Lorsque l’on écoute Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie et qui fut un des principaux conseillers économiques du président américain Bill Clinton, et lorsque l’on constate que l’énorme déficit actuel des finances publiques américaines ne nuit pas, pour le moment, à la croissance économique de la première puissance mondiale, on peut se demander si l’orthodoxie financière libérale qui réclame un équilibre rigide entre dépenses et recettes publiques n’est pas une aberration de plus dans une économie qui n’a souvent de science que le nom.
Joseph Stiglitz explique que le retour à l’équilibre des comptes publics lors de la présidence Clinton a permis de relancer l’économie presque par hasard ! Et il démontre que le déficit et non l’équilibre est bien, comme l’a prouvé Keynes en son temps, un moyen de relancer la machine économique. En outre, il affirme que les Démocrates américains, ses amis politiques, qui réclament à cor et à cri un retour à l’équilibre devant les dérives de l’administration Bush sont devenus, dans ce domaine là, plus libéraux que la droite républicaine dure qui se satisfait du déficit de 6 % du budget fédéral… Car, à l’inverse, le gouffre du déficit américain et sa durée auraient dû provoquer une récession majeure aux Etats-Unis, voire une catastrophe économique et financière. Et c’est loin d’être le cas !
A y regarder de plus près, les choses sont plus complexes. Lorsque Bill Clinton a hérité des déficits colossaux de l’ère Reagan et Bush senior – qui avaient baissé les impôts comme George W Bush le fait actuellement dans une vision de la très contestée théorie de l’offre (donner plus aux riches pour qu’ils investissent ce qui créera des emplois et donc de la consommation) – il était obligé de mener une politique de réduction des déficits et des dépenses publiques, sa crédibilité aux yeux du monde économique et sa future réélection étant en jeu.
Car, Bill Clinton voulait avant tout relancer l’économie et créer une nouvelle politique sociale complètement sinistrée depuis le passage de Ronald Reagan et de George Bush père. Sans entrer dans les détails, c’est en redonnant confiance au système bancaire – lui aussi sinistré – qu’une réduction des déficits et du budget de l’Etat amorça une relance. Et les grands programmes sociaux furent les grands perdants de cette politique, notamment la grande réforme de l’assurance santé.
De même, il ne faut pas oublier que la croissance américaine est actuellement payée par le Japon et, surtout, la Chine qui financent le déficit des Etats-Unis, notamment pour soutenir leurs exportations et leurs croissances !
Reste que l’injection d’argent frais dans l’économie demeure un moyen de créer une relance. Mais, comme toute mesure, elle doit être dosée quantitativement et, surtout, ne pas excéder une période donnée pour que le déficit ne devienne pas structurel. Ensuite, une fois la machine économique relancée, il faut éponger les déficits avant de réutiliser, lorsque la récession revient – et elle revient toujours, les cycles économiques n’ayant pas disparu –, à nouveau l’arme du déficit.
Ce modèle simple est évidemment… trop simple. Cela serait faire fi de toutes les variables économiques, politiques, sociales et autres qui jouent dans un sens ou dans un autre selon la conjoncture nationale et internationale. Une des grandes vérités de l’économie est que tout est aléatoire en matière de relance et de croissance. De plus, l’équation keynésienne pour avoir un effet maximal supposait une économie fermée où des acteurs nationaux profitaient de leur enrichissement pour enrichir d’autres acteurs nationaux qui, dans un circuit fermé vertueux, leur retournaient la politesse, ce qui était redevenu une certaines réalité dans les années 1930, après la guerre de 14-18 et la crise boursière de 1929 où le protectionnisme avait fait son retour après une longue période de mondialisation des économies, mondialisation beaucoup plus ouverte qu’aujourd’hui.
Avec la réouverture des marchés nationaux aux produits étrangers, on sait que toute relance par le déficit bénéficie en partie aux importations et engrange en conséquence une relance bien moins forte qu’en circuit fermé. C’est la mésaventure qui survint au premier gouvernement socialiste de la V° République en 1981 lorsqu’il voulu relancer l’économie par la consommation en ouvrant largement la pompe à finance en faisant fi de l’environnement international ce qui provoqua des déséquilibres importants et, au final, une croissance atone et une dévaluation.
Néanmoins, il vaut sans doute mieux appliquer des schémas cohérents plutôt que des combinaisons sans grande rationalité. En France, comme en Europe, par exemple, on a refusé pendant les années 1990 de jouer du déficit (notamment à cause de pressions américaines…), ce qui a provoqué une récession puis une croissance molle. Aujourd’hui, on semble vouloir jouer le contraire, sans s’inquiéter des dérapages et pour des résultats guère probants pour l’instant. Dans ce domaine comme dans d’autres, il faut le juste équilibre. De même, le déficit des finances publiques ne doit pas servir à boucher les trous d’une mauvaise gestion mais doit être une arme utilisée pour injecter de la dynamique dans la machine économique.
Mais s’il ne faut pas faire du déficit une simple gestion des finances publiques comme cela peut être le cas souvent – et un artifice politique et électoral -, il serait tout aussi gênant de se priver d’une telle arme économique afin de réinsuffler du dynamisme dans l’économie. De ce point de vue, il n’est pas souhaitable que l’on introduise une disposition dans la Constitution concernant l’équilibre budgétaire, ni de voter une loi dans ce sens. Demeurons responsables et pragmatiques. Non au déficit de convenance et de facilité. Non à la rigidité financière qui ne laisserait aucune marge de manœuvre. Car, n’oublions pas que les tenants d’une orthodoxie libérale refusent à l’Etat ce qu’ils prônent pour une entreprise. Car quelle entreprise pourrait réellement se développer sans emprunter ? Et l’Etat n’est qu’un outil au service de la communauté. De ce point de vue, il doit être géré comme une entreprise.
Une France réconciliée doit donc trouver un juste équilibre entre l’intervention de l’Etat et le libre jeu du marché. Comme l’écrit si bien Stiglitz, « Il faut bien répartir les rôles entre l’Etat et les marchés. Cette leçon, le monde n’a jamais cessé de l’apprendre. Lorsque les pays ont réalisé ce juste équilibre, ils ont connu une croissance forte (…). Quand ils l’ont rompu, allant soit vers le trop, soit vers le trop peu d’Etat, ils ont couru au désastre. » (1)
Alexandre Vatimbella
(1) Joseph E. Stiglitz, « Quand le capitalisme perd la tête », 2003, Fayard
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