Présidentielle 2008
Un des fondateurs de la « Third way » explique pourquoi le Parti démocrate va demeurer au centre-gauche
Dans un article du quotidien Le Temps, Will Marshall, un des inventeurs de la « Third Way », la « Troisième Voie » qui constitua le crédo centriste sur lequel s’appuya Bill Clinton pendant sa présidence ainsi que Tony Blair en Grande Bretagne explique pourquoi elle demeure d’actualité.
« De son bureau, il perçoit, au fond de la Pennsylvania Avenue, la coupole de Capitol Hill, où siège le Congrès américain. Will Marshall, 56ans, est une figure démocrate incontournable de la scène politique à Washington. Il montre, non sans fierté, une grande affiche intitulée «The New Democrats» présentant le président américain Bill Clinton aux côtés du premier ministre britannique Tony Blair et du chancelier allemand Gerhard Schröder. Il fut le cofondateur des Nouveaux Démocrates et de la Troisième Voie, une révolution stratégique qui permit à Bill Clinton de remporter la course à la Maison-Blanche en 1992 après douze ans de règne républicain. L'engagement politico-philosophique de Will Marshall a des raisons historiques. En 1984, ce démocrate de Virginie vécut très mal la défaite de Jim Hunt, gouverneur de Caroline du Nord pour lequel il mena campagne. Celui-ci perdit contre le républicain Jesse Helms, un des politiciens les plus durs que la droite américaine ait jamais connus. L'événement fut traumatique. «Gillis Long, un politicien brillant de Louisiane, nous fit comprendre que le reaganisme était plus qu'un phénomène éphémère et qu'il nécessitait une réponse intellectuelle cohérente.» Will Marshall refuse la résignation face au succès retentissant des conservateurs appuyés par des groupes de réflexion aussi puissants que producteurs d'idées. Il veut transformer le parti en s'inspirant des techniques de l'adversaire. Son collègue Al From et lui-même créent le Democratic Leadership Council en 1985, persuadés qu'il fallait une réforme stratégique fondamentale pour rompre avec la spirale de la défaite depuis la réélection ratée de Jimmy Carter en 1980. Ils fondent le Progressive Policy Institute, un laboratoire d'idées qui va mettre en route la révolution clintonienne et, par ricochet, permettre l'avènement du blairisme. «Les démocrates s'étaient distanciés des valeurs américaines. Certaines politiques sociales ne profitaient plus aux pauvres. La politique économique du parti consistait à augmenter les impôts sans que cela profite à la classe moyenne. Poussés par une nouvelle droite offensive, les démocrates ont longtemps été sur la défensive. Ils dédaignaient les valeurs morales, apanage des religieux selon eux. Ils étaient mal à l'aise pour parler de sécurité nationale et l'opinion publique les a longtemps considérés comme faibles dans ce domaine.» Les fondateurs de la Troisième Voie élaborent un corpus stratégique qui va transformer le Parti démocrate. Ils prônent une politique nationale de sécurité musclée pour convaincre les Américains qu'ils sont tout aussi patriotes que les républicains. Will Marshall l'avoue: «J'étais en faveur de l'intervention en Irak.» Les stratèges jugent nécessaire d'injecter de la concurrence dans l'administration, d'offrir davantage de choix des établissements scolaires. Mais aussi d'élaborer de nouvelles stratégies économiques pour répondre aux défis de la mondialisation.
Bill Clinton, qui devient directeur du Democratic Leadership Council en 1989, est séduit par la stratégie proposée par le Progressive Policy Institute, qui devient son «moulin à idées». En 1992, les nouveaux démocrates conquièrent le pouvoir en se profilant comme le parti de l'économie. Bill Clinton aura cette fameuse phrase pour expliquer à son rival George H. Bush, en pleine campagne électorale, les vraies préoccupations des Américains: «It's the economy, stupid! (c'est l'économie, idiot!)». Ex-conseiller du président Clinton et expert à la Brookings Institution, William Galston fut au cœur des guerres intestines au début du clintonisme. «L'administration Clinton prônait un certain laisser-faire en matière de régulation dans le domaine financier. Elle a même coopéré avec les républicains pour dénoncer le Glass Steagall Act, une loi régulatrice de la finance adoptée au moment de la Grande Dépression. Mais cela n'a pas toujours été facile. Pour l'OMC, Bill Clinton a dû se battre pour convaincre les démocrates.» La stratégie politique de ce nouveau centrisme séduit les travaillistes britanniques longtemps écrasés par les années Thatcher, comme les démocrates américains furent assommés par la révolution reaganienne. Depuis 1979, les travaillistes britanniques étaient à la dérive. Tony Blair et surtout Gordon Brown sont venus nous trouver à plusieurs reprises. Pour Bill Clinton, la Troisième Voie fut pour le moins bénéfique. Ce fut le premier démocrate à être élu pour un second mandat à la Maison-Blanche depuis Franklin Roosevelt. Contrastant avec la popularité en berne de l'actuel président George Bush, Clinton a quitté la Maison-Blanche avec 70% d'avis favorables.
