivage fondamental survenu dans le devenir de la société moderne lors de son industrialisation.
La droite se portant davantage du côté des possédants, la gauche plutôt du côté de ceux qui n'ont pas de propriété. Traduite sur le plan des partis politiques, la droite rassemble donc les partis conservateurs, voire libéraux ; la gauche est socialiste ou communiste. Ce qui, a priori, laisse peu d'espace au centre, si ce n'est pour devenir un pôle de ralliement - provisoire ? - pour les déçus de droite ou de gauche. D'autres clivages politiques que le seul clivage socio-économique peuvent servir de base pour fonder un parti. Le clivage État/Église a produit des partis de «défense religieuse», surgis en réponse à l'offensive «modernisante» portée par des partis de type libéral ou radical et devenus progressivement des partis démocrates chrétiens. En fait, quand on parle de centrisme, il s'agit le plus souvent de ces derniers, qui récusent souvent la classification à droite.
Forts surtout dans les pays fondateurs de l'Union, les démocrates chrétiens ont une longue expérience gouvernementale depuis 1945. Partisans de l'économie mixte, d'une politique sociale généreuse, comme garante de la cohésion sociale, du dialogue entre partenaires sociaux, ces partis ont une pratique souple qui leur permet de gouverner tantôt avec la gauche, tantôt avec la droite. Ils furent, dès le début, champions de l'intégration européenne. Ce courant fut représenté en France par le Mouvement républicain populaire (MRP).
D'autres partis dits centristes trouvent leur origine dans un troisième clivage qui oppose le monde urbain à la ruralité. En Scandinavie et dans les pays Baltes, les centristes sont surtout des agrariens. De nombreux partis libéraux (LibDems britanniques, FDP allemand), victimes du système électoral de leur pays, qui accuse une forte tendance bipolaire, revendiquent l'étiquette centriste. Dans ces États, l'espace du centre est réduit alors qu'il est sensiblement plus large dans les pays où le multipartisme s'épanouit grâce à la proportionnelle.
Catholicisme électoral
Ces différents centristes se retrouvent au niveau européen dans le Parti européen des libéraux, démocrates et réformateurs (ELDR) ou le PDE (Parti démocrate européen) ou le groupe commun au Parlement européen Alde (Alliance des libéraux et démocrates pour l'Europe). La plupart des démocrates chrétiens se retrouvent au Parti populaire européen (PPE), dont le centre de gravité s'est porté vers des positions plus droitières que celles qui étaient les siennes aux origines. Illustration, s'il en est, de la difficulté de bien cerner la réalité centriste.
Le MoDem se situe dans la ligne de la Démocratie chrétienne française. Depuis l'effondrement du MRP en 1967, les démocrates chrétiens se sont organisés sous différentes étiquettes, depuis le Centre démocrate de Lecanuet jusqu'à Bayrou. Ces formations ont des traits communs sous leur changement - fréquent - de nom. Ils veulent élargir leur base au-delà du réservoir (en diminution progressive) des catholiques pratiquants, à l'instar de partis frères tel le Centre démocrate humaniste wallon. D'où la disparition de toute référence confessionnelle dans le nom et dans sa doctrine. Hormis cela, leur doctrine politique ressemble pourtant toujours assez bien à l'offre démocrate chrétienne classique.
Nonobstant leur volonté de diminuer leur tonalité chrétienne, ils obtiennent de tout temps leurs meilleurs résultats dans les terres classiques du catholicisme électoral. Leurs renforts politiques sont venus (un peu) des courants libéraux ou sociaux-réformistes, notamment pendant les années de l'UDF. Ils ciblent des électeurs proeuropéens surreprésentés dans les couches les plus qualifiées et diplômées de l'électorat.
Le grand problème de ce centrisme vient de la nature du système politique de la V° République, de plus en plus bipolaire quel que soit le niveau d'élection. À supposer que le noyau du vote centriste se situe autour de 8-10%, le parti a évidemment besoin d'alliances pour peser; jusqu'ici il a toujours pactisé avec la droite, ce qui lui permettait d'hériter de ministères et de bénéficier de l'absence d'un candidat de droite concurrent dans certaines circonscriptions réservées.
Mais la percée de Bayrou en 2007 a mis au jour le paradoxe fondamental du centrisme français et souligné les limites de son éventuelle croissance. Son chef et ses idées peuvent séduire (et mordre sur la gauche et la droite à la fois). Mais comment avoir une majorité parlementaire avec un parti nain, réduit à quatre députés?
L'avenir du centrisme passe par le renforcement du MoDem. Les élections européennes devraient l'aider. Le vrai test sera en 2012. Si Bayrou accède au second tour, tout devient possible. Sinon, le centrisme sera réduit à la portion congrue qui, historiquement, semble être la sienne.»
David Hanley
© 2009 Le Figaro
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