Voici le texte de Gérard Courtois dans Le Monde.
« Il rêvait d'être roi de France et de Navarre. C'était il y a un an, durant ces folles semaines de février et mars 2007, quand affluaient vers lui des cohortes de jeunes convertis, bluffés par son audace et emballés par son absolue conviction que l'heure du centre était venue. Les sondages affolés lui faisaient miroiter, alors, de passer la barre des 20% au premier tour de la présidentielle. Il se croyait en mesure de menacer la candidate socialiste, après quoi tous les espoirs seraient permis, contre toute attente, hors la sienne. Il y a un an, donc, François Bayrou caressait son panache national avec une jubilation non dissimulée. Il rêvait à voix haute de l'Elysée.
La chute est, aujourd'hui, extrêmement brutale : la mairie de Pau ne lui sera même pas accordée en lot de consolation. Il voulait démontrer, envers et contre tous, que la voie nouvelle préconisée pour la France pouvait au moins déplacer les lignes au cœur de son Béarn natal. C'eût été une honorable – et utile – base de repli, comme le signe que sa cavalcade des dernières années n'avait pas été totalement donquichottesque et vaine. Pour moins de 400 voix, les électeurs palois en ont décidé autrement, au terme du second tour des municipales et d'une triangulaire aux allures de coupe-gorge.
Le 22 avril 2007, pourtant, François Bayrou a presque réussi son pari, celui de tous les centristes français depuis un demi-siècle : bousculer les lignes, desserrer l'étau des deux grands camps qui dominent la vie politique française et s'en partagent le gouvernement, récuser à la fois la droite et la gauche. Bref, faire émerger une nouvelle force qui prendrait ce qu'il y a de meilleur chez chacun : le libéralisme économique de la droite, en moins sauvage, la préoccupation sociale de la gauche, en plus tolérant, sur fond d'institutions modernisées et d'engagement européen réaffirmé.
Avec 18,5 % des voix au premier tour de l'élection présidentielle, il fait mieux, ce jour-là, que ses devanciers, mieux que les 15,5 % de Jean Lecanuet en 1965 et les 16,5 % de Raymond Barre en 1988. Résultat encourageant, inespéré même, puisqu'il triple quasiment son score de 2002 et impose ses électeurs en arbitres du second tour. Mais dès le lendemain, l'implacable logique bipolaire de la Ve République a effacé le mirage du centre. Sommé par la droite de soutenir Nicolas Sarkozy, il s'y est refusé pour préserver le capital d'indépendance qu'il avait accumulé depuis 2002 en refusant de rejoindre puis en se démarquant franchement de l'UMP. Invité par Ségolène Royal à passer une alliance avec elle, il n'a pas osé franchir le Rubicon.
Les conséquences de cette neutralité ombrageuse ont été immédiates : une grosse majorité de ses électeurs ont rejoint le bercail traditionnel de la droite ; quant à la plupart de la trentaine de députés qui l'avaient suivi jusque-là, ils ont préféré arrêter les frais – la menace de l'UMP de leur faire perdre leur siège aux législatives de juin a eu raison de leur audace. Au soir de ces législatives, l'Assemblée nationale ne comptait plus que trois centristes indépendants (dont M. Bayrou), tous les autres ayant rallié la majorité pour constituer le"Nouveau Centre" et grappiller quelques maroquins ministériels.
A ce moment-là, déjà, l'aventure de François Bayrou est symptomatique de l'impasse dont n'arrive pas à sortir le centrisme français depuis 1958. En effet, le mode de scrutin législatif uninominal à deux tours, puis l'instauration en 1962 de l'élection présidentielle au suffrage universel à deux tours ont progressivement structuré la vie politique autour des deux grandes coalitions, plus ou moins composites, de la gauche et de la droite. Toutes les tentatives pour installer durablement une troisième force ont tourné court.
Dans les années 1960 et 1970, l'affrontement droite-gauche est trop radical pour laisser, dans l'entre-deux, le moindre espace significatif. Le Centre démocrate, créé par Jean Lecanuet après la présidentielle de 1965, résistera moins d'une décennie : une partie de ses troupes rejoint Georges Pompidou dès 1969 et l'autre Valéry Giscard d'Estaing en 1974. Le centre tombe où il penchait, à droite. Le paysage et les esprits évoluent dans les années 1980 et 1990 : l'exercice du pouvoir par la gauche, l'effacement du Parti communiste, l'émergence d'une extrême droite vindicative et les cohabitations à répétition vont progressivement conduire les deux grands partis de gouvernement (RPR et PS) sur la voie d'une plus grande modération. Mais du même coup, priver un centre autonome de tout espace idéologique significatif.
C'est cette tenaille que François Bayrou s'efforce de desserrer depuis une dizaine d'années. Jusqu'à présent sans succès, hormis son coup d'éclat à la présidentielle. Il a eu beau abandonner le vieux costume de l'UDF pour fonder le Mouvement démocrate (MoDem) en décembre 2007, cela ne lui a pas redonné davantage d'oxygène politique.
Les élections locales viennent d'en faire la cruelle démonstration. Certes, François Bayrou peut se targuer d'avoir ébranlé des alliances intangibles depuis plus de trente ans : la stratégie d'union de la gauche fixée par le Parti socialiste au congrès d'Epinay avait, au début des années 1970, coupé court aux alliances socialo-centristes en vigueur jusque-là dans de nombreuses villes. Le MoDem vient de rouvrir cette frontière : avant même le premier tour des municipales dans des villes comme Dijon, Grenoble, Montpellier ou Roubaix, entre les deux tours à Marseille ou Lille, par exemple. Mais dans le même temps, à Bordeaux ou Arras, Biarritz ou Epinay-sur-Seine, les centristes se sont alliés avec la droite, tandis qu'ailleurs ils constituaient des listes autonomes. Cette confusion a brouillé les cartes, au point de faire rimer centrisme avec opportunisme.
Certes, aussi, les candidats et les électeurs du centre ont été les arbitres du second tour dans de nombreuses villes, mais à un niveau électoral beaucoup trop faible (3,7% dans les villes de plus de 3500 habitants) pour lui permettre de s'ancrer solidement dans le paysage. Dès lors, les maigres forces bayrouistes risquent fort de se retrouver vassalisées par la gauche ou par la droite dont elles voulaient, précisément, s'émanciper.
Privé de troupes à l'Assemblée et peut-être demain au Palais du Luxembourg (où la petite trentaine de sénateurs qui l'ont soutenu jusque-là pourraient bien, demain, prendre leurs distances), privé de relais municipaux suffisants, affaibli par son propre échec à Pau, François Bayrou est plus seul que jamais. Il ne lui reste que sa voix, la certitude de son"destin" et la trace de l'espoir qu'il avait fait naître chez beaucoup il y a un an. Maigre viatique pour traverser le désert qui le sépare de la prochaine élection présidentielle.
© Le Monde 2008
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