Dans le camp démocrate, on pense qu'Al Gore a perdu l'élection présidentielle en 2000 pour s'être inutilement distancié du clintonisme. La suite va accentuer les difficultés du parti à refaire surface. George Bush et son stratège Karl Rove vont traumatiser une partie des démocrates par une politique de polarisation à outrance. Le centrisme clintonien ne semble plus adéquat pour répondre à la menace. Le Parti démocrate se sent contraint de répliquer à la machine de guerre républicaine. Mais il mise trop sur un changement de mode de communication au détriment du contenu du message. Lors de la défaite de John Kerry en 2004, l'aile gauche du parti commence à accuser Bill Clinton d'avoir préféré son succès personnel à celui de son parti et de s'être trop accommodé à la droite. Désormais, Bob Borosage pense que le Parti démocrate vit une ère nouvelle. Directeur de la Campaign for America's Future, un think tank démocrate, il ne craint pas un retour à la vieille gauche des années 1970. «Avec Clinton, l'aile économique avait le vent en poupe. Maintenant, avec l'effondrement du conservatisme, ce sont les idées progressistes qui dominent.» Avec la crise financière et économique et la destruction de 4 millions d'emplois dans le secteur secondaire en dix ans, le vent a tourné. Il y a 30 ans, il y avait une présomption positive pour le marché et négative pour l'action étatique. «Les démocrates peuvent parler franchement du rôle du secteur public, explique William Galston. Non pas que les Américains aiment l'Etat, mais les circonstances font qu'on n'a pas le choix. Le problème réside dans la confiance érodée de la population dans le gouvernement et les institutions aux Etats-Unis. Ce sera un vrai dilemme pour le nouveau président.» Avec Barack Obama, le Parti démocrate est-il tenté par un virage à gauche? Will Marshall n'y croit pas. «Le parti ne peut pas virer à gauche. C'est un mythe de croire qu'il y a une majorité silencieuse de citoyens de gauche qui ne voteraient pas.» Et le cofondateur du Progressive Policy Institute d'ajouter: «Aux Etats-Unis, il y a encore des gens qui pensent que l'économie américaine est assez grande pour faire sans le reste du monde. Barack Obama n'est pas de ceux-là. C'est un pragmatique. Je connais ses conseillers économiques, dont Larry Summers. Ils sont tous acquis à l'économie de marché et ne sont pas tentés par le protectionnisme.» Le grand défi du Parti démocrate de Barack Obama à l'avenir, c'est la classe moyenne blanche peu éduquée. Will Marshall s'en explique: «La classe laborieuse blanche fut la principale bénéficiaire des politiques du New Deal de Franklin Roosevelt. Mais avec la Great Society de Lyndon Johnson et l'extension des droits civiques, dans les années 1960, le regard s'est détourné d'eux pour se porter davantage sur les pauvres, les exclus et les Noirs. Un ressentiment racial se fit jour. La classe laborieuse blanche a eu l'impression de payer des impôts pour les autres.» Dans les années 1970-1980, les démocrates perdirent cet électorat appelé en la circonstance les Reagan Democrats. La difficulté pour Barack Obama, pour séduire cet électorat, c'est qu'il n'est pas... Clinton. Démocrate de Chicago, il est «du Nord». Et perçu comme un universitaire élitiste durant les primaires, il a montré qu'il avait de la peine à s'adresser à cette frange de la population, contrairement à Bill Clinton: «Ce dernier savait parler aux gens dans un langage compréhensible, avec des allusions quasi bibliques, aux gens du Sud, aux Noirs. Il pouvait converser avec la Middle America, même sur des sujets complexes, car il n'était jamais condescendant ou paternaliste. C'est le vrai défi du Parti démocrate à l'avenir. Toucher ces gens.» »
Stéphane Bussard
© 2008 Le Temps
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