(…) Avant-hier, dimanche, a été publié dans Ouest-France un sondage terrible ! Tous les ans, à la rentrée, le journal fait poser aux Français la question de savoir s’ils sont optimistes ou pessimistes. L’année dernière, le résultat était : optimistes à 60 %. Et pourtant nous venions de vivre des régionales et des européennes qui étaient un coup de semonce. Cette année, un après, le résultat est pessimistes à 70% ! Le pessimisme a augmenté de trente points (un Français sur trois) en 12 mois. Et les raisons sont trop évidentes ! Croissance zéro, 0,1 % exactement. Nombre d’emplois en France, 6000 de moins pendant le dernier trimestre. Retours à l’emploi, 6000 de moins en juin qu’en mai, et en juin 2005 qu’en juin 2004.
Le pire est que, comme d’habitude, on a orchestré les choses pour affirmer, vous l’avez tous entendu, que les chiffres du chômage étaient bons. La vérité est que les améliorations apparentes sont obtenues en rayant des centaines de milliers de noms des listes de l’ANPE, centaines de milliers qui se retrouvent au RMI, au rythme, Michel Mercier vous le dira, de 1200 par mois par exemple dans le département du Rhône. Ce qui fait que les budgets des Conseils généraux explosent et les impôts locaux par voie de conséquence. C’est la terrible continuité de la politique française depuis vingt ou vingt-cinq ans. Une alternance en moyenne tous les trois ans… D’abord un immense espoir, puis une immense désillusion. Nous sommes là, non seulement pour dénoncer ce qui ne va pas, et il est nécessaire de le faire, mais pour proposer un chemin nouveau qui permette de laisser derrière nous ces années d’échec.
La France va se redresser. Car si nous avons si souvent échoué, c’est qu’il y a des raisons. Ces raisons n’ont pas été vues, ou pas assez bien, ou elles n’ont pas trouvé de réponses. Mais elles existent. Sous la Quatrième République, de Gaulle disait : « vous aurez beau mettre au gouvernement les plus intelligents –et ils l’étaient- de cette classe politique, ils échoueront ». Et ils échouèrent. De la même manière, je n’ai aucun doute qu’il y a eu depuis vingt-cinq ans, des gens intelligents au pouvoir, beaucoup, des gens de bonne foi, et ils ont tous échoué. Et ils échoueront encore et encore, tant qu’on ne changera pas le cadre de leur action.
Je voudrais devant vous, évidemment, non pas exposer un projet achevé, mais donner des exemples du changement profond, simple, compréhensible que la France peut penser et vouloir. Je n’expose pas ces idées comme achevées. Je les avance comme des propositions liminaires, capables de changer la situation, l’état d’esprit. Certaines sont faciles, d’autre très difficiles à mettre en œuvre, qui exigeront des années, mais donneront du sens à notre action collective. Il me semble qu’il y a aujourd’hui, dans la société française, trois sources de défiance. Le premier, c’est ce qui touche au travail, le pouvoir d’achat, le chômage jamais en recul, les délocalisations. Il y a ensuite l’exclusion, avec des allocations sociales de toute nature très compliquées et dont on a l’impression qu’au bout d’un moment elles excluent au lieu d’insérer. Et il y a enfin le décalage entre les citoyens et la vie publique.
Je commence par l’économie. Je m’empresse de dire que je ne crois guère aux politiques dites « de relance », surtout dans le climat actuel, surtout sans moyens, surtout quand elles sont de saupoudrage. Je crois aux politiques de croissance, donc à la réforme fiscale, qui exigera un grand débat, auquel nous participerons, et l’adhésion du pays ; et la réforme de l’Etat, pour alléger et simplifier son action. Mais les Français se tournent vers nous et disent « les délocalisations s’accélèrent », « les usines s’en vont ». Ils disent « mon fils est au chômage, il est à bac +5 » ou « mon père est au chômage, il ne retrouvera rien, on lui dit qu’il est trop vieux, il a 55 ans. » Ils disent : « à la fin du mois on n’y arrive plus, et pourtant on est la classe moyenne. », « nous ne pouvons même plus nous payer un logement ».
Si les délocalisations deviennent une fatalité, s’il est impossible de donner du pouvoir d’achat, si les emplois ne peuvent pas se créer, ce n’est pas sans raison. Je crois qu’il y a une cause commune qui explique, à la fois, la vague de délocalisations, l’impossibilité d’augmenter les salaires, et l’impossibilité de créer des emplois, et c’est quelque chose qu’au fond nous acceptons sans vraiment le remettre en cause depuis plus d’un siècle. Nous acceptons, comme si c’était logique et normal, que ce soit l’emploi salarié qui paie, sous forme de charges, l’intégralité ou presque de la solidarité nationale. La santé gratuite ou presque, les retraites de plus en plus nombreuses, la politique de la famille ! Tout cela, comme une pyramide posée sur sa pointe, de plus en plus lourde, reposant sur un nombre toujours plus limité de Français. Et si nous y réfléchissons ensemble, voulez-vous me dire ce qui justifie, dans le fond, que cette solidarité nécessaire soit payée par le seul travail salarié ? C’est le chancelier allemand Bismarck qui a fait adopter cette idée à la fin du XIX° siècle. Et nous avons suivi sans difficultés parce qu’elle s’inscrivait dans la suite des premières organisations de solidarité, qui étaient les corporations. Mais cette idée supposait pour fonctionner que la plus grande partie de la richesse soit créée par le travail, et en particulier le travail manuel, et que les travailleurs soient très nombreux par rapport aux personnes à charge, que la santé ou la vieillesse ne soient pas trop chères.
Dès que ces conditions n’ont plus été réunies, le système a commencé à se déséquilibrer. Il est aujourd’hui enrayé et pris dans un cercle vicieux.
