Voici l’éditorial de Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen UDF dans l’Expansion de mars 2008 et intitulé « Bayrou, révolté immobile ».
« François Bayrou est de retour. Les malheurs du pouvoir faisant le bonheur des opposants, le voici à nouveau campé dans son rôle de prédilection, celui de prophète procureur, stigmatisant l'indignité de la droite et la servilité du centre, dénonçant pêle-mêle le veau d'or et les paillettes, les capitalistes et les cléricaux, les traîtres et les collaborateurs, marchant sur le corps des notables de l'ancienne UDF comme sainte Jeanne de Chantal sur celui de ses enfants. En politique, l'ennemi, ce n'est pas l'étranger, mais le frère. Dans la haine comme dans l'amour, les copains d'abord !
Le procès des ex-copains mérite toutefois réflexion. Le Nouveau Centre est peut-être un camp de réfugiés, mais le vrai transfuge, c'est Bayrou lui-même. Ce qui frappe dans sa marche en crabe vers la gauche, c'est la profondeur du fossé qui le sépare désormais du credo de son ancienne famille. L'UDF était économiquement libérale, politiquement respectueuse des corps intermédiaires, éprise de solidarité atlantique, passionnément attachée à la construction européenne. Tout en Bayrou récuse cet orléanisme abhorré.
Ses héritages sont ailleurs. Ils lui viennent du général de Gaulle et de François Mitterrand. Son projet politique, encore virtuel, s'alimente à deux sources. D'abord un culte romantique du héros solitaire et rédempteur, placé « hors de toutes les séries » par la divine providence pour porter la lumière du monde. Ensuite, un antilibéralisme néocorporatiste de petit paysan catholique qui lui fait regarder le capitalisme et la privatisation avec horreur, les Etats-Unis avec les yeux de Tintin et l'Union européenne elle-même avec une méfiance grandissante. Bayrou n'est pas au centre, comme il vient au reste de le reconnaître, mais, simultanément, à la droite de la droite et à la gauche de la gauche.
Au moment où les patrons du CAC 40 délocalisent allégrement et s'adjugent des rémunérations pharaoniques, tandis que les Etats-Unis se perdent quelque part entre Bagdad et Guantanamo, que l'Europe rumine ses impuissances et que Sarkozy confond joyeusement libéralisme et ploutocratie, ce positionnement est électoralement porteur. Reste la question stratégique : le nouveau chantre de l'exception et du modèle social français devait-il rompre avec la droite ? La haine peut être mauvaise conseillère. Le tracteur Bayrou a besoin d'une terre meuble où labourer. La droite, volage, désinvolte et désormais déboussolée, aurait pu la lui offrir. Pétrifiée dans ses dogmes, ses anathèmes et ses appareils, la gauche risque d'être d'un granit plus résistant.
Mitterrand avait triomphé en s'emparant du PS et en sacrifiant généreusement au crétinisme programmatique. Bayrou joue d'un tout autre clavier. Son succès dans le monde enseignant, clef de sa percée présidentielle, lui a appris la puissance électorale du conservatisme. La réforme est à droite, le statu quo sera donc de gauche. Il faut changer la politique pour ne pas changer la société. Promettre un bouleversement d'opérette pour tourner sur leur gauche les apprentis sorciers du réformisme social-démocrate. François Bayrou inaugure une formule inédite : l'immobilisme révolutionnaire. »
© L’Expansion 2008
« François Bayrou est de retour. Les malheurs du pouvoir faisant le bonheur des opposants, le voici à nouveau campé dans son rôle de prédilection, celui de prophète procureur, stigmatisant l'indignité de la droite et la servilité du centre, dénonçant pêle-mêle le veau d'or et les paillettes, les capitalistes et les cléricaux, les traîtres et les collaborateurs, marchant sur le corps des notables de l'ancienne UDF comme sainte Jeanne de Chantal sur celui de ses enfants. En politique, l'ennemi, ce n'est pas l'étranger, mais le frère. Dans la haine comme dans l'amour, les copains d'abord !
Le procès des ex-copains mérite toutefois réflexion. Le Nouveau Centre est peut-être un camp de réfugiés, mais le vrai transfuge, c'est Bayrou lui-même. Ce qui frappe dans sa marche en crabe vers la gauche, c'est la profondeur du fossé qui le sépare désormais du credo de son ancienne famille. L'UDF était économiquement libérale, politiquement respectueuse des corps intermédiaires, éprise de solidarité atlantique, passionnément attachée à la construction européenne. Tout en Bayrou récuse cet orléanisme abhorré.
Ses héritages sont ailleurs. Ils lui viennent du général de Gaulle et de François Mitterrand. Son projet politique, encore virtuel, s'alimente à deux sources. D'abord un culte romantique du héros solitaire et rédempteur, placé « hors de toutes les séries » par la divine providence pour porter la lumière du monde. Ensuite, un antilibéralisme néocorporatiste de petit paysan catholique qui lui fait regarder le capitalisme et la privatisation avec horreur, les Etats-Unis avec les yeux de Tintin et l'Union européenne elle-même avec une méfiance grandissante. Bayrou n'est pas au centre, comme il vient au reste de le reconnaître, mais, simultanément, à la droite de la droite et à la gauche de la gauche.
Au moment où les patrons du CAC 40 délocalisent allégrement et s'adjugent des rémunérations pharaoniques, tandis que les Etats-Unis se perdent quelque part entre Bagdad et Guantanamo, que l'Europe rumine ses impuissances et que Sarkozy confond joyeusement libéralisme et ploutocratie, ce positionnement est électoralement porteur. Reste la question stratégique : le nouveau chantre de l'exception et du modèle social français devait-il rompre avec la droite ? La haine peut être mauvaise conseillère. Le tracteur Bayrou a besoin d'une terre meuble où labourer. La droite, volage, désinvolte et désormais déboussolée, aurait pu la lui offrir. Pétrifiée dans ses dogmes, ses anathèmes et ses appareils, la gauche risque d'être d'un granit plus résistant.
Mitterrand avait triomphé en s'emparant du PS et en sacrifiant généreusement au crétinisme programmatique. Bayrou joue d'un tout autre clavier. Son succès dans le monde enseignant, clef de sa percée présidentielle, lui a appris la puissance électorale du conservatisme. La réforme est à droite, le statu quo sera donc de gauche. Il faut changer la politique pour ne pas changer la société. Promettre un bouleversement d'opérette pour tourner sur leur gauche les apprentis sorciers du réformisme social-démocrate. François Bayrou inaugure une formule inédite : l'immobilisme révolutionnaire. »
© L’Expansion 2008