Rien n’est gratuit en ce monde. Les Français, comme tous les autres peuples du monde, se sont battus pour édifier une société plus développée, plus prospère et plus solidaire. Et ce n’est que par son travail (qui est une condition sine qua non du développement) que le peuple français s’est bâti un présent plus humain et plus heureux que celui que connaissent malheureusement beaucoup de peuples de la planète. N’oublions jamais cette évidence. Rien ne s’est construit sans ce dur labeur de tous. Cette magnifique entreprise collective, quel que soit ses ratés et son soi-disant « sur-place » actuel (qui n’en est d’ailleurs pas un), a donné un résultat dont nous pouvons êtres fiers. Nous sommes même aujourd’hui dans une société beaucoup plus développée, sociale et sûre qu’il y a une vingtaine d’années malgré notre sentiment d’une détérioration de notre environnement économique et social.
La deuxième évidence est que tout cela est fragile, par essence, comme l’est la vie. Le combat n’est jamais passé, il est et sera toujours actuel. Si nos grands-pères et nos pères se sont battus pour construire cette société, nous devons, nous aussi, nous battre. Depuis les Incas et les Mayas nous savons que les civilisations meurent, tout autant, faute de régénération interne que par les agressions extérieures. Tout est donc contingent au présent. Les avancées du passé doivent être constamment régénérées. Rien n’est jamais acquis définitivement. Or nous avons tendance à croire que ce que nous avons est intangible…
Ce double rappel doit ramène bien évidemment tout droit à la situation économique et sociale d’aujourd’hui, dans cette « réalité » que beaucoup tentent de fuir et, parmi eux, un certain nombre d’hommes politiques effrayés et incapables d’analyser ce qui se passent ou, pire, incapables de prendre leurs responsabilités pour informer les citoyens et leur proposer des remèdes qu’ils pensent « impopulaires »…
Alors, ils adoptent une position indigne de leur mandat. Pour eux, les problèmes majeurs que nous rencontrons actuellement proviendraient d’un « ailleurs » qu’ils peuvent difficilement décrire et qui détruirait notre société. Pour preuve, la menace sur le soi-disant « modèle français », en tout cas sur la protection sociale élaborée depuis une centaine d’années et sur l’Etat providence (dont l’appellation d’origine anglaise est plus exacte : « Welfare State » que l’on pourrait traduire par Etat de bien être).
Cette dérobade coûte cher d’autant qu’elle permet à la plupart de nos concitoyens de croire que cette protection sociale constitue des droits définitivement acquis. Or, rien n’est plus faux et dangereux de les conforter dans cette opinion. Nos droits sociaux dépendent de l’environnement économique et sociétal et, surtout, des efforts que nous souhaitons fournir pour la préserver, si ce n’est l’étendre. Bien sûr, l’environnement mondial entre en ligne de compte mais ce qui est plus important c’est la manière dont on l’apprécie et dont on se positionne par rapport à lui.
Le constat est amer mais on ne peut l’éluder : nous avons construit notre modèle social sur des réalités qui n’existent plus tant à l’intérieur de notre pays (vieillissement de la population, par exemple) qu’à l’extérieur (émergence de nouveaux concurrents à bas prix et resserrement des écarts technologiques). Ce n’est pas en le « sanctuarisant » ou en dressant d’hypothétiques barrières (douanière, migratoire, culturelle, etc.) que l’on pourra, ni recréer ces réalités disparues, ni éviter la faillite du système tel qu’il est bâti et qu’il fonctionne aujourd’hui.
La tâche, ô combien indispensable, du politique est d’expliquer clairement cette situation, de présenter honnêtement la nouvelle réalité et de proposer courageusement les diverses solutions d’adaptation mais aussi et surtout de sauvetage du système social en évitant de l’ériger en modèle intouchable.
La situation, tout d’abord. Nous sommes dans une logique de faillite du système social qui est trop cher, inadapté et de plus en plus improductif quant à son but. La nouvelle réalité, ensuite. La France se trouve dans un monde globalisé qui convient bien à ses potentialités dans la haute technologie et dans les services mais qui rend obsolète son organisation de la protection sociale qui coûte (trop ?) cher avec des « avantages » sociaux qui deviennent des « handicaps » économiques comme la retraite à 60 ans ou les 35 heures, qui ne sont en soi ni de bonnes, ni de mauvaises mesures.
Les solutions, enfin. Posons quelques questions simples qui vont éclairer le sens des réformes à mettre en place : Quelles sont les protections sociales les plus importantes à sauvegarder ? A 60 ans est-on vieux aujourd’hui ? Qu’est-ce que le travail ? Commençons par la dernière. Le travail est tout simplement la condition sine qua non pour l’être humain de demeurer en vie. Sans travail, aucune société ne peut exister. De ce point de vue, le travail n’est ni une corvée, ni un plaisir mais une nécessité. Le rendre moins pénible ou plus agréable, raccourcir sa durée, remplacer le facteur humain par la machine, tout cela est dans l’ordre des choses pour, non pas se « libérer » du travail - ce qui est impossible -, mais trouver des moyens de déléguer certaines tâches pour en effectuer d’autres. Le travail est donc la seule valeur de base de notre activité en tant qu’humains pour assurer notre existence au sens de demeurer en vie.
Ce travail peut être divisé en deux parties. La première serait celle qui est nécessaire pour assurer notre survie. La deuxième serait celle qui nous permettrait de vivre mieux. C’est évidemment de cette deuxième qu’il est question ici car, heureusement, les Français sont capables d’assurer leur survie. Dès lors que le travail diminue en temps mais qu’un certain nombre de droits demeurent attachés à son exercice, se pose la question de l’équilibre entre sa création de valeur et la possibilité d’assurer la jouissance de ces droits sociaux. Cette mesure ne peut pas se faire dans le simple cadre national mais dans une globalité de l’économie mondiale puisque celle-ci est largement transnationale. Dès lors, plus cette durée baisse (chômage des jeunes, départ à la retraite plus tôt, baisse du temps de travail), en valeur absolue et en valeur relative par rapport aux autres pays, plus il devient difficile d’assurer les protections sociales.
Demandons-nous donc si, aujourd’hui, nous sommes vieux à 60 ans. L’espérance de vie est en continuelle progression et les personnes âgées se portent de mieux en mieux de plus en plus longtemps. Tant mieux. Mais, en leur permettant de ne pas travailler, on se prive d’une main d’œuvre importante, qualifiée et compétente. En outre, on paye des retraites élevées sans pouvoir assurer celles de ceux qui les payent aujourd’hui dans notre système de répartition. Dans de nombreux pays, l’âge de départ à la retraite est revu à la hausse. La France ne pourra pas faire l’impasse sur cette réforme. Quant aux protections sociales indispensables, nous devons ranger dans celles-ci l’accès à la santé pour tous (mais pas un accès à tout), des aides aux familles les plus démunies, des aides aux personnes privées d’emploi et quelques autres protections du même type.
Rallonger la durée du travail et repousser l’âge de la retraite en introduisant des mécanismes de fonds de pension par capitalisation. Focaliser l’attention sur les protections sociales les plus importantes. Créer un environnement favorable au travail et à l’accompagnement des chômeurs. Voilà quelques mesures afin de retrouver une croissance économique indispensable pour faire tourner la machine sociale. Le courage politique est maintenant de l’expliquer après avoir feint pendant des années de trouver des « solutions miracles »…
Alexandre Vatimbella