Moins il y a de postes de travail, plus ils sont alourdis de charges, et plus ils sont alourdis de charges moins il y a de postes de travail. Si vous êtes une entreprise, à production de richesse semblable, si vous créez des emplois, vous payez le maximum, si vous n’en créez pas, vous payez très peu. La situation actuelle est une formidable injustice. L’euro qui vient du travail est frappé de 70 à 100 % de charges sociales. L’euro qui évite le travail, celui qui vient de l’échange, de la spéculation, je n’emploie pas ce mot au sens péjoratif, est libre de ces taxes. Qu’est ce qui le justifie ? C’est pourquoi il ne faut pas être étonné d’avoir entendu le président d’une très grande société industrielle annoncer il y a quelques mois que son ambition était de faire de sa société « un groupe sans usines ». Surtout dans la concurrence avec d’autres pays ou non seulement le travail est moins cher, mais où cette charge supplémentaire n’existe pas. C’est un cercle vicieux dont nous ne sortirons pas ! Il va sans cesse s’accélérer. Car la population vieillit, la médecine devient de plus en plus efficace pour protéger le vieillissement. En même temps, les traitements, les molécules, les examens deviennent de plus en plus chers. Et qui s’en plaindrait ? C’est une des tendances les plus lourdes de notre époque que de voir la santé et la retraite coûter toujours plus cher. Mais plus elles coûteront cher, et moins il y aura d’emplois pour en supporter le coût.
Ce système va exploser. Tant que nous n’aurons pas rebattu les cartes, nous continuerons d’aller droit à l’asphyxie des salaires, à la feuille de paie qui ne progresse plus, aux fins de mois de plus en plus difficiles, à l’expatriation croissante des emplois, à la raréfaction des postes créés sur notre sol. C’est l’histoire de l’impôt sur les portes et des fenêtres. En l’an VII de la République, si je me souviens bien, donc en 1798, on a eu une idée qui semblait de génie. La République cherchait une base d’imposition juste, facile à vérifier, impossible à dissimuler. Elle a trouvé les portes et les fenêtres ! Les riches en ont davantage que les pauvres, les châteaux plus que les masures, mais tous les foyers ont au moins une fenêtre et une porte. Les ateliers en ont davantage que les maisons, et les usines plus que les ateliers. On ne peut pas les cacher, et cela se contrôle d’un seul coup d’œil, y compris de la rue. Et au début, on n’a eu qu’à se féliciter de l’idée. Et on a augmenté les taux. Et pendant vingt ans, il ne s’est rien passé. Et puis au bout de ces quelques décennies, dans un mouvement d’abord discret et ensuite irréversible, les portes se sont raréfiées et les fenêtres se sont murées ! Et dans mon enfance, on voyait encore dans les villages portes et fenêtres murées qui donnaient une leçon fiscale en vraie grandeur
Eh bien ce qui s’est passé pour les portes et les fenêtres se passe aujourd’hui pour l’emploi. Il faut rompre le cercle vicieux. Rien ne justifie que l’emploi salarié, que le travail, doive supporter à lui seul la solidarité nationale dans tous les domaines de la santé et de la protection sociale. Si l’on veut répondre à la fatalité des délocalisations, au blocage du pouvoir d’achat, à la crise des classes moyennes, au chômage, il faut une orientation de rupture : il faut libérer le travail des charges accumulées qui pèsent sur lui. Je ne parle pas d’une baisse, marginale, partielle, comme on en fait depuis des années, je parle d’un déplacement massif de ces charges, du travail vers un autre marqueur de l’activité de notre société. Ce transfert, c’est moins de délocalisations, une vraie augmentation, forte, de la feuille de paie, du salaire direct, 10 ou 15 % dès qu’un tiers du transfert est effectué, et la création de bien des postes aujourd’hui gelés. Alors naturellement, je sais bien que c’est une révolution. C’est un projet qui ne se décide ni ne se conduit sur un claquement de doigts. C’est très difficile. Ce sera très discuté. On rencontrera des oppositions surprenantes. Mais à mes yeux c’est nécessaire pour changer le climat, la vie, pour inverser la dynamique de notre société tout à la fois en matière de délocalisations, de pouvoir d’achat, de chômage, de création d’emploi.
Demandez aux salariés dont l’usine s’en va. Demandez aux artisans et aux petits employeurs. Demandez aux chômeurs. Demandez aux familles dont les feuilles de paie n’ont pas été augmentées depuis trois ou quatre ans. Ce changement de monde va prendre du temps. Ce sera nécessairement progressif. Mais c’est déterminant. En changeant les bases, on change le cadre. Sur quelles bases nouvelles envisager de recouvrer les sommes considérables qui sont ici en jeu ? Après augmentation du salaire direct, Jean Arthuis, ancien ministre de l’économie et des finances, défend l’idée de la TVA sociale, comme au Danemark où elle atteint 25 %. Si une augmentation de cinq points de la TVA suffisait pour assurer un tel transfert et une telle libération, j’y souscrirais immédiatement, malgré les disparités sociales que cette augmentation suppose. C’est une idée du même ordre qui est actuellement débattue en Allemagne. Mais soyons conscients que la TVA sociale ne pourra supporter, à elle seule, de tels transferts. Mais Jean Arthuis a raison de dire que l’avantage de cette TVA c’est qu’elle fait payer également les charges sociales par les produits fabriqués à l’étranger et les produits fabriqués chez nous, alors qu’aujourd’hui seuls les produits fabriqués dans nos frontières acquittent cette charge : une sorte de droit de douane à l’envers, en quelque sorte, qui frappe nos productions et encourage celles du voisin.
