Cette fois, c'est plus qu'un frémissement en faveur de François Bayrou. On l'a vu, hier, dans le Loiret où il battait la campagne. Il y a bien un élan en sa faveur que laissaient présager, depuis plusieurs semaines, tant le bruit, le buzz sur Internet, que les encouragements des passants. Alors seulement, le candidat centriste dépasse désormais régulièrement la barre de crédibilité des 10 %, mais deux enquêtes d'opinion le placent devant Jean-Marie Le Pen. François Bayrou « troisième homme » ! Quand on songe qu'à la même époque, en 2002, il se traînait péniblement avec les fourchettes de sondages plantées dans le dos entre 4 et 6 % et il avait fini à un peu plus de 6 % des voix. Aujourd'hui, il fait donc le double, et son rêve fou commence à prendre consistance : être « le plan B. comme Bayrou », supplanter Jean-Marie Le Pen et s'imposer comme l'alternative républicaine aux deux candidats de la gauche et de la droite. Il s'y croit. C'est le combat de sa vie. Bayrou se sent prêt, cette fois, contrairement à 2002 où il était trop tendre, timoré, sur la défensive, tenaillé par la peur d'être ridicule. Cette fois, il se sent porté, comme il dit, par une vague chaque jour plus puissante. Il en jubile. C'est la revanche du paysan béarnais sur les élites qui, comme les Guignols, le tiennent pour un benêt, un « neu-neu ».
C'est le succès de sa stratégie de centrisme révolutionnaire. Il a su camper un candidat anti-système convaincant en attaquant tout seul, et à plusieurs reprises, les puissances médiatiques et de l'argent. Le voilà en position idéale pour récupérer ces électeurs de gauche déçus par la campagne chaotique de Ségolène Royal et les modérés qu'inquiètent les zigzags du ministre de l'Intérieur.
Inutile de vous dire que la dégradation du climat entre la gauche et la droite sert le candidat de l'extrême centre puisqu'elle donne de l'écho à son plaidoyer pour un Etat impartial et honnête qui échapperait aux exigences des deux camps dominants. On l'écoute davantage maintenant. Les médias se précipitent quand il dénonce, comme Giscard autrefois, « la république des copains et des coquins », et quand il prône l'instauration de véritables contre-pouvoirs. Le voilà héraut des petits contre « les puissants », dénonciateur de « l'establishment » qui supplante Le Pen. Le Pen qui était pour Bayrou « la surprise de 2002 », une vieille surprise. Une surprise obsolète. Celle de 2007, ce sera lui évidemment, assure-t-il puisqu'il en faut une, de surprise, à chaque élection. Bref, Bayrou a un moral de vainqueur et ce ne sont pas les défections dans son camp qui l'inquiètent outre mesure.
En 2002, les trahisons de Claude Goasguen, de Pierre Méhaignerie, de Douste-Blazy, et de tant d'autres, l'avaient laissé exsangue, l'empêchant de dormir la nuit et lui pourrissant ses jours. Cette fois, Bayrou pense que l'essentiel tient à sa relation avec les Français, au lien qu'il est en train de nouer avec eux. Les désertions de Christian Blanc qui est un libéral à la droite de Bush ou des élus des Hauts-de-Seine tenus par le président du conseil général, Nicolas Sarkozy, ne l'atteignent donc pas. Pourtant, il existe bien « un plan B » contre lui que préparent les sarkozystes. C'est « le plan B comme Borloo ».
Il s'agit ici de créer demain un axe centriste contre le candidat du centre. Et comment mieux réussir ce coup qu'en se servant du très populaire ministre des Affaires Sociales, qui fut autrefois le porte-parole de François Bayrou ? Pour cette opération, Jean-Louis Borloo recevrait les renforts du ministre UDF de l'Education, Gilles de Robien, ou du député des Hauts-de-Seine, le jovial André Santini, connu pour sa participation aux Grosses Têtes de Philippe Bouvard. Les sarkozystes vont donc promouvoir cet axe social-démocrate et encourager l'auto ralliement parmi les élus UDF. François Bayrou s'y attend. Il leur a même fait savoir qu'il ne les retenait pas, que c'était à eux de choisir, mais que, lui, le candidat du centre, avait « un rendez-vous avec l'Histoire ». Et qu'il y a un moment où l'homme politique doit choisir entre ses intérêts locaux et ceux de la France, qu'il ne marchanderait pas et … qu'il pouvait être au second tour. Certains l'ont pris pour un illuminé, d'autres pour un visionnaire.