Le pragmatisme centriste de Barack Obama crée des tensions au Parti démocrate
Voici un article intitulé « Premières tensions entre Obama et son parti » de l’historien Michael C. Behrent, enseignant à l’Appalachian State University (Caroline du Nord) paru sur son blog et parlant de la volonté de Barack Obama de réunir le plus largement possible au grand dam, parfois, de membres du Parti démocrate.
« Au cours de la campagne présidentielle, Barack Obama a longuement développé sa vision de la vie politique américaine actuelle. La démocratie est mal au point, expliquait-il, car l'esprit partisan qui alimente les luttes entre républicains et démocrates est monté à un tel niveau qu'il menace le fonctionnement même des institutions. Depuis son élection, il cherche à faire de ce principe une méthode de gouvernement.
En 2004, malgré une marge de victoire nettement inférieure à celle d'Obama quatre ans plus tard, George Bush n'avait laissé aucun doute qu'il dépenserait le « capital politique » qu'il avait acquis pour réaliser le programme de son parti. Obama, lui, s'évertue à témoigner du respect à ses adversaires et affiche son ambition de gouverner « autrement », se montre à l'écoute des idées des conservateurs, (par exemple au sujet de la relance de l'économie) et refuse d'enquêter sur les programmes les plus controversés de la politique de sécurité intérieure poursuivie par George W. Bush.
Cette main tendue aux républicains lui a valu la critique dans son propre camp. Citons quelques exemples :
- Dès le lendemain de l'élection, se posait au Congrès la question de l'avenir du sénateur Joseph Lieberman, l'ancien colistier d'Al Gore dans les présidentielles de 2000 qui s'était opposé à Obama au point de faire campagne pour John McCain. Fallait-il ou non punir Lieberman, par exemple en le révoquant du poste président du comité pour la sécurité intérieure et les affaires gouvernementaux au Sénat ? Obama a préféré ne pas demander la tête de Lieberman (décision d'autant plus judicieuse qu'il pourrait avoir besoin de sa voix). Ses anciens collègues au Sénat sont prêts à suivre le président-élu, mais l'aile gauche du parti manifeste son mécontentement.
- En se montrant réceptif aux idées républicaines concernant la relance de l'économie américaine, Obama a suscité un tollé chez les démocrates. Obama a voulu rendre son nouveau plan plus acceptable pour les républicains au Congrès - qui avaient déjà eu du mal à avaler le plan de sauvetage de l'industrie financière (le Troubled Assets Relief Program, ou TARP) - en accordant une place importante à leur outil fiscal de prédilection : la réductions des impôts. Le président-élu propose ainsi un allègement fiscal provisoire de $300 milliards sur les individus et les entreprises. Son plan prévoit aussi, conformément à un engagement pris au cours de sa campagne, un crédit fiscal de $500 aux individus et jusqu'à $1000 pour les familles par la réduction de leur cotisations sociales (« payroll taxes »). Il lance en même temps des propos destinés à rassurer les conservateurs. Ainsi expliquait-il dernièrement au New York Times : « je ne cherche pas à accroître la grandeur du gouvernement à long terme ».
Si certains conservateurs modérés se montrent réceptifs à cette démarche - ainsi le chroniqueur David Brooks se félicite-t-il qu'Obama ne profite pas « de la crise pour construire un Etat-providence à l'européenne », de nombreux démocrates sont sceptiques voire franchement hostiles. L'opposition n'est pas simplement d'ordre idéologique ; les critiques rappellent que la politique d'allégements fiscaux poursuivie par l'administration Bush s'est avéré un échec.
Le sénateur démocrate Kent Conrad, président du comité du budget au Sénat, doute des effets stimulateurs des réductions proposées par Obama : « Quand les gens ont peur de perdre leur travail, explique-t-il, s'ils reçoivent 20 dollars supplémentaires, ils ne le dépenseront pas, ils l'épargnent ». De même, l'économiste et prix Nobel Paul Krugman, proche des démocrates, demande à Obama de renoncer à ces mesures et d'élargir les investissements dans l'infrastructure.
- Enfin, bien qu'il s'est opposé de manière éloquente et convaincante aux politiques étrangère et de sécurité intérieure de Bush, Obama vient de laisser entendre qu'il ne prévoit d'enquêtes concernant des mesures controversées prise par l'ancienne administration (par exemple les écoutes téléphoniques secrets ou le traitement des terroristes étrangers), à l'exception des cas où la loi a clairement été enfreinte.
Selon le président-élu, il faut regarder « devant » plutôt que « derrière ». D'autre part, Obama croit que de tels enquêtes risquent d'aliéner les services de renseignement, acteur clef de la lutte contre le terrorisme en Afghanistan et ailleurs. Toujours est-il que sur ces dossiers aussi, le président-élu doit faire face à la désapprobation des démocrates au Congrès. Ainsi le représentant John Conyers de Michigan a déjà proposé la création d'une commission d'enquête sur les politiques que Bush a poursuivie en tant que « commandant en chef », tandis qu'au Sénat, le sénateur Ron Wyden se demande si le comité pour les renseignements pourrait forcer l'administration à déclassifier un certain nombre de documents secrets - en insistant que c'est seulement après avoir jeté lumière « sur ce qui s'est passé ces huit dernières années » que l'on pourra tirer un trait sur le passé.
Ainsi, bien que l'idée de dépasser le « partisanship » passe en général très bien auprès de l'électorat américain, l'idée risque de causer quelques ennuis au nouveau président au sein de son parti. A-t-on vraiment fait tant d'effort pour élire Obama, se disent-ils, pour l'entendre dire tout le bien qu'il en pense des anciens alliés de Bush?
D'autre part, le scepticisme semble de rigueur vis-à-vis des appels d'Obama à la réconciliation. Bill Clinton à son époque s'était fait le chantre d'une troisième voie centriste, transcendant les clivages traditionnels; même Bush avait affiché ses talents comme « uniter » et a tenté, au début de son mandat, de ramasser des voies de démocrates conservateurs pour soutenir ses réductions d'impôts, et a courtisé Edward Kennedy pour faire adopter sa réforme en matière d'éducation.
L'analyse d'Obama quant aux effets néfastes de l'esprit partisan semble néanmoins pertinente. La quasi-dictature exercée par le leadership républicain au Congrès pendant les années Bush a fini par engendrer des scandales (comme l'affaire Abramoff), a contribué à instrumentaliser de la politique dans un but de propagande (l'affaire Schiavo) et a finalement aliéné le parti du public. Il n'y a aucune raison a priori de croire que la majorité démocrate en place fasse mieux si elle adopte une posture idéologique et revancharde. De plus, la démarche d'Obama promet d'être novatrice dans la mesure où elle repose moins sur une réorientation idéologique - comme cela a été le cas du centrisme de Clinton - mais sur une méthode, un pragmatisme visant à renforcer les institutions démocratiques et rendre l'affrontement partisan plus lisible et plus constructif. Le défi qui m'attend est de montrer que cette méthode est en même temps compatible avec les mesures nécessaires pour résoudre la crise actuelle, la plus grave dans l'histoire américaine depuis 1929. »
© 2009 Michael C. Behrent
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