D’autres évoquent la CSG. Il y a, à l’origine de la CSG, une réflexion de nature comparable à celle que nous abordons ce matin. Raison pour laquelle à l’époque de sa création Michel Rocard a pu compter sur le soutien d’un certain nombre d’élus du centre. Mais la CSG, c’est le plus souvent du travail. Et son taux est déjà élevé. Mais, bien entendu, si elle s’accompagne d’une augmentation parallèle du salaire direct, cette suggestion doit être étudiée. D’autres esprits ont évoqué par exemple une taxe sur l’énergie. Mais je ne suis pas sûr qu’il soit bien temps d’en parler au moment de la flambée du pétrole cher.
Je voudrais pour ma part évoquer et soumettre au débat deux idées iconoclastes. Je voudrais que l’on étudie l’idée d’une « cotisation sociale universelle », fondée pour l’entreprise sur la valeur ajoutée. Ainsi, tout le monde assume, la valeur ajoutée est identiquement traitée qu’elle soit ou non dépendante du travail. On pourrait même imaginer un avantage pour qui crée de l’emploi, par rapport à qui n’en crée pas. Le contraire exact de la situation actuelle. Et je voudrais même que l’on étudie au moins pour en avoir le cœur net, l’idée d’une « contribution Tobin sociale » qui serait le prélèvement direct d’une fraction extrêmement faible, de l’ordre d’un millième, ou d’une fraction de millième, des sommes qui circulent dans les échanges bancaires. Dans un pays comme le nôtre, les échanges bancaires représentent des sommes en circulation considérables, de l’ordre de 70 fois le PIB, 120 000 milliards d’Euros. Je n’ignore pas qu’une grande part de ces sommes représente des compensations entre grands comptes. Mais même si l’on ne retient que les échanges réels, qui servent à rémunérer, à acheter et à vendre, ce sont des montants considérables qui sont en jeu.
Dans les débats agités qu’une telle idée ne manquera pas de provoquer (c’est fait pour cela) certains diront sans aucun doute qu’un millième sur l’argent, cela risque de le faire fuir. Puis-je objecter à l’avance que si l’on s’émeut d’un millième sur l’argent, on devrait s’émouvoir à due proportion d’une charge sept cent fois plus importante sur le travail ! Je ne présente pas ces idées comme venant d’une baguette magique. L’enjeu est si important (plus de deux cent milliards). Mais je sais avec certitude que si l’on ne va pas dans cette voie, si l’on ne change pas de logique, il faudra oublier pour longtemps de présenter une alternative aux délocalisations, de prétendre augmenter le salaire direct et la feuille de paie comme il faudrait le faire, et de voir se recréer le travail dont la société française a tant besoin.
Ce n’est pas l’augmentation continue de la précarité de l’emploi, comme on voudrait nous le faire croire avec le Contrat Nouvelle Embauche, qui permet de licencier sans préavis et sans raison tous les jours pendant deux ans, qui recréera l’emploi, et encore moins la confiance. C’est que le coût de l’emploi redevienne abordable, qu’il permette d’envisager sereinement la compétition nécessaire avec le reste du monde, dans tous les domaines de main d’œuvre, dans tous les domaines où le rendement n’est pas immédiat, dans tous les domaines où il faut former. Et que la protection sociale puisse être assumée sur d’autres bases. Ceci est pour moi un projet, une idée structurante, de long terme, une mutation de la société, une rupture qui tourne le dos aux fatalités qui nous écrasent depuis longtemps
Deuxième débat, et celui-là est social. Il y a un lourd malaise autour du social. On a l’impression que les dépenses de tous ordres, les allocations diverses et variées, il y en a des dizaines, si elles sont nécessaires, nécessitent des armées d’experts pour les comprendre et les gérer et au bout du compte empêchent l’insertion au lieu de la favoriser. Je voudrais défendre devant vous l’idée d’un changement profond : l’allocation sociale unique, par points, cumulable de manière dégressive avec le retour à l’emploi.
Valérie Létard a été à l’initiative au Sénat (j’en profite pour dire combien nos parlementaires, font un travail remarquable sous l’impulsion de leurs présidents de groupe, qui sont là au premier rang, Hervé Morin pour l’Assemblée nationale, Michel Mercier pour le Sénat, et Marielle de Sarnez pour le Parlement européen). Valérie Létard a donc été à l’initiative au Sénat d’un rapport sur la précarité. Parmi les causes de la précarité durable, maintenue, qui se renforce et s’isole, il y a le piège des aides sociales. Si vous êtes au Rmi et que vous retrouvez de l’emploi, vous perdez vos allocations. Plus encore, le temps administratif n’étant pas le temps réel, vous avez retrouvé de l’emploi, on continue à vous verser le Rmi, mais lorsque la Caisse apprend que vous avez travaillé, alors on vous demande de rembourser le trop-perçu, qu’évidemment vous avez dépensé.
Selon la date où vous avez retrouvé de l’emploi, au début du trimestre, ou au milieu du trimestre, cela relève ou non de l’intéressement, c’est, ou non, cumulable avec un salaire. Et tout cela invite à ne pas bouger, à renoncer à bouger. C’est un univers d’une complication infinie. Les noms changent tout le temps : on vous parle de CJ, contrats jeunes, de CES, contrats emplois solidarité, de CEC, contrats emplois consolidés, il faut maintenant apprendre à parler de CA, contrats d’avenir, de CAE, contrats d’accès à l’emploi, de CIRMA, contrats d’insertion au RMA.
Les allocations sociales relèvent d’organismes différents, d’instructions différentes. L’assistante sociale est seule capable de s’y retrouver dans ce dédale, administratif, associatif, si compliqué. Dans mon canton, a été créée récemment une structure qui regroupe différents services de cet ordre : les nommant dans le discours traditionnel, j’ai compté dix-sept services différents d’aide sociale de toute nature. Les gestionnaires diront ce que cela coûte. Mais vu du côté des bénéficiaires, même des bénéficiaires formés, car il y en a beaucoup, tout cela est incompréhensible, déstabilisant. L’idée doit s’imposer de rassembler, d’unifier, toutes ces prestations éclatées en une allocation sociale universelle, par points, dont l’instruction serait unifiée, le paiement unique, cumulable en cas de changement de situation avec un travail salarié pendant un certain nombre de mois. Au lieu de la forêt d’aides incompréhensibles (et il en sort une nouvelle chaque semaine), une allocation unique. Au lieu d’une multitude de services instructeurs, une seule procédure. Au lieu de la complexité démotivante, la simplicité et une incitation à bouger. Et comme l’allocation est unique, en soi, c’est une intégration, on n’est plus un cas à part, un adulte handicapé, ou un parent isolé, enfermé dans son statut, on est français à part entière. Ne rien comprendre à un système, c’est une exclusion aussi, surtout lorsque on ignore que personne n’y comprend rien, même pas ceux qui sont censés les concevoir.
Et je veux y ajouter une deuxième idée, celle de l’activité universelle. La société n’est pas quitte avec une femme, un homme, une famille, lorsqu’on lui donne une allocation. Et cet homme ou cette femme ne sont pas quittes avec leur avenir d’avoir reçu l’allocation. On en parle généralement sur le ton de la punition. Ce n’est pas mon approche : innombrables parmi les Rmistes, par exemple, sont ceux qui ont une formation, une compétence, sportive, informatique, une passion, un talent, un don, une capacité. Tout revenu minimum garanti doit, selon moi, sauf en cas d’incapacité, donner lieu à une activité dans la société. Et cette activité doit donner lieu à un revenu complémentaire. Tout le monde y gagne. Regardez la sortie des écoles, regardez les associations qui manquent de bénévoles, regardez les clubs qui ont besoin d’animateurs, regardez les forêts qui flambent faute de débroussaillage, regardez les aéroports et les gares où les personnes âgées ou qui ont des difficultés à se déplacer ne trouvent personne pour les aider. Je propose avec ces millions de personnes laissées sur la touche, une immense mobilisation civique, dont la société française a besoin pour s’humaniser. Immense mobilisation civique, car il faut encadrer, encourager, former, et bien des jeunes retraités pourront trouver là, à temps partiel, un accomplissement.
Une grande perspective économique, fédératrice qui prendra plusieurs années, mais changera vraiment la vie. Une grande perspective sociale, qui prendra plusieurs années, mais qui changera vraiment la vie.
Il faut y ajouter une perspective démocratique. Ce qui me frappe, c’est l’éternel retour des dérives du pouvoir. L’isolement des gouvernants, leur perpétuelle impression que des complots sont en œuvre contre eux, que chaque critique, même mineure, dissimule une manœuvre, la perte du sens des réalités, le sentiment d’être injustement incompris des citoyens. Et je vous demande de le croire, nul n’en est à l’abri, même les meilleurs. Et à l’intérieur, non plus la démocratie, non plus la République, mais les jeux de cour. Il y a, à cet éloignement, des causes simples, identifiables, et aisées à soigner.
Certains disent : il faut supprimer l’élection du Président de la République au suffrage universel. D’autres disent : il faut supprimer la fonction de Premier ministre. Il me semble que ce n’est pas la bonne voie. L’élection du Président de la République au suffrage universel c’est le droit, pour les Français, une fois tous les cinq ans, de changer le paysage politique, de choisir un projet et une vision en élisant celui ou celle qui va composer une majorité nouvelle autour de lui. La fonction de Premier ministre permet au Président de la République d’être un animateur mais de conserver le rôle d’arbitre dont toutes les nations ont besoin. Ce n’est pas la fonction présidentielle qui crée le déséquilibre dont souffre notre démocratie. Ce n’est pas le Premier ministre qui l’accentue. Le mal de la démocratie en France, c’est l’humiliation permanente dans laquelle est maintenu le Parlement, sa marginalisation acceptée par tous, que dis-je acceptée, théorisée, et son défaut de représentation des courants réels qui forment le pays.
Un Parlement a trois rôles : il devrait faire la loi, il devrait contrôler le gouvernement, il devrait organiser le débat public. Parce qu’il est tenu à l’écart et parce qu’il n’est pas représentatif de la diversité de la société française, on ne lui laisse assumer en France aucun de ces trois rôles. Et il l’accepte, quelquefois même il applaudit lorsqu’on le renvoie dans son coin !
À trois reprises, ces tout derniers mois, on a pu mesurer jusqu’où pouvait aller cette marginalisation de la représentation nationale. Au mois de décembre, le Parlement n’a même pas été autorisé à donner son avis sur l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne. Et quand j’entends ces jours-ci Jacques Chirac et Dominique de Villepin dire enfin des choses de bon sens sur l’obligation qui devrait être imposée à Ankara de reconnaître Chypre, je me dis : si le président et son ministre des Affaires Etrangères de l’époque, avaient laissé le Parlement débattre et dire son mot, librement, cette élémentaire exigence aurait été exprimée, la position de la France aurait été plus forte, et accessoirement le référendum se serait présenté différemment ! Au mois de juin, on lui a demandé de renoncer à légiférer sur la matière principale qui fait l’inquiétude de nos compatriotes, l’emploi. Et il y a consenti, et il a applaudi. On a cru que c’était le moyen de faire passer pendant l’été, à l’insu du plus grand nombre de Français, le contrat nouvelle embauche. Je crois que personne ne gagnera à avoir ainsi éludé le débat. Ni les Français, qui comprendront bien la nature de ce contrat qui autorise à licencier, au jour le jour, pendant deux ans, sans avoir à dire pourquoi. Ni le parti majoritaire, qui en sera cependant comptable. Ni le gouvernement qui, quoi qu’il en soit, devra recevoir le message du pays. Et enfin, pendant cet été, on a appris que la privatisation des sociétés autoroutières ne serait pas soumise au vote de la représentation nationale. Et si l’on cherchait exemple plus probant de l’effacement du Parlement, on aurait du mal à trouver mieux ! Il y a quelques mois à peine, à l’issue d’un débat parlementaire pour une fois sérieux, qui a duré plus d’une année, avec la participation de tous les groupes, la décision a été prise que l’on ne privatiserait pas ces sociétés. Que les bénéfices considérables qu’elles vont dégager dans les années qui viennent garantiraient, pour le long terme, les grands équipements dont la France a besoin : TGV, ferroutage, équipements fluviaux.
Et quelques mois après cette réflexion du Parlement, l’orientation est changée à 180°, sans même qu’on daigne l’en informer et lui demander son avis, alors même que la loi oblige à le faire. En effet, un bien qui a été payé par les Français ne peut pas être aliéné sans l’autorisation de leurs représentants élus ! Étonnez-vous donc que tout cela conduise au spectacle de désertion du Parlement dont les Français sont témoins tous les jours ! Lors du débat sur les ordonnances, au moment même où le Parlement s’apprête à renoncer à son droit de faire la loi –je devrais dire à son devoir de faire la loi !-, sur le sujet central de l’emploi, au moment où s’exprimaient les porte-parole des quatre groupes, mercredi après-midi 16 h. 30, vous pourrez le vérifier sur les enregistrements de la séance, nous étions sept ( !) députés sur 577 présents dans l’hémicycle. Le Parlement ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.
Et cela a des conséquences considérables : comme le débat ne peut se développer, la vérité des faits ne peut apparaître aux citoyens. C’est ainsi par exemple que l’endettement a pu croître, pendant deux décennies, sans que les Français, premiers frappés en soient informés. La vérité demeurant dans la pénombre, l’exigence publique ne peut se former et s’imposer.
Il y a donc trois décisions à prendre : rendre au Parlement la maîtrise d’une part importante de son ordre du jour, et limiter les ordonnances, par exemple en imposant leur adoption par une majorité qualifiée. Changer la représentation, en permettant à tous les grands mouvements d’opinion qui organisent le débat public d’être représentés sur les bancs de l’Assemblée nationale. Il n’est pas normal que ces mouvements de balancier successifs aboutissent au fait qu’un parti qui représente 365 sièges pèse deux ans après jour pour jour 16 % des suffrages. Et pendant ce temps, l’UDF qui obtient 12 % a trente sièges, et les verts 3 seulement. La représentation minoritaire des extrêmes ne me gêne pas. Je préfère combattre leurs idées au Parlement que de les retrouver sans autre avertissement au deuxième tour de l’élection présidentielle. Je suis donc partisan, comme en Allemagne, d’un scrutin qui représentera à la fois les territoires, qui sont la France, et les courants d’opinion qui la forment aussi, la géographie territoriale et la géographie politique. Ainsi se trouveront garanties à la fois l’existence d’une majorité et la représentation des minorités. Et enfin, obliger les députés à être présents en interdisant la délégation de vote. Je vous rappelle que cette disposition est celle du Parlement européen. Dois-je vous rappeler de surcroît qu’à l’Assemblée de Strasbourg, l’indemnité est liée à la présence effective au moment des votes… Ce retour du Parlement, c’est la condition de la démocratie équilibrée que la France réclame. La question du cumul des mandats découlera de cette reconstruction, et la question de la simplification de la démocratie locale découlera du cumul des mandats. La France a besoin d’un Parlement qui la représente et qui soit respecté comme tel.
Site politique sur le Centre et le Centrisme
mardi 30 août 2005
dimanche 28 août 2005
Actualités du Centre. Robien se pose en "chantre de l'unité de la majorité" à l'UDF
Gilles de Robien, seul ministre centriste, est arrivé dimanche à la mi-journée pour une visite-éclair à l'université d'été de l'UDF à Giens (Var), en sa qualité de "militant de base", mais en se posant aussi en "chantre de l'unité de la majorité".
samedi 27 août 2005
Actualités du Centre. UDF: François Bayrou veut défendre son "projet de rupture"
François Bayrou, qui continue de critiquer le gouvernement Villepin comme il l'avait fait avec celui de Jean-Pierre Raffarin, veut défendre un "projet de rupture" devant l'université d'été de l'UDF et promouvoir un "rassemblement alternatif" autour des centristes, une manière de tirer profit des divisions chez les socialistes.
Actualités du Centre. Bayrou (UDF) veut préparer "sans concession" une "politique de rupture"
Le président de l'UDF, François Bayrou, a affirmé samedi soir que la formation centriste serait "sans concession aucune pour demander et préparer la politique de rupture dont la France a besoin", à l'ouverture de l'université d'été de son parti à Giens (Var).
vendredi 26 août 2005
Actualités du Centre. Gilles de Robien s'en prend à François Bayrou à la veille de l'université d'été de l'UDF
Le Parti socialiste n'a pas le monopole des querelles intestines: la tension est montée d'un cran vendredi entre le président de l'UDF François Bayrou, partisan d'une "rupture" avec le gouvernement, et le seul ministre centriste, Gilles de Robien, à la veille de l'ouverture de l'université d'été du parti.
jeudi 25 août 2005
L'Editorial d'Alexandre Vatimbella. Installer la confiance
La Réconciliation de la France avec elle-même passe par la confiance que les Français doivent avoir en eux-mêmes. Cette affirmation n’est pas un énième slogan politique creux. La confiance n’est pas un mot vide de sens, ni un état d’esprit sans conséquence. Quand la confiance est là, un peuple ose, il entreprend. Quand elle est absente, il hésite, il renonce. Mais pour être confiant, il faut savoir où l’on va et, surtout, où l’on veut aller. Aujourd’hui, la France le sait-elle ?...
