Le président de l'UDF, François Bayrou s'est déclaré samedi candidat à
la présidentielle dans un discours prononcé depuis la petite commune de
Serres-Castet (Pyrénées-Atlantiques). Décidé à dépasser le clivage
gauche-droite, il s'est présenté au nom d'un « changement d'ère politique
que la France attend ».
Voici le texte de sa déclaration :
« Mes chers amis,
Votre présence en cet instant est précieuse pour moi.
Je vous ai invités en cet endroit que j’aime, où j’ai des racines, la place
républicaine d’une mairie de village, dans les Pyrénées, un endroit à la fois
beau et simple, pour vous dire ceci, qui m’engage, et qui va, pour beaucoup
d’entre vous, vous engager aussi.
Je suis candidat à la présidence de la République.
Dans cinq mois, chacun des citoyens français, femmes et hommes, va choisir et
décider.
Ces cinq mois sont très importants pour notre pays. Ces femmes et ces hommes,
je vais aller les voir, les rencontrer, sinon tous, du moins le plus possible,
leur parler à la télévision et à la radio, sur internet, dans la presse écrite,
pour les convaincre de ceci : il faut que la France prenne un autre
chemin.
Pendant ces années, les gouvernants, perdus dans leurs querelles, n’ont eu ni
la volonté ni le courage nécessaires. Mais ce sont les Français qui ont payé
les pots cassés.
Ce sont les Français qui sont au chômage. Deux millions d’entre eux, plus un
million trois cents mille rmistes, plus les ASS et les minima sociaux divers,
en tout quatre millions des nôtres.
Ce sont les Français qui paient la dette : 1150 milliards d’euros, qui
coûtent tous les mois à chaque Français au travail, tous les mois 200 € en
moyenne.
Ce sont les Français qui voient monter la violence. Nous avons des banlieues où
la police ne peut plus entrer, avec des services publics disparus, et des
générations détruites au point qu’elles en viennent à se glorifier de faire
brûler des voitures, des commissariats, des bus. Et parfois, dans les bus, il y
a des jeunes filles transformées en torche vivante. Et dans la cité de l’Ousse
des Bois, il y a quelques mois, ce sont deux policiers qu’on a failli faire
brûler.
La couleur de la peau, comme la religion ou l’origine, est redevenue une
obsession. Les noirs se sentent sous-estimés, et dans certains quartiers, ce
sont les blancs qui se sentent mal vus.
Les fins de mois sont de plus en plus difficiles et, des petites retraites
jusqu’aux salaires moyens, personne n’arrive plus à joindre les deux bouts.
Les chercheurs français prouvent qu’ils sont parmi les meilleurs du monde, mais
c’est dans les laboratoires américains. Nous les avons formés, et ils les
utilisent. Les créateurs d’entreprise qui ont réussi vont s’installer, les uns
après les autres, en Belgique. Tout cela, c’est la substance de la France qui
s’en va.
L’Europe qui était notre espoir est devenue notre découragement. Elle est sans
inspiration, puisque l’inspiration ne peut venir que de la France.
Voilà notre pays, et j’en passe, et j’en oublie. Voilà sa situation réelle.
Chacune de ces crises est à elle seule immense. Chacune nécessiterait un
immense effort national. Et nous, nous devons maintenant les affronter toutes
ensemble
C’est pourquoi on ne peut plus continuer dans la guerre civile ridicule et
sourde d’une moitié du pays contre l’autre.
Chaque semaine, à l’Assemblée nationale, Voir la moitié de l’assemblée, avec le
doigt accusateur, qui hurle : « c’est la faute de la
gauche ! ». Et voir l’autre moitié, avec la même violence,
hurler : « c’est la faute de la droite ! », d’abord on se
dit que c’est ridicule, et puis on éprouve un sentiment de honte…
Ce sont, pour la plupart, des gens intelligents, ils se sont succédés au
pouvoir, sans aucune interruption, depuis vingt-cinq ans. C’est la politique,
comme nous la faisons depuis cinquante ans, qui les rend bêtes.
On ne peut pas continuer comme cela.
Je ne crois plus à cette guerre de la moitié de la France contre l’autre.
Les uns vous disent qu’il faut d’urgence battre la droite pour que ça aille
mieux. Les autres qu’il faut à tout prix préserver la France de la gauche.
Et moi je dis : tout cela est vain. Ce n’est plus à l’échelle des
problèmes. Ce n’est plus à l’échelle du temps.
Pour donner une chance à la France, il faut prendre le meilleur et les
meilleurs.
Ce que nous avons à faire est si difficile qu’il faut une volonté ferme capable
de fédérer un soutien large.
Désormais, nous n’avons plus le temps de la querelle et de la guerre des camps.
Nous n’avons plus le temps de continuer à nous invectiver, de défaire
perpétuellement ce que les autres ont fait, avant qu’ils ne défassent à leur
tour ce que vous allez faire.
Il nous reste une chance, une seule : rassembler notre pays, fixer des
objectifs raisonnables et républicains, nous regrouper et faire reculer, pas à
pas, mètre par mètre, avec acharnement, les échecs et le déclin.
Mais la division n’est pas seulement entre ces deux camps politiques. La
division a pénétré partout dans notre société, en recherche perpétuelle de
boucs émissaires. Pour l’un, les coupables, ce sont les juges qui sont tantôt
laxistes, tantôt trop rigoureux. Pour l’autre, ce sont les professeurs qui ont
trop de temps libre et se font payer grassement leurs heures de cours
particuliers par des sociétés cotées en bourse. Pour d’autres, ce sont les
syndicats qui sont coupables. Pour d’autres, ce sont les fonctionnaires. Pour
d’autres, ce sont les paysans qui polluent. Pour certains, ce sont les
écologistes qui abusent. Pour d’autres, ce sont les musulmans qu’il faut cibler,
pour d’autres, l’obsession c’est le lobby gay…
Tout cela, cette recherche éperdue de boucs émissaires, c’est le signe d’un
peuple qui va mal.
J’ai passé une partie de ma vie à réfléchir sur Henri IV. Si je l’ai tant aimé,
ce n’est pas parce qu’il était béarnais, né dans le château que vous apercevez
dans le lointain. Si je l’ai aimé, à quatre siècles de distance, c’est qu’il a
voulu et accompli la réconciliation de son peuple, alors que tout conduisait à
ce qu’il continue à se haïr.
L’esprit de rassemblement et de réconciliation, c’est ma conception de la
fonction de chef d’État.
C’est le plus urgent besoin de la France.
Et il est des responsables publics qui le savent. Ce sont les maires, tous les
jours, dans tous les villages de France.
Si je suis élu, je nommerai au gouvernement une équipe pluraliste, équilibrée,
des démocrates, femmes et hommes, venus de bords différents avec mission de
mettre en œuvre le même projet républicain, et cela non pas malgré leurs
différences, mais en s’appuyant sur leurs différences.
Chacun gardera ses valeurs. Tant mieux ! Car on a besoin des valeurs des uns et
des autres. L’esprit d’entreprendre, le goût de l’ordre, on les classe à droite
; la solidarité, l’égalité des droits, à gauche ; la tolérance, l’équilibre et
l’équité, au centre. Nous avons besoin de toutes ces valeurs, en même temps. Et
les écologistes ont raison de rappeler que nous sommes embarqués sur une petite
planète, comme une Arche de Noé dans l’univers, et que nous sommes comptables
de l’air qu’on y respire et des espèces, chacune des espèces, qui y sont
embarquées, y compris la nôtre, l’espèce humaine à tête dure.
Ces valeurs, il faut cesser de les regarder comme antagonistes, il faut se
rendre compte qu’on a besoin de les faire vivre ensemble.
Le temps des grandes querelles idéologiques, pour le moment, est derrière nous.
D’autant plus que nous, peuple français, nous avons un modèle de société qui
est lui-même en péril, notre modèle de société républicain : si nous voulons le
sauver, il va falloir mener le combat.
La pression du modèle matérialiste est immense et en face de ce modèle où
l’argent est la valeur dominante, liberté, égalité, fraternité, cela ne pèse
pas lourd.
Mais je dois vous dire, pour que tout soit clair entre nous, que ce sont mes
valeurs. Que je suis de ce côté là. Et que je ne suis pas près d’y renoncer.
Reconstruire la République affaiblie, réimplanter l’État là où ça va mal dans
la société française, notamment dans les banlieues, équilibrer les finances
publiques qui sont à bout de souffle, soutenir l’esprit d’entreprise, l’esprit
de création, l’esprit de recherche, sortir de l’exclusion le million trois cent
mille Rmistes en leur offrant non seulement un chèque de survie mais une
activité, faire respecter et progresser l’école républicaine et non pas la
mépriser, faire respecter et mieux armer la justice de notre pays, permettre
aux femmes de mieux vivre leur vie multiple, combattre la solitude et la
violence qui nous minent, reprendre à la base l’idéal européen, tout cela c’est
un effort immense.
Cet effort ne peut être conduit avec succès que par des volontés républicaines
qui acceptent de travailler ensemble.
Et elles ne travailleront ensemble qu’autour d’un président ayant reçu pour les
fédérer un mandat du peuple. Personne ne résiste à la décision clairement
exprimée du peuple souverain. Le peuple donne mandat au président et le
président organise le gouvernement nouveau et la majorité nouvelle.
Voilà la clé de cette élection. Voilà la clé de ce changement d’ère politique.
C’est une constante dans notre histoire. Chaque fois que la France a voulu se
redresser, c’est cette voie qu’elle a choisie. C’est ce qu’a imposé Charles de
Gaulle à la Libération et en 1958. C’est ce qu’ont voulu Pierre Mendès-France,
Valéry Giscard d’Estaing, Raymond Barre, Michel Rocard et Jacques Delors.
Ne croyez pas que ce mouvement soit seulement français et que la France quand
elle l’entreprendra sera pionnière et isolée.
Mes chers amis, partout autour de nous, les peuples, contre tous les pronostics,
imposent ce choix à des gouvernants rétifs. Cela vient de se produire, vous le
savez, dans le plus grand pays de l’Union européenne, chez nos voisins
allemands. Cela vient de se produire en Autriche, cela vient de se produire aux
Pays-Bas. Cela se produira en France.
Bien sûr, c’est un peu plus difficile en France, en raison de nos institutions
verrouillées. Mais nous allons les déverrouiller.
C’est un mouvement des temps ! Les peuples ont compris plus vite que leurs
dirigeants que le temps du simplisme est révolu. Que le monde est complexe. Que
la société éclate en archipels, tous différents, chacun avec sa logique, ne
comprenant pas les autres, et qu’il faut beaucoup de compréhension, beaucoup de
tolérance, pour les rassembler et les faire vivre ensemble. Les peuples l’ont
compris parce qu’ils le vivent et d’abord dans leur famille.
C’est pourquoi ils disent à leurs dirigeants : s’il vous plaît, montrez-nous
l’exemple.
C’est cet exemple que j’ai choisi d’incarner, aidé par votre soutien et votre
amitié, aidé par la magnifique équipe qui m’entoure, et aidé par les miens. La
France n’a pas seulement besoin d’un changement de visages ou de génération.
Elle a besoin de changer de logique. Elle a besoin de temps nouveaux.
Nombreux sont ceux qui disent : nous aimons la France de toutes nos forces.
Aujourd’hui elle a besoin de toutes nos forces. Je m’engage et nous nous
engageons à les réunir pour servir notre peuple et notre pays. »