La troisième campagne présidentielle de François Bayrou
Voici la Tribune libre publiée par Alain Duhamel dans Libération
"François Bayrou ne perd pas de temps et, de son point de vue, il a bien raison. En présentant dimanche dernier ses candidats aux élections européennes, le président du Modem a en réalité lancé sa troisième campagne présidentielle. Lors de la première, en 2002, il avait obtenu un peu moins de 7 % des suffrages exprimés. En 2007, contrairement au scepticisme initial d’une presse sarcastique et condescendante à son égard, il a atteint 18,5 % des voix, le même score à la décimale près qu’Edouard Balladur, le plus intelligent des candidats modérés en 1995. Cette fois-ci, pour sa troisième tentative, le Béarnais espère bien l’emporter, comme y parvinrent à la troisième reprise François Mitterrand puis Jacques Chirac. François Bayrou croit en lui-même et en son destin. Il a une confiance indestructible en son étoile, un sentiment de prédestination quasiment protestant, une certitude d’être l’homme providentiel qu’attend la France en 2012 aussi enracinée en lui-même qu’elle peut l’être chez Ségolène Royal. Ce centriste granitique ne connaît pas le doute.
Il a compris depuis belle lurette que l’élection présidentielle est de toute façon la seule fenêtre vers le pouvoir qui puisse s’entrebâiller à son profit. Il n’a pratiquement plus d’élus, peu d’argent, de maigres sympathies dans la presse, un parti de militants certes tout à sa dévotion, mais peu nombreux et peu expérimentés. Il n’a guère de lieutenants, encore moins de professionnels de la politique dans son entourage. Il tente donc un pari sans précédent sous la Ve République et impossible auparavant : apparaître, lui, le centriste, comme l’adversaire le plus virulent, le plus violent, le plus irréductible, le plus éloquent du président de la République de droite pour devancer ainsi au premier tour dans trois ans le candidat ou la candidate socialiste et, au second tour, pouvoir mener un front du refus avec l’appui des voix de gauche et l’emporter sur Nicolas Sarkozy ou sur son substitut. C’est une stratégie extrêmement aléatoire, peut-être improbable, mais c’est la seule qui s’offre à lui et il le sait bien. Cela implique, cela impose qu’il se construise une image personnelle très forte, très offensive, très brutale, l’inverse même de toute la tradition centriste si nuancée, si balancée, si partagée, si timide et souvent si velléitaire. Le centrisme français était un éternel et honorable château de sable dont François Bayrou veut faire un éperon rocheux. Cela passe par la construction patiente, méthodique, implacable d’une image personnelle si robuste et si agressive qu’elle l’impose constamment dans le débat et qu’elle parvienne à cacher à quel point le combattant suprême du centrisme est seul et nu. Il faut bien trois années pour cela dans un pays où la candidature présidentielle reste une aventure au long cours.
Dans des circonstances ordinaires, avec une droite puissante et bien organisée, débarrassée de surcroît du boulet de l’extrême droite, et avec un PS en bon ordre de marche, rassemblé derrière un candidat naturel ou une candidate charismatique, les probabilités de réussite de François Bayrou seraient maigres. Sa chance est que la France est entrée dans une crise économique et sociale tellement ravageuse que plus rien n’est écrit, que tout devient complètement imprévisible. Dans un paysage convulsif, le plus improbable devient imaginable. François Bayrou n’est certes pas le seul à pouvoir ainsi bénéficier d’une situation erratique. Son ambiguïté même, son dédoublement de personnalité - une culture et une expérience de gouvernement, un comportement et un langage d’imprécateur déchaîné - lui facilite cependant les choses plus qu’à d’autres. Il y a chez François Bayrou, outre une vive intelligence politique personnelle, avec de l’intuition, du courage et du cynisme, à la fois du Jean Peyrelevade et du Jean-François Kahn, c’est-à-dire du réalisme rugueux et de l’emportement incantatoire. Si Nicolas Sarkozy est déstabilisé par une crise planétaire et si le Parti socialiste ne parvient pas à se rassembler derrière un candidat ou une candidate incontestable, il peut exister un espace où se faufilerait François Bayrou. Ce n’est pas le plus probable, ce n’est pas le plus vraisemblable - un contre-torpilleur entre deux porte-avions -, mais ce n’est pas exclu dans une période où les colonnes de l’économie de marché tremblent et vacillent.
Encore faut-il que François Bayrou réussisse un score encourageant aux élections européennes puis régionales, 15 % par exemple. Le calendrier et les modes de scrutin peuvent l’y aider. Encore faut-il surtout qu’il se dote d’un projet crédible et lisible, ce n’est pas le cas pour l’instant, et qu’il parvienne à concilier une pugnacité nécessaire avec une densité indispensable."
© 2009 Libération
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