Un récent sondage du Pew Institute, organisme privé américain semble malheureusement donner une réponse négative à cette interrogation. Ses résultats montrent que les peuples les plus angoissés face à la globalisation sont les Américains ainsi que les Européens et, surtout, les Français qui arrivent en tête des peuples les plus angoissés. Dans ce même sondage, les Français estiment, comme tous les autres peuples du monde, que leur culture est particulièrement menacée et ils souhaitent que des mesures soient prises pour la protéger. Cependant, ces mêmes Français sont le peuple le moins confiant dans la suprématie de sa culture… Viennent ensuite tous les autres Européens. Un état d’âme qui ne touche pas encore les Américains et pas du tout les Asiatiques et les Africains qui demeurent absolument convaincus de la supériorité de leurs cultures respectives. Les résultats de cette foi en soi-même se voient tous les jours pour les pays du continent asiatique et pour les Américains (mais, c’est vrai, pas pour les Africains).
Qu’est-ce donc que la confiance d’un peuple en lui-même ? C’est à la fois être sans peur et être assuré de ses possibilités. La confiance est donc un élément primordial du développement et de la stabilité d’une société. Calculée par de multiples sondages et indicateurs (la confiance des consommateurs, la confiance des chef d’entreprise, etc.), elle permet la prise de risques et crée une volonté collective. La crise de confiance, en revanche, est souvent à la fois une cause et une conséquence. Conséquence d’une situation économique ou sociale difficile, cause d’une incapacité à relancer une dynamique. Retrouver la confiance est donc aussi important qu’innover, produire, commercer…
La confiance c’est aussi savoir, non pas où l’on va aller à coup sûr, ce qui est impossible, mais où l’on veut aller, ce que l’on veut vivre, ce que l’on veut construire, se battre pour un objectif présent et un but futur. Alors, mécaniquement, la volonté et l’envie reviennent. La confiance nourrit la confiance. Actuellement, devant des réalités que l’on nous présente comme venant de l’extérieur, le peuple français hésite et semble incapable de porter un projet de société. Or, ces réalités ne sont pas venues d’un monde hostile mais d’un monde que nous avons nous-mêmes aidé à construire (la mondialisation est une création européenne du début du XX° siècle avec l’explosion du commerce international et la colonisation de l’Afrique et de l’Asie). Et le développement de ce monde, aussi imparfait soit-il, doit nous permette de l’améliorer et, en conséquence, d’améliorer notre existence. La globalisation est une chance tout comme la mondialisation des politiques environnementales. Elle peut aider à vaincre la pauvreté et à combattre la violence. Cependant, rien ne nous empêche de cultiver, dans cet univers de plus en plus interdépendant, notre différence en tant que Français et Européens.
A quoi sert cette confiance ?
La confiance sert à garder notre place au soleil. Comme le rappelle l’universitaire américain William Pfaff, la confiance en soi de l’Occident est une des raisons majeures de la réussite de la colonisation : « Par bien des aspects capitaux, la conquête de l’Asie et de l’Afrique par l’Occident fut une conquête intellectuelle et morale. (…) La subjugation morale du monde non européen à l’Occident est encore plus saisissante lorsque l’on se souvient qu’à l’origine, l’avantage technologique et organisationnel des conquérants occidentaux était fort mince, si même il existait. » Et d’expliquer qu’au moment de la colonisation de l’Indochine, la France ne possédait pas l’avance technologique et militaire qu’elle avait acquise lorsqu’elle fut battue par ces mêmes Vietnamiens un siècle plus tard… « La différence capitale, écrit-il, est que dans les années 1850, les Vietnamiens avaient obscurément senti qu’ils allaient perdre, tandis que l’envahisseur était persuadé que son destin était de conquérir, de convertir et de civiliser. »
Et cette place va être de plus en plus difficile à garder. Pour preuve, voici une nouvelle qui n’a pas fait les gros titres des médias mais qui est pourtant fondamentale : les Etats-Unis – malgré leurs divergences et leurs craintes - souhaitent créer des relations privilégiées avec la Chine et l’Inde dans l’optique de créer un sorte de « Club des Trois ». Pourquoi un tel club ? En 2050, selon certains économistes, la Chine sera la première puissance économique mondiale, suivie de près par les Etats-Unis puis, loin derrière, l’Inde. Si ce scénario semble un peu « idéalisé » (les économistes sérieux montrent que le PIB chinois est encore très loin de pouvoir rivaliser avec celui des Etats-Unis et que l’écart entre le revenu par habitant des deux pays est, lui, encore plus important), il marque la volonté des trois parties (avec, notamment, comme illustration la multiplication des voyages officiels entre les responsables de ces trois pays les uns chez les autres et inversement) de créer une sorte de troïka afin de régenter le monde. Il y a quelques mois, déjà, le premier ministre indien avait déclaré lors de la visite de son homologue chinois que les deux pays en s’alliant seraient dans les années qui viennent la première puissance mondiale. « Ensemble, l’Inde et la Chine peuvent redessiner l’ordre du monde » avait alors déclaré Manmohan Singh.
Au-delà de la réalité de cette affirmation, il faut bien comprendre qu’il s’agit de la volonté de le devenir et de peser, voire de contrôler, le monde. Rien de très normal pour des pays de cette grandeur et qui ont chacun des histoires impériales. Pour nous, une question se pose alors naturellement : quid de l’Europe, absente de cette troïka mondiale ? Apparemment, ni les Américains, ni les Chinois, ni les Indiens ne semblent prêts à nous inclure dans un quelconque quatuor, à nous garder notre place au soleil. Sans doute pensent-ils que l’Europe a montré son incapacité à devenir une « puissance », terme par ailleurs exécré par beaucoup de pays de l’Union européenne et, évidemment, par tous les nationalistes. Surtout, ils estiment que les Européens n’ont plus l’envie et l’esprit pour relever les défis qui se présentent à l’humanité. Non seulement ils ont rangé leur transat mais ils ont ouvert leur parapluie !
