Voici une analyse de Michel Noblecourt intitulée «François Bayrou, indésirable ou inévitable allié des socialistes» publiée dans Le Monde
«Au tout début de la somnolente campagne pour les élections européennes, le sondage Viavoice, publié dans Libération du 27 avril, a fait l'effet d'une petite bombe : 65 % des sympathisants socialistes - mais aussi 56 % des électeurs de gauche et 64 % de ceux du MoDem - sont favorables à une alliance entre le Parti socialiste et le Mouvement démocrate. Deux ans après la présidentielle de 2007, où Ségolène Royal avait proposé, au grand dam du PS, un accord en bonne et due forme à François Bayrou, la question ne se pose pas aux européennes, scrutin à un seul tour. Mais elle sera au cœur des élections régionales, en mars 2010.
Officiellement, M. Bayrou est toujours persona non grata au PS. Au soir de son élection comme première secrétaire, Martine Aubry a fait voter par sa majorité, regroupant ses amis, ceux de Bertrand Delanoë, et l'aile gauche incarnée par Benoît Hamon, une "feuille de route" on ne peut plus ferme sur le sujet. "Notre stratégie est celle du rassemblement de la gauche", proclament les tables de la loi. Et "nous refusons toute alliance avec le MoDem, qui prône aujourd'hui une politique économique et sociale qui se situe aux antipodes de nos orientations". Fermez le ban : François Bayrou est un allié indésirable quel que soit le scrutin.
Alors qu'il s'agissait pour la maire de Lille de rassembler tous les adversaires de Ségolène Royal sur le dogme du refus de l'alliance au centre, le temps n'était pas aux états d'âme. Pourtant, le 14 avril 2007, avant même le premier tour de la présidentielle, Michel Rocard, devenu ensuite partisan de M. Delanoë, avait plaidé dans Le Monde, pour une "alliance sincère et constructive" entre Mme Royal et M. Bayrou. "Sur les urgences d'aujourd'hui, affirmait l'ancien premier ministre, rien d'essentiel ne sépare plus en France les sociaux-démocrates et les démocrates sociaux, c'est-à-dire les socialistes et les centristes."
Dès le 13 mai 2007, François Hollande, après avoir vu d'un mauvais œil les offres de service de son ex-compagne à M. Bayrou, rêvait de construire "un grand PS qui couvre tout l'espace qui va de la gauche, sans aller jusqu'à l'extrême gauche, jusqu'au centre gauche ou au centre". Un concept que Julien Dray a ensuite théorisé avec la formule d'une coalition dite "arc-en-ciel". Aux municipales de 2008, plusieurs maires socialistes sortants de grandes villes, comme François Rebsamen à Dijon et Michel Destot à Grenoble - sans oublier Martine Aubry, mais seulement au deuxième tour, à Lille - avaient expérimenté, avec succès, l'alliance au centre.
Avant que 65 % des sympathisants, et donc des électeurs, socialistes plébiscitent l'alliance avec le centre, M. Hollande, libéré de sa charge de premier secrétaire, a choisi de mettre les pieds dans le plat. "Le PS, a affirmé le président du conseil général de Corrèze dans L'Express du 16 avril, ne doit céder ni à la diabolisation sans raison ni à la séduction sans principe." Jugeant que c'est au président du MoDem de "sortir de l'ambiguïté", M. Hollande jette son pavé dans la mare : "Proposons-lui de parler de politique sociale, fiscale, économique ou étrangère, et de ne pas se limiter à la condamnation de la concentration des pouvoirs, de l'atteinte aux libertés et à la laïcité... Qu'il abatte ses cartes et affiche ses idées."
Conclusion de M. Hollande : "Si nous avons suffisamment à faire ensemble, disons-le, sans avoir peur de perdre notre âme. Et sinon, respectons-nous, sans faire semblant de parler la même langue." Une stratégie du "baiser qui tue" consistant à proposer une clarification en vue d'une éventuelle alliance à un partenaire qui, pour l'heure, n'en veut surtout pas.
Voulant faire de sa solitude une force, M. Bayrou a comme principal objectif d'être qualifié au second tour de la présidentielle de 2012 face à Nicolas Sarkozy. Toute sa stratégie est fondée sur l'échec d'une rénovation du PS conduisant à sa social-démocratisation. Pour M. Bayrou, un tel échec obligerait le PS à se rallier à son panache blanc. Aux européennes, il va ainsi tenter de se rapprocher non de son score de 2004 (11,96 %), mais de celui de 2007 (18,57 %). Rude défi qui lui donne assez d'assurance pour déclarer à Paris Match du 7 mai : "Je récuse tout alignement. Je ne ferai pas de programme commun ni d'accord d'appareil" avec le PS. Un propos qu'il a réitéré, le 10 mai, sur Europe 1.
Mme Aubry, qui lui a décerné un certificat d'opposant à M. Sarkozy, gagne du temps et joue sur l'ambiguïté de M. Bayrou. Le 29 avril, sur France Inter, elle lui a reproché de ne pas avoir choisi son camp en 2007. "Lorsqu'il aura choisi, après que nous aurons réuni la gauche - pour moi, c'est l'essentiel -, nous verrons si nous pouvons discuter", a-t-elle ajouté. "Le PS doit garder la main et ne pas se mettre en situation de dépendance vis-à-vis du MoDem", renchérit François Lamy, principal lieutenant de Mme Aubry. Le député de l'Essonne pose comme préalable à tout accord aux régionales avec le MoDem l'approbation du bilan du président socialiste sortant. Et il parie qu'aux européennes, la gauche pourra être majoritaire, sans le centre. Pour autant le PS sait compter : en 2007, le total de la gauche, avec 36,44 %, n'a jamais été aussi bas. Son candidat à l'Elysée en 2012 pourra-t-il être élu sans le centre, voire même contre lui ? Allié indésirable aujourd'hui, M. Bayrou pourrait bien se métamorphoser en allié inévitable demain.»
Michel Noblecourt
© 2009 Le Monde
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