« La globalisation est veille de plusieurs siècles, et la France y a largement contribué. (…) Les Français sont souvent à l’avant-garde de la création de produits qui symbolisent la mondialisation, que ce soit dans le domaine médical, aérospatial, l’alimentation ou même les OGM. » Ainsi parle Herrick Chapman, spécialiste de la France. Une position en porte-à-faux avec le sentiment partagée par la majorité des Français, relayé et étayé par l’opinion des élites. Mais l’historien américain ajoute une remarque fondamentale : « Finalement, il peut être utile de garder à l’esprit que la globalisation implique toujours un processus de diffusion internationale et une inventivité nationale. »
Fondamentale cette remarque parce qu’elle situe le nœud de la problématique dans la capacité à innover. Pour être un acteur de la globalisation (terme de beaucoup préférable à celui de la mondialisation qui porte en lui une dimension de perte d’identité qui n’est pas dans le concept de globalisation), il faut être innovant. Car, le moteur même de la croissance économique (au même titre que le profit est le moteur de l’économie de marché) est l’innovation. Celle-ci permet de réorienter en permanence l’économie grâce à un renouvellement des besoins déjà satisfaits et la satisfaction de ceux qui ne le sont pas encore. C’est ce qui différencie notre monde en mouvement du monde de l’immobilisme qui existait avant la Renaissance en Europe.
Et, mauvaise nouvelle, la France décroche de plus en plus dans ce domaine. Comme l’explique le brillant rapport de Christian Blanc « Pour un écosystème de la croissance » : « La perception d’une France trop peu compétitive repose avant tout sur son faible positionnement dans le domaine de l’innovation ». Et cette absence de compétitivité rend la France frileuse.
Elle, qui se targue de son universalisme, est aussi une des nations où les citoyens sont les plus angoissés face à la globalisation. La peur qu’ils éprouvent est la preuve de leur manque de confiance en eux. Pour que la France se réconcilie avec elle-même, il faut qu’elle se réconcilie avec le monde qui l’entoure et qu’elle prenne cet universalisme moderne comme une chance plutôt que comme une menace. Il faut qu’elle retrouve les capacités d’innover qui furent les siennes tout au long du XIX° siècle et de la majeure partie du XX°.
D’autant que les alternatives à cette globalisation se résument à se refermer, soit sur nous-mêmes ou, dans une vision moins étriquée mais tout aussi frileuse, soit sur un espace européen fermé par des barrières et des frontières de toutes sortes où nous serions, soi-disant, capables de vivre en autarcie en préservant un « modèle social » puisque tous les membres de ce club restreint possèderaient un développement économique et social plus ou moins identiques qui leur permettraient de ne pas se faire trop de « concurrence déloyale » et de vivre en bonne harmonie. Outre que ces fantasmes sont irréalisables et puériles tant nous dépendons de « l’étranger » pour de nombreux produits (comme les matières premières essentielles au bon fonctionnement de notre économie), notre modèle social si précieux pour certains tient principalement à ce que nous avons réussi à vendre à l’étranger.
Ainsi, notre développement économique et social nous impose, en retour, de vendre plus que nous achetons. C’est de l’arithmétique élémentaire : dans le monde, le montant des exportations est nécessairement égal au montant des importations. Avec comme corollaire : Il a ceux qui gagnent (ceux qui ont une balance commerciale excédentaire) et ceux qui perdent (ceux qui ont une balance commerciale déficitaire). Et cela sera vrai – même pour les Etats-Unis où les experts ne se demandent plus si le système institué de vivre constamment à crédit avec un déficit abyssal va exploser mais quand il va exploser - tant que nous n’aurons pas bâti une fédération mondiale ou que, par magie, tous les pays auront une balance commerciale équilibrée avec des échanges commerciaux qui se compenseront les uns les autres entre tous les pays du monde. On peut toujours rêver !
A ce propos, nous devons réaliser, même si nos bonnes consciences en prennent un vilain coup, que notre confort vient aussi de la pauvreté de certains pays et du fait que nous vendons à d’autres pays plus que nous ne leur achetons (parfois en leur prêtant l’argent nécessaire à leurs achats…). Ceci nourrit notre « modèle français » mais produit des inégalités et du sous-développement chronique que tous les sommets du G8 et leurs déclarations de bonnes intentions ne changeront pas tant que nous n’aurons pas trouvé un moyen universel crédible pour mieux produire et mieux consommer sans que cela ne passe par produire et consommer plus. Avis aux postulants du prix Nobel d’économie…
Sans doute notre prévention vis-à-vis de la globalisation vient de ce que nous avons une peur diffuse de ne plus être ceux qui la conduisent et la contrôlent comme ce fut le cas pendant longtemps. Cette absence de contrôle, tout relatif encore aujourd’hui, fait-elle de la globalisation une menace ? Non, car jusqu’à maintenant nous avons voulu et, mieux, nous avons concouru à sa mise en place et à son extension.
Prenons l’exemple de la Chine. La version actualisée des « 700 millions de Chinois barbares envahissant le monde civilisés » des années 1960 est devenu, en ce second millénaire, « La Chine va s’emparer de l’économie mondiale au détriment de l’Occident et, notamment, de la France ». Bien entendu, dans cette nouvelle version, le fond de commerce demeure le même : une menace subie qui fera disparaître notre civilisation, au pire, notre art de vivre, au mieux.
Or, rien n’est plus faux. Si la Chine exporte tous ces produits bon marchés qui remplissent nos linéaires mais aussi d’effroi les chefs d’entreprises et leurs salariés, c’est parce que nous l’avons voulu ! « Nous », ce sont l’ensemble des gouvernements occidentaux, des responsables économiques et des entreprises, des multinationales aux micro-entreprises ainsi que les consommateurs. L’empire du milieu n’aurait rien pu faire sans notre accord. Et celui-ci n’a pas été un cadeau mais plutôt un simple calcul digne d’une première année de maternelle. D’un côté, des coûts extrêmement bas pour fabriquer des produits qui ne coûteront pas cher (ce que demande de plus en plus le consommateur occidental…) et de l’autre un formidable marché de plus d’un milliards de consommateurs qui n’ont rien ou presque rien (ce que lorgne avec intérêt le chef d’entreprise occidental…). Un eldorado en somme pour nos Airbus, nos centrales nucléaires, nos TGV, nos Renault et nos Peugeot, nos Michelin, notre « art de vivre à la française » et notre tourisme (la France est la première destination touristique des Chinois), sans oublier des produits plus basiques.
Sauf que « nous » avions oublié un petit détail : la Chine n’est pas un mouton à qui l’on fait brouter n’importe quelle mauvaise herbe. La Chine n’est pas, non plus, le Maroc ou la Tunisie qui n’ont pas, malheureusement pour eux, la puissance du géant asiatique. « Nous » avions aussi oublié que jusqu’en 1850, la Chine était la première puissance mondiale. « Nous » avions oublié que les Chinois ont toujours été persuadés qu’ils étaient le centre du monde (un peu comme « nous »…). « Nous » n’avons pas été capable, avec un minimum de réflexion, d’envisager qu’un tel pays avec une telle histoire, un tel savoir-faire et un peuple fier et travailleur n’accepterait jamais de demeurer un simple faire-valoir de l’Occident mais qu’il réclamerait sa place à la table des grands avant, peut-être de se l’accaparer pour lui tout seul...
Soyons clair jusqu’au bout. Un responsable de Wal-Mart, le numéro un mondial du commerce de détail demandait récemment dans un article de Time Magazine si le consommateur américain serait prêt aujourd’hui à payer un jean 180 $ si celui-ci était fabriqué aux Etats-Unis et non en Chine ? Encore que ce n’est même plus le débat. Car voici une réalité moins avouée (ou avouable ?) : si Wal-Mart est à lui seul le sixième client de la Chine ( !) c’est surtout parce que la plupart de ses fournisseurs ont délocalisé leurs usines sur le territoire chinois et non pas, encore, parce que ce pays a créé lui-même cette concurrence. Et, de plus, ces délocalisations ne se sont pas faites au détriment d’emplois américains ou européens mais… de ceux des autres pays d’Asie comme la Corée du Sud, la Thaïlande ou Taipeh. La réalité, c’est que les fournisseurs de Wal-Mart avaient déjà délocalisé depuis longtemps leurs usines en Asie…
Au lieu de gémir sur la montée de la Chine, on peut aussi décider qu’il s’agit d’un formidable stimulus pour nos sociétés, que le défi à relever est à la hauteur de nos ambitions. Encore faut-il que les enjeux soient correctement expliqués. Comment définir, dans ce cadre, le « parler vrai » du ministre de l’économie, Thierry Breton lorsque celui-ci nous explique que la croissance plafond pour 2005 sera de 2 % après avoir affirmé – contre toutes les analyses des spécialistes – que 2 % serait la croissance plancher ! Alors, quand il affirme que « La France vis au dessus de ses moyens », tout le monde le sait depuis un bout de temps. Bien sûr, la comparaison avec l’impôt sur le revenu qui suffira à peine à payer les intérêts de la dette est une image forte. Mais elle n’est pas née d’hier. Alors, pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour « parler vrai » ? Certains ne manqueront pas d’y voir un argument supplémentaire pour flexibiliser le travail. Et ils n’auront pas tout à fait tort. Sauf que cette flexibilité est devenue une obligation si nous voulons pouvoir résister à la Chine… Voilà le serpent qui se mord la queue !
Cessons de nous lamenter sur la fin des temps (heureux) en méditant cette opinion d’un auteur pourtant peu suspect de bienveillance à l’égard du « grand capital » : « Deux nations sont séparées par un bras de mer ou une chaîne de montagnes. Elles sont respectivement libres, tant qu'elles ne communiquent point entre elles, mais elles sont pauvres; c'est la liberté simple: elle seront plus libres et plus riches si elles échanges leurs produits; c'est ce que j'appelle la liberté composée. L'activité particulière de chacune de ces deux nations prenant d'autant plus d'extension qu'elles se fournissent mutuellement plus d'objets de consommation et de travail, leur liberté devient aussi plus grande: car la liberté, c'est l'action. Donc l'échange crée entre nations des rapports qui, tout en rendant leurs libertés solidaires, en augmentent l'étendue: la liberté croît, comme la force, par l'union, Vis unita major. Ce fait élémentaire nous révèle tout un système de développements nouveaux pour la liberté, système dans lequel l'échange des produits n'est que le premier pas. » Son auteur ? Proudhon…
De ce point de vue, la globalisation est une chance pour ceux qui sauront la saisir. Ce qui nécessite la mise en place d’une politique volontariste dans l’aide à l’innovation, la création de « pôles de compétitivité » et autres « clusters », l’accompagnement des petites et moyennes entreprises dans leur développement international, une adaptation des structures économique, fiscale et sociale au niveau national et européen. Cependant, ce qu’il faut en priorité c’est une ouverture d’esprit. Comme l’explique le professeur Bertrand Badie, « Dans un monde de mobilité, il faudra de plus en plus apprendre à vivre avec l’autre ». Et si le défi de la globalisation, ce n’était pas essentiellement cet apprentissage ? Si tel est le cas, alors, la réponse du peuple français au référendum du 29 mai a de quoi nous inquiéter…
Alexandre Vatimbella
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