De quel noir ce jour historique est-il ? Du noir de l’espoir avec la possibilité extraordinaire de voir le premier président noir des Etats-Unis élu en novembre prochain, de voir Barack Obama, l’homme du changement porter l’espoir de toute une nation ? Ou du noir de l’échec annoncé d’un candidat qui a fait frissonner un Parti démocrate qui aime ce genre de défis impossibles et de la superficialité du discours marketing du sénateur de l’Illinois ? L’avenir nous donnera la réponse dans quelques mois mais l’on peut déjà en dire deux ou trois choses quel que soit le résultat de l’élection présidentielle américaine.
Barack Obama est donc enfin devenu le candidat officiel du Parti démocrate pour l’élection présidentiel à moins qu’Hillary Clinton refuse de laisser tomber tout de suite, espérant toujours convaincre les superdélégués du parti qu’elle est la meilleure candidate. Mais ce cas de figure paraît désormais improbable tant il recèlerait de difficultés internes au parti alors qu’il ne serait pas aussi illogique que certains le prétendent (sans parler de la possibilité pour Hillary Clinton d’être une candidate « indépendante »).
Car les difficultés qu’a rencontrées Barack Obama jusqu’à présent seront peut-être du petit lait par rapport à celles qu’il va devoir affronter. S’il a des atouts indéniables et puissants, il a également des handicaps tout aussi indéniables et puissants.
Barack Obama est jeune, brillant, intelligent et il incarne le changement (même si on ne sait pas exactement lequel mais c’est souvent le cas d’un « candidat du changement ») à un moment où les Américains semblent le vouloir afin de retrouver leur virginité de peuple élu et de « good guys ». Cette volonté puisée dans le mythique « Rêve américain » qui relève plutôt du fantasme que d’une réalité ancienne et tangible mais il structure toujours largement le collectif des Etats-Unis et s’est manifestée à périodes répétées dans des élections présidentielles avec des candidats comme Andrew Jackson, Théodore Roosevelt, William Bryan, Woodrow Wilson, John Kennedy, John McGovern, Jimmy Carter, Ronald Reagan et quelques autres. Certains ont été élus, d’autres se sont fait laminés.
Barack Obama pourrait bien sûr être élu, c’est une évidence. Mais il a contre lui quelques montagnes à soulever. La première est d’être noir qu’on le veuille ou non. Non pas parce que les blancs américains seraient majoritairement racistes ou même majoritairement contre un président « noir » (Barack Obama, il ne faut jamais l’oublier, à une mère blanche, a été élevé par des blancs et s’est déclaré « noir » car, chacun, aux Etats-Unis, choisit de lui-même de s’identifier à une communauté) mais qu’à la marge, de nombreux électeurs démocrates blancs ou latinos n’en voudront pas. Et l’on sait que, dans toute démocratie aujourd’hui, les victoires se jouent le plus souvent à la marge. Et ces électeurs pourraient coûter la Maison Blanche aux Démocrates. En outre, Barack Obama traîne plusieurs casseroles qui vont lui revenir à la vitesse grand V maintenant qu’il est le candidat démocrate quasi-officiel. Les discours de haine de son pasteur dont il ne pouvait méconnaître le contenu (même s’il a rompu définitivement avec lui), des amitiés sulfureuses (d’activistes noirs violents et d’hommes d’affaires douteux), des votes souvent « gauchistes » et des absences remarquées lors de votes importants (alors que son discours est de se positionner au centre et de jouer la carte de la responsabilité), des discours peu patriotes de sa femme (qui déclarait qu’elle était fière pour la première fois de sa vie d’adulte d’être américaine avec la candidature de son mari), un projet très flou et inapplicable dans de nombreux domaines (son plan pour une sécurité sociale pour tous laisserait pas mal de pauvres non couverts, son plan de retrait immédiat de l’Irak est inapplicable, sa volonté de restreindre les accords de libre-échange déjà signés impossible et destructrice de l’économie américaine). Evidemment, certains de ces handicaps touchent également son adversaire, certains même de manière plus forte. De même, sa victoire devant Hillary Clinton est plus le fait d’une stratégie d’activistes jeunes que d’une adhésion totale du parti et de ses membres. Un atout électoral qui pourrait devenir un handicap.
D’autant que les candidats du changement aux Etats-Unis ont souvent eu beaucoup de mal à se faire élire même lorsqu’ils étaient incontournables. Rappelons que Jimmy Carter, le candidat démocrate de l’après-Watergate où le Républicain Richard Nixon avait été chassé du pouvoir, a gagné difficilement une élection qui lui était promise dans un fauteuil. Et l’icône John Kennedy a sans doute gagné les élections devant le même Richard Nixon avec l’appui de son père proche de la mafia, cette dernière s’étant chargée de bourrer quelques urnes qui firent la différence tant l’élection fut serrée…
Tous ces handicaps sont connus des Démocrates et ceux qui sont les plus lucides redoutent une défaite face à John McCain en novembre prochain. D’autant que ce dernier a su intelligemment, jusqu’à présent, se positionner au centre de l’échiquier politique et faire oublier qu’il est issu du même parti que George W. Bush qui a la cote de popularité le plus basse qu’ait jamais eue un président des Etats-Unis. Et cette différence entre McCain et Bush n’est pas simplement de façade car leur vision de l’Amérique est différente comme le prouva leur violente confrontation en 2000 lors des primaires républicaines. Barack Obama va devoir travailler dur pour éliminer tous ces handicaps. Mais, bonne nouvelle pour les Démocrates, il en a les capacités.
Reste un dernier point qui agite les Démocrates et les médias depuis plusieurs mois. Barack Obama devrait-il prendre Hillary Clinton sur son « ticket » comme vice-présidente ? Les avantages sont énormes. Le changement s’allierait avec l’expérience, le candidat des jeunes et des intellectuels s’allierait avec la candidate des femmes, des plus de 35 ans et des cols bleus, un noir s’allierait avec une femme, proposant un bouleversement politique énorme et très mobilisateur pour l’électorat. Mais Barack Obama et Hillary Clinton, en dehors même de leur âpre combat et des noms d’oiseaux qu’ils se sont échangés pendant plus d’un an, peuvent-ils s’entendre ? Ces deux fortes personnalités auraient du mal à cohabiter. Néanmoins, on pouvait dire la même chose lorsque John Kennedy choisit comme colistier Lyndon Johnson, deux hommes politiques aux antipodes l’un de l’autre mais qui s’avéra le ticket gagnant…
Un démocrate haut placé a fait cette remarque récemment : « le Parti démocrate, qui ne peut perdre ces élections, va présenter un candidat qui ne peut les gagner. Le Parti républicain qui ne peut pas gagner ces élections va présenter un candidat qui ne peut les perdre ». Espérons qu’il s’agit simplement d’une boutade pour les Démocrates. Car si échec il devait y avoir le 4 novembre prochain, il serait extrêmement dur pour un parti qui a une forte tendance à l’auto-flagellation et à la division.
Jean Gripari
Chef du département Etats-Unis du CREC
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC