Evidemment, on parlera bien davantage de la déclaration officielle de
candidature de Nicolas Sarkozy que de la sienne : François Bayrou est habitué à
être traité en second rôle par les médias. Il a même relevé depuis longtemps
que plus ceux-ci sont puissants, plus chiche est la place qu'ils lui réservent.
Qu'il s'agisse du temps de passage et du nombre d'interventions à la télévision
et à la radio, de la fréquence des couvertures des news magazines ou des titres
à la une des quotidiens, Nicolas Sarkozy est traité en empereur, Ségolène Royal
en reine de France, le Béarnais, lui, doit se contenter des miettes réservées à
un hobereau de province. Les Guignols de l'Info, généralement plus malins, le
griment en benêt bégayant, alors qu'il s'impose comme un excellent orateur. Il
a choisi samedi prochain 2 décembre, anniversaire de la victoire d'Austerlitz
mais aussi du coup d'Etat du futur Napoléon III, pour se lancer officiellement
dans la bataille présidentielle. Cela ne suffira pas pour que son initiative
soit saluée comme une date historique. François Bayrou fait partie de ces
hommes politiques qui ont toujours besoin de démontrer qu'ils sont
sous-estimés.- 15 % des personnes interrogées se disent au Centre.
Dans la campagne présidentielle, qui passe cette semaine de sa phase
préliminaire à la compétition proprement dite, le président de l'UDF constitue
cependant un mystère et détient au moins l'une des clefs du scrutin.
Actuellement, les sondages lui attribuent entre 6 % et 12 %, du simple au
double, selon les instituts. Outre que cela entretient des interrogations sur
la fiabilité de ces évaluations, deux constatations peuvent être faites :
François Bayrou se situe cette fois-ci à un niveau d'intentions de vote
nettement plus élevé qu'il y a cinq ans, à cinq mois de ce 21 avril 2002 où il
obtint deux millions de voix et 6,84 % des suffrages exprimés. Il peut donc
aspirer à un score sensiblement supérieur s'il réalise une bonne campagne. Par
ailleurs, son image personnelle n'a jamais été aussi bonne dans les enquêtes
d'opinion. Il y a aujourd'hui un intérêt perceptible pour François Bayrou qui a
fait la preuve de son indépendance vis-à-vis de l'UMP et du gouvernement. Il a
voté la motion de censure présentée par le PS, refuse d'approuver le budget,
critique avec véhémence les choix de Dominique de Villepin, mais surtout ne
laisse pas passer une occasion de se démarquer violemment de Nicolas Sarkozy.
Même s'il a voté auparavant nombre de lois présentées par la droite sous cette législature,
François Bayrou a ostensiblement choisi la liberté en 2006. Il n'est certes pas
de gauche, toutes ses prises de position économiques le prouvent, il ne peut
plus être classé comme un allié de la droite. François Bayrou s'est émancipé.-
15 % des personnes interrogées se disent au Centre.
Du coup, il apparaît comme le porteur de deux secrets : peut-il effectuer dans
l'opinion publique une percée qui lui permettrait de surgir en troisième homme,
au détriment de Jean-Marie Le Pen ? Et s'il ne se qualifie pas pour le second
tour, ce qui semble de loin le plus vraisemblable, de quel poids pèsera-t-il
sur la décision finale ? Dans pratiquement tous les sondages, le président du
Front national le devance aujourd'hui largement (sauf dans le dernier Ifop- Paris
Match qui les place à égalité). Les circonstances servent une fois de plus
le vieux leader de l'extrême droite, qu'il s'agisse de l'insécurité des
personnes, des polémiques sur l'immigration ou du brusque ralentissement de la
croissance. S'il s'agit d'annoncer l'apocalypse, de chevaucher les pires
démons, de faire trembler la France entière, personne ne peut rivaliser avec
Jean-Marie Le Pen. La campagne actuelle de François Bayrou se différencie
cependant délibérément de ses campagnes précédentes. Cette fois, le plus
célèbre Béarnais depuis Henri IV (son idole) ne fait pas dans la nuance et la
finesse : s'il maintient ses options traditionnelles (l'Europe, la laïcité,
l'économie de marché, la régulation sociale), il change carrément de ton. Le
président de l'UDF invente l'extrême centre, comme il y a une extrême droite et
une extrême gauche. Il se campe en candidat anti-système, dénonce avec violence
l'oligarchie au pouvoir, joue à l'imprécateur face au PS et à l'UMP, annonce la
révolution démocratique, prêche une croisade en faveur de la libération des
Français, assujettis malgré eux à un dualisme artificiel dont il veut les
sauver. Il n'a pas de mots assez durs pour les deux partis dominants mais
appelle en même temps à un gouvernement d'union rassemblant centristes,
gaullistes sociaux et sociaux-démocrates modernistes, seule condition à ses
yeux pour surmonter réellement les blocages français.- 15 % des personnes
interrogées se disent au Centre.
Il y a là une rhétorique de la colère à la Péguy ou à la Bernanos et des
accents de dénonciation grandiloquente qui flirtent avec la démocratie
d'opinion ambiante, frisent le populisme et ne craignent pas une pointe de
démagogie. François Bayrou s'enhardit, se lance dans l'inconnu, charge les yeux
bandés, quitte à galoper aux confins de territoires ambigus. Avec quelle
efficacité ? Mystère. S'il atteint, a fortiori s'il dépasse la barre symbolique
des 10 %, il devient cependant une puissance moyenne, avec laquelle Ségolène
Royal et Nicolas Sarkozy devront compter. Dans ce cas-là, le prix du ralliement
sera une réforme institutionnelle drastique et, notamment, l'introduction d'un
mode de scrutin à l'allemande, ce nouveau Graal des centristes.
(Libération du 29 novembre 2006).
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