Alors qu’il plaidait pour un Centre indépendant sans alliance particulière, attitude suicidaire selon certains de ses anciens amis, François Bayrou, en réalité cachait –bien mal ? – son jeu qui était un rapprochement avec les socialistes. Et il a définitivement franchi le Rubicon ce dimanche lors des universités d’été du Mouvement démocrate lorsqu’il a déclaré : "Toute victoire électorale suppose des rassemblements. (…) Nous aurons bien besoin les uns des autres le jour où il s'agira de construire ensemble. Je sais bien qu'il n'est pas facile de passer des frontières, mais c'est en passant des frontières qu'on bâtit des pays pionniers". Par ce lent déplacement de son positionnement, il affirmait encore en 2002 qu’il était au centre droit et refusait catégoriquement une quelconque alliance avec le Parti socialiste, il a ancré son ambition présidentielle au centre-gauche laissant vacant la position centrale de la galaxie centriste. Ce lent déplacement est à la fois un aveu d’échec et une stratégie longuement pensée.
L’échec vient de ce que François Bayrou s’est rendu compte qu’il n’aurait aucune chance de devenir le candidat unique du Centre et de la Droite. Pas assez de soutiens, pas assez de positions fortes pour forcer le destin. Et il n’a sans doute jamais pensé qu’il avait une chance d’être élu en étant le candidat du seul Centre. Dès lors, sa « destinée présidentielle » passait par l’édification d’un profil d’homme « indépendant » qui, au nom de la démocratie et des valeurs, allait s’opposer au pouvoir en place et, s’aidant de l’opposition, en l’occurrence socialiste, de le battre. Cette stratégie a été celle d’un des hommes politiques que François Bayrou admire le plus, François Mitterrand, celui qui lui glissa à l’oreille – comme il le fit à tant d’autres – qu’il le voyait un jour dans le fauteuil de l’Elysée. Le pari de François Bayrou est que le Parti socialiste, comme dans les années soixante, est en pleine déliquescence avec une guerre des chefs qui va l’amener au bord de la rupture. Et il rêve comme l’a réussi Mitterrand, aussi peu socialiste que lui dans ses convictions profondes, de s’emparer du Parti socialiste d’une manière ou d’une autre afin d’avoir les capacités électorales de gagner un jour l’élection présidentielle.
Le pari est évidemment risqué car les socialistes sont loin d’être moribonds comme en 1971 lors d’un congrès fondateur d’Epinay et de la prise de pouvoir par François Mitterrand. Et il ne manque pas de personnalités médiatiquement fortes qui peuvent ruiner son rêve, de Bertrand Delanoë à Martine Aubry en passant par Laurent Fabius ou Ségolène Royal. Mais il lui faut bien se découvrir (les prochaines présidentielles sont dans moins de quatre ans) pour commencer à crédibiliser dans les esprits une alliance qui, comme celle de Mitterrand avec les socialistes, semble contre-nature. De même, il faut qu’il se forge l’image médiatique de l’opposant le plus irréductible au pouvoir en place. Comme François Mitterrand fut l’homme qui s’opposa au général De Gaulle avec son livre « ‘Le Coup d’Etat permanent » et se posa en homme du « non » au pouvoir « autocratique » du fondateur de la V° République (puis au pouvoir « de l’argent » de Valéry Giscard d’Estaing), François Bayrou veut être l’homme du « non » au pouvoir « bling bling » de Nicolas Sarkozy avec les mêmes dénonciations sur les dangers que coure la démocratie confisquée par un seul.
On objectera que si tel était le but de François Bayrou, pourquoi n’a-t-il pas appelé à voter pour Ségolène Royal au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2007 et d’être devenu, en cas de victoire de cette dernière, son premier ministre comme elle le lui avait proposé. La réponse n’est guère compliquée. Primo, il ne pouvait, sans risque fort d’éclatement de l’UDF en mille morceaux, appeler à voter pour la candidate socialiste. L’UDF devait demeurer son outil. Son éclatement postérieur à la présidentielle n’avait pas la même signification politique et le même risque pour son avenir de présidentiable. Secundo, il ne croyait pas en la victoire de Ségolène Royal et il n’aurait strictement rien retiré de son soutien sauf à n’être qu’un allié de plus des socialistes dans la défaite. Tertio, même si Ségolène Royal avait gagné, François Bayrou n’avait surtout pas intérêt à la supporter et à devenir son premier ministre. Ce n’est pas le poste qu’il vise. Le sien, celui qu’il pense fait pour lui et sa stature d’homme d’Etat, c’est celui de Président de la république. Et la victoire de Ségolène Royal lui aurait sans doute barré la route de l’Elysée pour un bon bout de temps.
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC
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