Et ils n’ont peut-être pas tort… L’envie et l’esprit peuvent revenir si nous installons à nouveau la confiance. Comme le dit le Premier ministre suédois, Goran Persson – dont le pays est en pleine croissance -, « L’Europe a un déficit de confiance en elle-même vis-à-vis des Etats-Unis ». Et cette différence de mentalité se traduit immédiatement en termes de croissance économique et de domination mondiale.
On voit bien que la confiance d’un peuple est primordiale ainsi qu’une direction, le tout soutenu par des valeurs communes. La « crise des valeurs » n’est pas seulement due aux difficultés économiques. Elle vient aussi de l’absence d’une confiance elle-même alimentée par les difficultés économiques…
En refusant la Constitution européenne, nous avons déjà montré une inquiétante faiblesse dans notre volonté de construire un avenir maîtrisable. Il est donc urgent de trouver un moteur à notre confiance, qu’il soit français ou européen. Un peuple qui ne sait pas où il va, ne va nulle part…
Alexandre Vatimbella
lundi 8 août 2005
L'Editorial d'Alexandre Vatimbella. Pour une innovation continue et globale
Une France réconciliée avec elle-même, avec l’Europe et avec le monde se doit d’être innovante. Voilà une profession de foi qui ne semble guère innovante dans le discours politique ambiant… Ainsi l’innovation est le maître mot obligé – voire la nouvelle imprécation - de nos économistes médiatiques et de nos politiques en mal de solutions miracles. L’idée n’est évidemment pas nouvelle mais ne semble pas avoir été prioritaire dans la volonté politique alors que nous savons que les révolutions industrielles que nous avons vécu depuis plus de deux cents ans viennent de l’innovation technologique.
Dans les sociétés pré-industrielles marquées par le temps agricole (pendant longtemps, l’horloge des clochers n’indiquait que les heures, seules données intéressantes pour le paysan), jusqu’au début du XVIII° siècle, nos ancêtres ne concevaient pas l’intérêt de la notion de « progrès », de développement positif des mœurs, de l’économie et des techniques. Dans la société où ils vivaient, on naissait et mourrait dans un même environnement ou presque. Et cette permanence était souvent louée. Et lorsque quelques changements intervenaient (ce qui était tout de même le cas), on louait alors l’ancien temps, maudissant la nouveauté déstabilisatrice. Une pratique encore vivace de nos jours…
L’économie ne croissait guère et le social pas du tout. La chance était quasiment la seule voie qui permettait à un individu, même doté d’un grand génie, de monter les barreaux de l’échelle sociale. Quant à l’environnement quotidien, peu d’inventions venaient en changer le cours. Tout cela a radicalement changé. Nous ne concevons pas que, d’une année sur l’autre, il n’y ait pas de croissance économique et une marche continue vers le « progrès » même si nous nous demandons depuis peu qu’est-ce qu’il faut vraiment entendre par ce mot et s’il ne faut pas le « maîtriser » et en changer les critères d’appréciation, peu demandant que l’on arrête tout, quelques uns seulement le considérant plutôt comme un maux et prônant un « retour en arrière ». Pour autant, ce progrès n’est pas uniquement une question quantitative mais peut revêtir une revendication qualitative. Par exemple, le progrès, chez les Européens, consiste à travailler moins avec plus de protection sociale et de temps libre alors que pour les populations d’Amérique du Nord, il est de travailler plus pour gagner plus d’argent. Dans tous les cas, il s’agit de parvenir au même but : profiter le plus de la vie.
Quoiqu’il en soit, nous sommes dans une société dont le moteur est l’innovation. Comme l’explique l’historien Fernand Braudel, « Aujourd’hui une grande crise générale (une de ces « crises séculaires ») met toutes les économies au pied du mur : innove, ou meurs, ou stagne ! Elles choisiront sûrement d’innover. Pareille mise en demeure a précédé, sans doute, chacune des grandes relances de la croissance économique qui, depuis des siècles et des siècles, ont toujours eu un support technique. En ce sens, la technique est reine : c’est elle qui change le monde ».
Les différentes révolutions industrielles (machine à vapeur puis automobile puis microprocesseur) ont été des révolutions de l’innovation technique qui ont permis, à chaque fois, au système de se régénérer et de repartir vers l’avant. Il est d’ailleurs intéressant de voir qu’il y a deux théories qui s’affrontent actuellement sur la façon de lutter contre les menaces environnementales comme le réchauffement de la planète. La première explique qu’il faut prendre des mesures urgentes pour stopper la marche vers une inéluctable catastrophe (c’est la vision dominante en Europe). La deuxième, nourrie de cette idée de « progrès indéfini », estime que les humains, grâce à leur intelligence et leur esprit d’invention parviendront à inventer les technologies nécessaires afin que la croissance rime avec environnement sain (c’est le credo du président américain actuel).
Mais, le plus important, est de ne pas limiter l’innovation à la croissance économique, à l’invention de nouvelles technologies et à de nouveaux produits pour ouvrir des marchés et booster nos exportations. Nous ne devons, pas plus, considéré l’innovation comme un effort conjoncturel. En ce début de XXI° siècle, la France a besoin d’être innovante non seulement en matières économique et technologique mais également en matières sociale, politique et sociétale. Non pas pour un quelconque effet de mode, ni pour mettre les vieilles valeurs du passé au rebus, mais pour refonder le lien social qui nous permette de construire une société équilibrée et confiante en elle dans la liberté et la solidarité. En clair, la France doit être une société qui innove constamment et de manière globale.
