Voici des extraits d’une interviewde François Bayrou à Valeurs Actuelles.
-À l’heure où le parti socialiste s’épuise en querelles internes, votre image devient celle de l’opposant le plus farouche en même temps que le plus constant à Nicolas Sarkozy…
Attention à ne pas nous tromper de sujet. Je n’ai aucune hostilité personnelle envers Nicolas Sarkozy, encore moins de contentieux. Ce qui nous oppose est à la fois plus simple et plus grave : je ne me reconnais ni dans ses valeurs, ni dans la manière dont il conçoit et exerce le pouvoir. La société qu’il veut, sur le modèle américain, la rentrée dans le commandement de l’Otan et tous les pouvoirs dans sa main, jusqu’à l’arbitraire comme on le verra dans l’affaire Tapie ou dans le fichier Edvige, qui veut mettre à la disposition des gouvernements des renseignements privés sur tous les élus, responsables économiques, syndicaux et religieux, concernant leurs relations personnelles, leur patrimoine, leur situation fiscale, leur santé ou encore leur vie sexuelle… Tout cela ce n’est pas la France.
-Quand vous parlez de conflit de valeurs, à quoi pensez-vous concrètement ?
Une des phrases souvent répétées de Nicolas Sarkozy avant et après son élection aura été : « Je veux réconcilier la France avec l’argent parce que l’argent c’est la réussite. » On a toujours su que l’argent était important. Comment l’ignorerions-nous? Les pauvres et même les classes moyennes sont payées, si j’ose dire, pour le savoir. Mais considérer que l’argent c’est la réussite, c’est une incroyable confusion des valeurs. Et les scientifiques ? Les soldats ? Les philosophes ? Les spirituels ? Les professeurs ? Dans un pays, il n’y a pas que les réussites de l’argent. Les plus importantes des réussites pour une nation, elles sont souvent en dehors du monde de l’argent. C’est la même confusion qui le voit fasciné par les vedettes du showbizz, les célébrités éphémères, comme quand il amène Bigard en visite chez le pape. De la même manière, sa volonté de contrôler tous les pouvoirs, en particulier les médias. Je lisais l’interview d’un responsable de la télévision allemande, expliquant pourquoi Angela Merkel n’aurait jamais pu le nommer président de chaîne. Pour une telle nomination en Allemagne, c’est un conseil de 77 personnes, représentants des seize Länder et de la société allemande. Il soulignait qu’il n’était pas imaginable que le pouvoir central s’arroge le droit de nommer lui-même le responsable de la télévision. En France, Nicolas Sarkozy établit la confusion en nommant le président de France Télévisions, véritable retour à l’ORTF. Quand Nicolas Sarkozy dit « c’est la télévision de l’État, j’ai bien le droit de m’en occuper », il fait un lourd contresens. Il ne s’agit pas, contrairement à ce qu’il croit, de la télévision de l’État, encore moins de celle du pouvoir, mais d’un service public, appartenant à chacun des citoyens qui s’acquittent de la redevance. Il devrait y avoir un mur de verre entre le pouvoir et la télévision.
-Vous êtes finalement plus “néocentriste” que centriste. Vos positions, notamment sur l’Otan, n’étaient pas celles défendues traditionnellement par le centre de Jean Lecanuet, dont vous êtes issu…
Effectivement. Quand de Gaulle a signifié leur congé aux troupes américaines stationnées en France, j’avais 16 ans, j’étais en première.Ma famille politique en a été choquée. N’oublions pas que nous étions en pleine guerre froide, au summum de la menace soviétique. Le débat n’était donc pas illégitime même si, depuis, les faits ont tranché, et le retrait du commandement intégré a porté ses fruits : en recouvrant sa liberté d’action, la France a pu acquérir une identité originale dans le monde et en même temps remplir toutes les obligations de son alliance. Je le répète : ce souci d’indépendance, réaffirmé par Jacques Chirac au moment de la guerre d’Irak, appartient désormais au patrimoine historique de la France. Il est constitutif de son identité. Il est une part de l’influence de notre pays en Europe et dans le monde. L’abandonner, c’est appauvrir la France.
-Pour en venir à vous, quel bilan faites-vous de ces quinze mois de solitude après votre percée à la présidentielle ?
L’épreuve, et notamment celle de la solitude, est, je crois, inévitable quand on aspire à changer l’ordre naturel des choses. De Gaulle, entre 1952 et 1958, se trouve seul, à Colombey, ne venant à Paris que tous les deux mois. En 1951, il avait fait élire 120 députés. Quatorze mois après, ils l’avaient tous abandonné, préférant, comme il disait, l’appel irrésistible de « l’assiette au beurre ». Croit-on que ce fut facile pour lui? J’ai la chance d’avoir reçu le soutien de millions de Français qui m’ont donné leur voix et me gardent leur confiance, tous les sondages le confirment. Je pense que cette épreuve est également bienfaisante. Elle permet de remettre les choses dans leur ordre, de regarder le pouvoir avec un œil dessillé et aussi de mieux mesurer et comprendre les faiblesses humaines…
-Pensez-vous réussir à faire du MoDem un parti de militants ?
Le Mouvement démocrate compte d’ores et déjà des dizaines de milliers de militants et nous serons présents à toutes les élections, à commencer par les européennes. Je ne doute pas que ce mouvement s’affirmera, entre l’UMP confrontée à ses résultats et le PS qui est entré dans une crise profonde, à la fois de leadership et d’idéologie, dont je crois qu’il aura du mal à sortir. Ma ligne est très simple : je construis une alternative pour les Français. Parce que la manière dont Sarkozy gouverne et ses choix successifs remettent en question l’identité et la vocation de ce pays. J’exprimerai un autre projet de société dont les valeurs ne seront pas celles du matérialisme et du cynisme.
-Persistez-vous à dire que le débat traditionnel droite-gauche n’a plus de sens ? Quand le parti au pouvoir, qui s’était engagé à réduire de 70 milliards les prélèvements, multiplie les impôts nouveaux et s’en prend au capital des plus modestes, applaudi par les socialistes, où est le débat totémique entre la droite et la gauche ? J’ai la conviction que les Français n’accepteront pas qu’on les conduise ainsi à une société dont les valeurs ne sont pas les leurs. Je crois que plus personne ne peut soutenir que la France aspire au socialisme. Je crois que pour les Français, c’est très simple : ils veulent une société humaniste, c’est-à-dire créative, juste et durable. Je suis persuadé que la France est faite pour porter ce projet, particulièrement en Europe, en un temps où les très grandes puissances émergentes, pour ne pas dire conquérantes, comme l’Amérique, la Chine ou la Russie, sont loin de prôner ces valeurs.
© 2008 Valeurs Actuelles
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