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François Bayrou n’exclut pas de s’allier avec les socialistes
Voici l’interview de François Bayrou dans Le Figaro
LE FIGARO. - Quel jugement portez-vous sur la première année de la présidence Sarkozy ?
François BAYROU. - Le déficit français qui était en mai 2007 de 40 milliards d'euros - c'était déjà trop - est en mai 2008, après exactement un an de pouvoir, de 50 milliards. C'est très mauvais signe. Deuxièmement, jour après jour, on attaque tout ce qui charpentait solidement la société française, les fondations du modèle français. En une semaine, on a eu une série d'attaques blessantes contre l'armée, non seulement des mots très durs et offensants, mais une enquête de contre-espionnage pour identifier des officiers généraux qui ont livré au Figaro une analyse critique du livre blanc ! À ce compte, qu'aurait-on fait au colonel de Gaulle en 1938 ? Le lendemain même, l'annonce d'un plan sans précédent de prise de contrôle de l'audiovisuel, l'arrêt des recettes publicitaires dirigées vers les chaînes privées et la décision de nommer le président de France Télévisions par le pouvoir. Enfin, le ricanement humiliant pour les syndicats et les grévistes… Or l'armée, les syndicats, le service public, tout cela c'est la France, et c'est cela qu'on humilie. Dangereusement.
Pourquoi avoir voté contre la loi de modernisation économique ?
Pour les cadres, augmenter de dix-sept jours supplémentaires la norme de temps de travail, alors que le stress, la pression sont de plus en plus lourds, je suis sûr qu'ils le ressentent comme un choc et une déloyauté. En même temps, le manquement à la parole de l'État envers les partenaires sociaux est grave pour l'avenir. Je dis non.
Nicolas Sarkozy préside l'UE. Approuvez-vous ses priorités ?
Nicolas Sarkozy a dit samedi «Je suis président de la République et président de l'Europe». C'est un abus de langage et un enfantillage. A-t-on jamais entendu, dans les six mois précédents, Janez Janša, premier ministre de Slovénie, se présenter comme président de l'Europe ? Ce n'est pas Nicolas Sarkozy qui préside l'Union pour six mois, c'est la France qui a la responsabilité d'animer les institutions européennes. Les quatre «priorités», environnement, immigration, PAC et armement, méritent d'être soutenues, bien sûr. Mais la question principale, à mes yeux, c'est l'éloignement, la fracture, entre les peuples européens et les institutions, les peuples et les dirigeants.
Que devrait donc faire Nicolas Sarkozy ?
Répondre en termes simples et compréhensibles aux questions qui éloignent les peuples d'Europe de la gestion de l'Union. J'ai été frappé du référendum irlandais. Il y avait deux phrases qui revenaient tout le temps : la première, c'était «on n'y comprend rien»… Et c'est vrai que le traité prétendument simplifié est cent fois plus compliqué que le texte Giscard ! Et la seconde phrase, c'était «un petit pays comme nous, on va se faire bouffer…». Tous les peuples, y compris le nôtre, ont cette crainte de perdre leur identité et la maîtrise de leur destin. Or l'Europe, c'est le contraire, c'est fait pour protéger nos identités et notre destin.
Les Vingt-Sept ont donné lundi à Cannes leur feu vert au plan français sur l'immigration. N'est-ce pas une première victoire de la présidence française ?
Je vous le dirai quand nous aurons les textes définitifs, s'ils arrivent, à l'automne. En attendant, en France, le rapport Mazeaud porte un jugement incroyablement dur sur les politiques de quotas, qui n'ont réussi dans aucun pays dans le monde. Je suis pour une politique de prise en compte des immigrés qui s'intègrent, notamment par le travail.
L'UMP entend maintenir un référendum avant l'adhésion de la Turquie. Y êtes-vous toujours opposé ?
Vous savez les réserves que je n'ai cessé d'exprimer sur l'adhésion de la Turquie. Mais on ne peut pas, on ne doit pas, demander à un peuple de rejeter un autre peuple. Imaginez l'offense et donc les risques…
Que pensez-vous du projet d'Union pour la Méditerranée ?
Je ne sais pas ce que c'est ! Quarante-quatre pays devraient y être associés. Quand on voit les difficultés de l'Europe à 27, imaginez à 44 ! Pour l'instant, cela m'apparaît largement comme de la communication…
Êtes-vous choqué par la présence de Bachar el-Assad le 14 Juillet ?
Il y a trois semaines à peine, à Beyrouth, on assurait aux Libanais : «Les coupables des assassinats seront punis»… Et le 14 Juillet, à Paris, on va apporter au dirigeant syrien la reconnaissance internationale et son plein retour dans le jeu des nations ! Et cela sans qu'il y ait eu l'expression du moindre regret ou du moindre changement de ligne.
Approuvez-vous le fait que le président parle devant l'UMP ?
On ne devrait pas accepter cela. Le président de la République cesse d'être le président de tous les Français dès l'instant qu'il s'affiche comme chef de parti. Au lieu d'être l'homme de la nation, il se fait le porte-parole d'un clan. Il n'est plus la figure du rassemblement et de la réconciliation. Il devient une figure d'affrontement et de fracture. C'est la fonction elle-même qui est ainsi mise en cause.
Tout cela pourrait-il vous conduire à faire alliance avec le PS ?
Pour proposer au pays un destin autre que celui vers lequel on l'amène, il faudra des alliances larges. Les socialistes sont aujourd'hui devant de grandes difficultés de ligne et aussi de leadership. Donc, pour l'instant, ils s'enferment. Mais un jour, ils seront bien obligés d'ouvrir les yeux. Je pense aussi aux gaullistes. Ils vont vivre le choc du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan et le renoncement de ce qui faisait, symboliquement, l'originalité de la France dans le monde. Un jour, tous ceux-là se ressaisiront. Ce n'est plus pour moi affaire de partis ou de courants. C'est la France qui est bouleversée dans sa vocation historique, et je connais notre pays : dans ses profondeurs, il ne l'acceptera pas. En tout cas, c'est mon engagement.
N'y a-t-il pas des réformes qui trouvent grâce à vos yeux ?
Bien sûr que si ! La décision sur le contrat de travail, l'intéressement, même les heures supplémentaires, tout ce que j'ai défendu hier, je l'approuve aujourd'hui.
Jean Arthuis a réuni vingt et un parlementaires centristes. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Quand on vit des moments historiques, et je crois que c'est le cas, il y a toujours des gens pour grenouiller, manœuvrer avec l'espoir de se retrouver dans les petits papiers du pouvoir. Et aller chercher comme égérie Christine Boutin, il fallait le trouver ! Ils se disent «centristes». Pour moi, je ne crois au centre que s'il est indépendant, courageux, rebelle, visionnaire. Toute autre attitude conduit à l'inexistence et au dérisoire.
Que pensez-vous des déclarations de Ségolène Royal qui fait un lien entre le cambriolage de son appartement et sa dénonciation du «clan Sarkozy» ?
Franchement, je n'en pense rien…
© 2008 Le Figaro