Ainsi, l’innovation économique et technologique, si elle doit être encouragée, ne peut être la valeur absolue. Il faut lui adjoindre absolument l’innovation sociale (avec des changements novateurs dans l’approche des protections sociales), l’innovation politique (avec des adaptations novatrices des pratiques et institutions politiques à la réalité de la société civile) et l’innovation sociétale (sous la forme de définitions et mises en place des référents et des démarches collectives et individuelles dans une société globalisée au niveaux économique et social, mondialisée au niveaux environnemental et culturel et pratiquement unifiée au niveau des réseaux de communication). En clair, nous devons innover dans tous les domaines de la vie afin de créer des synergies qui nous permettent à la fois de nous développer économiquement tout en assurant un bien être social à la population (protections sociales et médicales) dans un monde respectueux de l’environnement (afin de préserver notre développement, voire de préserver notre existence tout court…), tout en continuant à développer nos cultures, le tout dans la liberté. Demeurer dans des schémas figés serait contraire aux rouages qui pérennisent notre modèle d’organisation et de développement social. L’adaptation doit être un mouvement constant, tant parce qu’il assure la vitalité interne de la société que parce qu’il lui permet d’être en phase avec son environnement extérieur.
La France - et l’Europe – doivent donc penser et inventer une société qui soit capable de répondre aux trois défis principaux : la croissance économique, le progrès social, l’équilibre sociétal. Cette société innovante doit s’insérer dans le cadre de la globalisation et dans la mondialisation d’enjeux environnementaux et humanitaires (paix et développement des pays pauvres). Une tâche lourde, compliquée qui demande du courage et une volonté politique forte.
En outre, il importe de ne pas pratiquer l’innovation pour l’innovation en déstabilisant les esprits et le tissu social. L’innovation doit être au service de l’humain et non le contraire. Une fois posée cette condition, nous devons réaliser que l’innovation est et sera le carburant des sociétés qui seront en avance sur les autres. Encore faudra-t-il qu’elle soit acceptée dans ses dimensions sociales et sociétales avec les bouleversements qu’elle peut induire, liés évidemment à la globalisation.
La refondation du lien social doit partir de quelques certitudes qui semblent absentes aujourd’hui du sentiment collectif des Français. A l’individu hédoniste, il faut substituer la personne porteuse de liberté mais aussi d’un désir de partage, donc de solidarité. A la recherche unique d’un plaisir immédiat et souvent superficiel, il faut substituer la recherche d’une vie équilibrée et intense où la personne ne cherche pas uniquement le plus mais le mieux. A la sacralisation de l’objet (où même l’humain devient « matériel » comme par exemple dans le « droit à l’enfant »), il faut substituer la sacralisation de l’être humain. L’avoir ne doit pas être un but mais la possibilité d’une jouissance pour l’être en rappelant la prééminence de l’être sur l’avoir.
Une fois recomposé sur ces principes, le tissu social doit être réorganisé en cherchant à optimiser la protection sociale tout en y réintroduisant la réalité existentielle, c’est-à-dire la lutte constante de l’être humain pour domestiquer son environnement et construire son bien-être. Cela signifie que l’on ne peut parler des conditions de travail sans comparaison globale et adaptation aux réalités mondiales, que l’on ne peut parler de retraite sans analyser le vieillissement de la population mais aussi l’allongement de l’espérance de vie et la bien meilleure condition physique et mentale des personnes ayant plus de soixante ans. Cela signifie aussi que la valeur travail doit être réévaluée au détriment de la rétribution du capital afin de limiter l’expansion d’une bulle financière de plus en plus éloignée de la réalité entrepreneuriale (où doivent dominer les salaires et l’investissement au même titre que la distribution de bénéfices comme l’exigent les places financières et les fonds de pension mondiaux qui agissent pour… les retraites de ceux qui travaillent actuellement !).
En matière économique et technologique, pourquoi l’innovation est-elle devenue aussi prégnante dans nos sociétés occidentales ? Parce l’innovation a toujours été un des principaux moyens d’obtenir de la croissance économique mais surtout parce qu’elle est devenue la principale manière d’obtenir de la croissance dans des pays où le niveau de vie et le coût de la main d’œuvre sont aussi élevés que le nôtre. Nous ne pouvons pas lutter sans ajustements (sauf à envisager une illusoire autarcie) contre les coûts de production aussi bas que ceux des pays émergents en gardant tel quel notre développement social. Aussi, nous devons trouver dans l’innovation la possibilité de garder nos parts de marché, voire de créer de nouveaux marchés, en gardant ainsi notre avance technologique garante d’une croissance économique et, donc, d’un progrès social.
Comment se positionne la France en la matière ? Le rapport commandé par le Président de la République à Jean-Louis Beffa faisait récemment le constat suivant : « La France comporte peu d’entreprises au premier rang international dans les secteurs de haute technologie qui représentent des marchés en forte croissance. L’amélioration durable de la balance commerciale n’est possible que si se développent des industries de haute technologie, au sein desquelles les produits sont fortement différenciés »
Christian Blanc, dans son rapport « Pour un écosystème de la croissance » ne disait pas autre chose : « Plus que les handicaps fréquemment invoqués sur le poids de la fiscalité ou les coûts de production, la perception d’une France trop peu compétitive repose avant tout sur son faible positionnement dans le domaine de l’innovation ».
Quelle est l’importance de donner leur chance à de jeunes entreprises innovantes ? Comme le fait remarquer Emmanuel Leprince, délégué général du Comité Richelieu : « Les 25 plus grandes entreprises européennes d’aujourd’hui existaient déjà en 1960, alors que 19 des 25 plus grandes sociétés américaines sont des PME récentes qui ont réussi à se hisser parmi les plus grandes. » La statistique est éloquente…
D’autant que l’alternative est simple, selon Christian Blanc : « Pour retrouver un avantage comparatif, notre économie a le choix : s’aligner sur le modèle asiatique ou faire le course en tête dans l’innovation ». On comprend que les Français seront sans doute plus intéressés par la deuxième proposition... Encore faut-il s’en donner les moyens au-delà des déclarations solennelles (une particularité bien française…).
Alexandre Vatimbella
Inscription à :
Articles (Atom)